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Alter et ego (Carnet)
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27 octobre 2024

Choisir entre liberté et sécurité relationnelle

 

Jusque fort tard dans la nuit (ou tôt ce matin...), j'ai eu une passionnante discussion avec une ex-collègue de travail retrouvée lors d'une fête d'anniversaire. Il fut question de sécurité et de liberté en matière de relations fortement co-investies. Disons les relations de type amoureux, pour simplifier.
 

Après avoir abordé, plusieurs heures durant, différentes facettes de nos perceptions du monde actuel, nous en sommes arrivés à parler de nos vies affectives. Entre autres points communs, nous avons celui de vivre seuls. Par quelle bifurcation conversationnelle ai-je été conduit à évoquer l'heureuse nostalgie ressentie en regardant une photo de ma petite famille, lorsque j'avais 30 ans ? Je ne sais plus mais, à partir de là, lui montrant ladite photo, je lui expliquai que les jeunes enfants visibles, d'une certaine façon, n'existaient plus. Je ne peux plus interagir avec eux, voir leur bonne bouille, les regarder vivre avec leur candeur, les porter dans mes bras. Ces enfants, aujourd'hui adultes, sont pourtant bien vivants. Cependant, s'ils sont la continuiation de ce qu'ils étaient étant petits, ils ne sont plus ces petits-là, qui ont disparu de mon existence. Noémie, l'ex-collègue, n'ayant pas d'enfants, avait du mal à saisir mon raisonnement. Elle me demanda ce qui me manquait de cette époque, puisque je parlais de nostalgie,. Tentant de discerner ce ressenti, j'en vins rapidement à supposer que, probablement, c'était la cellule familiale que nous constituions à cinq. Désormais les cinq éléments vivent séparément, chacun de son côté, tout en restant reliés. La cellule originelle est dissociée, fragmentée... ce qui est absolument dans l'ordre des choses ! Noémie me demanda alors, sans que j'ai anticipé sa question : « comment en es-tu venu à divorcer ? ».

 

Bigre ! Alors que pendant plusieurs années Noémie et moi nous sommes côtoyés quotidiennement, prenant souvent nos repas ensemble en tête à tête, portés par des discussions chargées de sens, jamais nous n'étions entrés dans ce registre. De manière générale je ne parle pas de ma vie affective avec mes collègues, me contentant de signifier que je vis seul depuis très longtemps. Parfois je glisse, lorsque de nouvelles jeunes collègues évoquent leur conjoint ou leur vie de famille, qu'autrefois je fus marié. Hormis un subtil signe d'étonnement, cela ne suscite pas de questions. Le cadre professionnel n'est pas le lieu le plus approprié pour entrer dans le registre intime. Et si déclarer avoir des enfants peut être source de questions, se dire célibataire n'engendre strictement aucune réaction.

 

Comment en suis-je venu à divorcer, donc ? Difficile d'éluder face à une question aussi directe. J'ai senti qu'avec Noémie je pouvais me livrer sincèrement. C'est d'ailleurs ce qu'elle attendait de moi et n'aurait pas laissé passer une réponse fuyante sans me montrer qu'elle n'était pas dupe.

 

Diantre... par quoi commencer ? Comment expliquer par quel long processus, en partant d'une jolie rencontre amoureuse à 19 ans, on en arrive à un divorce après vingt-trois ans de mariage ? La simple ébauche de cette narration fascina mon interlocutrice qui, de son côté, me précisa son vécu : une succession de relations et expériences diverses, se soldant par autant de ruptures. Si bien qu'au sortir de la quarantaine elle se retrouve célibataire et en questionnement. D'où son intérêt par rapport à mon parcours sentimental radicalement différent du sien.

 

Reprenant mon récit je décrivis à Noémie le cheminement qui me conduisit, à 38 ans, à m'ouvrir à d'autres univers féminins que le seul qui m'avait été accessible jusque-là : ma conjointe. Je lui décrivis brièvement la succession de "rencontres" qui, par le biais d'échanges écrits par internet, puis de correspondances de plus en plus approfondies, m'avaient permis d'enrichir considérablement ma connaissance des dynamiques relationnelles et affectives. Intriguée, Noémie m'écoutait attentivement en hochant la tête de temps en temps. J'en vins enfin à aborder l'élément central : une rencontre beaucoup plus déterminante que celles qui avaient précédé - tout importantes qu'elles fussent - fit basculer une puissante amitié, construite par deux ans d'une correspondance fertile, du côté désirant et amoureux. Avec de rares rencontres à la clé, mais sur des durées de plusieurs jours. Une situation qui, après moult discussions, remises en questions, péripéties et ultimatums, devint insupportable pour mon ex-épouse, qui demanda le divorce. Je compris sa décision.

 

Du tac au tac Noémie renchérit : « mais à l'origine, qu'est-ce qui te manquait dans ton couple pour que tu ailles le chercher ailleurs ? ». Des échanges approfondis, précisément. Et puis, à un niveau moins conscient et davantage refoulé, une insatisfaction sexuelle. « Que craignait ta femme ? » Difficile de répondre à sa place mais j'ai attribué cela à un doute existentiel : mon intérêt pour une autre - alors même que j'exprimais mon souhait de voir durer le couple conjugal - créait une sensation de concurrence et de moindre importance.

 

À plusieurs reprise Noémie me précisa que ses questions visaient à éclaircir ce qui faisait écho à sa propre expérience relationnelle. Elle hasarda une piste : « Est-ce que ça touchait à sa sensation de sécurité ? ». C'est là qu'elle m'expliqua le lien qu'elle établissait entre sécurité et liberté en matière relationnelle.

 

L'échange prit un tour plus fervent lorsque, rebondissant sur ce thème, je lui avouai mes propres craintes à l'époque du choix : suivre un chemin de liberté, c'était menacer la sécurité que m'apportait le lien conjugal. Si je persistais dans mon choix de suivre mes envies, je perdrais la relation de couple, avec toutes les conséquences sur la vie familiale. Plus trivialement, j'avais hautement conscience du risque de me retrouver seul durablement, potentiellement jusque dans la vieillesse. Je lui racontais alors ce que m'avait un jour narré une amie, qui avait été confrontée à une situation similaire. Elle m'avait expliqué : tu es comme un cheval qui voit, au delà de la barrière, de vastes horizons attirants. Si tu sautes la barrière, tu auras la liberté de les parcourir. Si tu as peur de sauter, alors tu resteras dans la sécurité... mais tu te priveras de l'élan de vie.

 

J'ai sauté la barrière. D'une certaine façon j'ai donc renoncé à la sécurité pour accéder à la liberté. « Aujourd'hui, regrettes-tu ce choix ? » me demanda Noémie. Non, je ne le regrette pas. J'en déplore toutefois les conséquences. Elle acquiesça.

 

Je conclus mon récit par une particularité notable : lorsque je fus contraint de me déterminer je n'avais plus aucune sécurité relationnelle. Ni d'un côté ni de l'autre, chacune des deux ayant choisi de se retirer.

 

Noémie me fit alors part de son grand étonnement. Non seulement elle découvrait de ma personnalité des aspects qu'elle ignorait, et qu'elle n'imaginait pas du tout de moi, mais surtout elle se montra impressionnée par le courage dont j'ai alors, à ses yeux, fait preuve. Un courage rare, selon elle, consistant à choisir la liberté plutôt que la sécurité. Elle me le répéta plusieurs fois, avec insistance.

 

Je lui retournai alors la réflexion, cherchant à bien saisir ce qu'elle entendait par "sécurité". Elle convint que c'était surtout une question de sensation de sécurité, propre à chacun. Autant la notion de liberté peut être assez consensuelle, autant celle de sécurité va dépendre d'un parcours personnel et d'expériences vécues. Et cette sensation de sécurité, qu'elle m'avoua chercher dans le relationnel amoureux, paradoxalement, elle constate la ressentir davantage en célibataire. Comme si le fait d'être "rassurée" par la présence d'une relation active ouvrait une béance : et si un jour j'étais abandonnée ? Ainsi, la simple perspective de perte potentielle d'une sécurité (apparente) deviendrait par elle même menaçante pour le sentiment de sécurité. Inversement la vie solitaire serait moins insécurisante, parce que non soumise au risque de perte : on ne perd pas ce qu'on n'a pas.

 

On peut toutefois perdre la liberté qu'offre la solitude, comme le chantait Moustaki. Il peut donc être considéré comme plus sécurisant de rester célibataire.

 

Nous conclûmes par le fait que la vie en solo peut être vécue sereinement, libre et sans insécurité... pour autant que l'on soit capable de l'assumer. Ce qui n'est peut-être pas donné à tout le monde. Il y a là une part de responsabilité personnelle, consistant à faire en sorte de surmonter d'éventuelles insécurités antérieures, issues d'expériences relationnelles difficiles ou traumatisantes. Quant à la sérénité, nous avons convenu qu'elle était un effet secondaire de la sécurité ressentie en soi.

 

 

 

Commentaires
C
je t'embrasse cher Pierre<br /> je pense souvent à toi.<br />  •.¸¸.•*`*•.¸¸☆
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C
J'ai dévoré ce billet avec un grand intérêt, cher Pierre. J'avoue que je n'ai pas été très assidue ces derniers mois. Tu me le pardonneras j'en suis certaine. Revenir sur ton espace a été difficile, à certains moments : c'était sans doute dû à la fameuse transition overblog / canalblog. Un jour j'ai écrit un immense commentaire (tu me connais) et au moment de cliquer sur envoyer, il s'est dilapidé. J'étais dégoûtée. Je n'ai pas eu le courage de le réécrire.<br /> <br /> La liberté et la sécurité donc...Pourquoi les opposer ? Dans notre société frileuse et sécuritaire, on a toutes les raisons de les opposer en effet. L'une est la négation de l'autre. Cette sécurité là est imposée, en quelque sorte. Par des lois, des décrets, des ordonnances qui durcissent les règles en matière de prévention des maladies, des risques, des accidents, bref. On ne peut plus faire un pas sans sortir des clous. Un état sécuritaire bride forcément la liberté des citoyens. <br /> <br /> Mais la sécurité dont vous parlez, Noémie et toi, c'est la sécurité affective, c'est un sentiment, une sensation douce et chaude, celle d'être aimé(e) et de ne pas être seul(e) pour affronter les aléas de l'existence.<br /> La sécurité affective est un des constituants essentiels de la pyramide de Maslow. Juste après l'eau, l'air, la nourriture etc...<br /> Cette sécurité-là n'est pas la négation de la liberté. Bien au contraire, elle libère, dans le sens où l'on se sent porté à accomplir des choses que l'on n'aurait jamais osé faire seul(e). <br /> Cette sécurité-là est pour moi synonyme de confiance.<br /> L'amour vrai, c'est celui qui n'entrave pas. Qui laisse l'autre libre d'être lui-même, en toute confiance.<br /> Et être soi-même, c'est avoir réglé ses problèmes existentiels, ses lacunes, ses fêlures, les avoir travaillées, acceptées, pour qu'au final, et je te rejoins sur ce point, la sécurité intérieure ne dépende que de soi, et pas de l'autre.<br /> Evidemment, le vocabulaire commun n'aide pas... Si on est célibataire, on est libre, si on est marié on a « la corde au cou »...Comme j'aimerais que ces vieux poncifs disparaissent une bonne fois de l'inconscient collectif ! <br /> Maintenant qu'il m'est donné de vivre une vraie relation, équilibrée, nourrissante, épanouissante, j'enrage d'entendre encore ce genre de bêtises. <br /> Je choisis en toute liberté d'épouser l'homme que j'aime. Pour une fois, « on » n'a pas décidé à ma place, comme pour mon premier mariage, à 26 ans. On ? l'éducation, la famille, la société, le qu'en dira-t-on, les curés, l'horloge biologique, j'en passe et des meilleures... <br /> Il est lui, et je suis moi. Et ensemble nous sommes nous. C'est cela la vraie liberté. Pour moi, la solitude n'est qu'une illusion de liberté, puisqu'elle nous prive d'un bien précieux : tisser des liens.<br /> Je te souhaiterais volontiers de vivre un peu ce que je vis. De rencontrer la juste personne qui conviendra à ton désir de solitude et de liberté. Juste pour te rendre compte qu'il y a d'autres façons de vivre une relation que « difficile et traumatisante »<br /> Avec mon ex-mari, j'éprouvais un sentiment d'insécurité affective terrible, paradoxale si l'on sait que j'étais libre de sortir comme je le voulais... Le fait de savoir qu'il se fichait de ce que je faisais m'emprisonnait dans l'insatisfaction. Cela m'éétouffait. J'ai été comme ce cheval dont tu parles. J'ai sauté la barrière. Et je ne regrette rien. Et je ne déplore aucune coséquence.<br /> <br /> j
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C
Ma chère Célestine,<br /> <br /> Merci pour ce commentaire approfondi, qui me rappelle combien j'apprécie ce qui peut naître d'un échange de points de vue. Je comprend parfaitement ta désaffection par rapport à "ici" : j'ai moi-même du mal avec Overblog, chez qui je ne me sens pas vraiment "chez moi". D'autant moins que nombre des réponses que j'ai faites, des années durant, aux personnes qui commentaient ont disparu, laissant une désagréable impression de goujaterie, aux antipodes de ce que je pense être.<br /> <br /> Et quel dommage d'apprendre qu'un long commentaire de ta part a, un jour, lui aussi disparu :(<br /> <br /> Sécurité affective, en effet, loin de la connotation politique qui l'oppose trop souvent à une supposée "insécurité" censée justifier une restriction des libertés. Tu mentionnes fort justement la notion de confiance, qui est au coeur des liens affectifs. Et je partage ton point de vue : cette confiance donne de l'audace et permet de se surpasser, de viser ce que seul·e on n'aurait peut-être pas osé entreprendre.<br /> <br /> Mais atteindre un degré de sécurité intérieure permettant de laisser l'autre libre d'être lui-même... c'est un tout autre défi. Parce que ce que l'on a à y "gagner" (terme impropre) vient très indirectement : il faut accepter de potentiellement "perdre" cette sécurité affective que l'autre nous offre. Il y a une prise de risque dans la confiance, un "abandon" d'une part de soi.<br /> <br /> Ce à quoi tu sembles être parvenue représente sans doute un bon équilibre entre sécurité-lien-liberté. À tel point que tu te sens prête à re-tenter le mariage (mazette !!!). Un tout autre parcours que le mien, en partie dû au hasard des circonstances. De ce fait je ne ressens pas « l'illusion de liberté » que tu évoques à propos de la solitude. Quoique, en un sens, je te donne raison : ma liberté est limitée du fait que je n'ai pas l'opportunité de choisir, par défaut de partenaire ;)<br /> Et assurément c'est ce qui fait toute la différence : pour être libre tout en étant en lien avec l'autre, encore faut-il qu'il ou elle existe !<br /> <br /> Je note avec attention ce que tu décris : « Le fait de savoir qu'il se fichait de ce que je faisais m'emprisonnait dans l'insatisfaction ». Je n'avais jamais vu les choses sous cet angle. C'est un intéressant point de vue.<br /> <br /> Juste pour préciser les choses : je ne doute pas un instant que nombre de personnes vivent de belles, voire très belles expériences, ni difficiles ni traumatisante. Surtout si l'on considère cela dans un laps de temps circonscrit au "meilleur". Cependant je me demande ce qu'il en est si l'on prend en considération toute une vie, ou même seulement l'intégralité d'une relation qui fut un jour "de confiance", jusque dans l'après-relation. Simples questions que je formule, sans avoir aucune certitude en la matière.<br /> <br /> À défaut de réponses, je vais continuer à observer, en mon for intérieur, comment ce rapport à l'autre me façonne, me nourrit, m'enseigne une confiance intérieure qu'ainsi je me forge.<br /> <br /> Grand merci à toi, Célestine, pour cette matière à penser que tu as partagé avec moi.<br /> Je t'embrasse (et pense souvent à toi itou)
J
Bonjour Pierre,<br /> Intéressant billet, comme d'habitude. Une réflexion en découle. Si la liberté exige le vivre seul(e), je n'ose pas imaginer l'impact écologique à l'échelle planétaire si tous les êtres décidaient un jour d'être libres :) <br /> Belle photo, la forêt s'embrase poétiquement, j'adore :)<br /> Amicalement, Julie
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C
Bonjour Julie<br /> <br /> La liberté ne saurait "exiger" quelque chose :)<br /> L'idée que j'ai tenté de développer c'est cette sorte d'antagonisme qui existe entre liberté et sécurité dans la relation affective "forte". Pas seulement dans le relation de couple, d'ailleurs. Cela peut perdurer dans la relation parents-enfants (adultes), par exemple.<br /> Mais je suis tout à fait d'accord avec toi, la vie en solo a un plus fort impact écologique et ça, c'est problématique. Tu as raison de mettre en évidence cette dimension, que j'ai totalement éludée dans mon propos.<br /> <br /> Belle journée à toi !