Semblables différents
Il arrive, avec les gens que j'aime, qu'on n'ait pas la même façon d'aborder les choses. C'est un phénomène assez bizarre parce que je nous sens souvent bien plus proches que les apparences ne le laissent croire, et pourtant quelque chose ne passe pas. Les mots précis et les nuances qui les caractérisent semblent avoir des sens différents. C'est comme si on ne parvenait plus à faire concorder nos canaux de communication. Parfois il suffit d'un rien, d'un petit détail pour que s'installe une divergence. Minime au départ, elle peut devenir source de fortes tensions en peu de temps. Il faut alors beaucoup d'énergie pour retrouver une base d'accord.
Auparavant ça m'inquiétait beaucoup de voir ainsi d'effilocher le fil du dialogue. Peut-être que je craignais qu'il ne se rompe ? Maintenant je relativise en sachant que ce n'est que temporaire. Je sais qu'il ne s'agit que de zones sensibles qui ont été sollicitées. C'est à la fois peu et beaucoup. Presque rien, mais toute une différence.
J'ai écrit «avec les gens que j'aime », mais peut-être que je devrais inverser les choses: c'est parce que j'aime les gens que je suis préoccupé lorsque la communication ne fonctionne pas bien. Parce que je sais que c'est le lien, la mise en relation, qui permet le climat de confiance propice à l'échange.
En fait... j'aime beaucoup lorsque je peux partager dans un registre qui touche à l'émotionnel. Les émotions, c'est ma drogue: j'ai besoin d'en ressentir pour me sentir vivant. Et de préférence des émotions positives, celles qui me rendent heureux.
Je crois que je suis un hyper-émotif... [Mais peut-être que tout le monde l'est, même si peu le montrent ?]
Je suis un insatiable chercheur d'harmonie et de paix. Rien ne me comble davantage que le bien-être. Être bien. Boris Cyrulnik a dit: « le bonheur c'est quand rien ne va mal ». C'est finalement assez simple à atteindre. Du moins pour soi... Car ça se complique évidemment dès qu'on entre en relation avec autrui. Et pourtant, quel bonheur que de partager l'« être bien» ! C'est ça mon souci: j'aime me sentir heureux avec ceux que j'aime, et suis heureux de leur bien-être. Paradoxalement il semble que cela demande parfois beaucoup d'efforts: pour vivre une relation simple, c'est compliqué. Ce qui est simple pour soi peut déclencher des complications chez l'autre. Et là, patatras, tout le bien-être disparaît dans une surenchère de complications. Alors que l'objectif des partenaires est pourtant le même: être bien ensemble, partager quelque chose de plaisant. Ne serait-ce qu'un échange de points de vue...
Parfois les modes de fonctionnement sont vraiment trop différents et les sensibilités incompatibles. Il vaut mieux alors s'éviter, ou se tenir à distance. D'autres fois ils sont à la fois très proches et contradictoires. Je crois que c'est là quelque chose de fascinant et de potentiellement très enrichissant: c'est de la proximité et de la différence qu'on apprend beaucoup. Il y a un fantastique domaine d'exploration et d'attirance pour ces "semblables différents". Lorsqu'on est dans le même registre de sensibilités, même si elles sont abordées et perçues différemment, voire de façon opposée, je crois qu'on peut partager beaucoup d'émotions positives. Mais si on n'a pas les mêmes objectifs, alors ce sont des émotions de souffrance qui se réveillent, avec une impossibilité de concorde. Maintenant, je crois que je sais bien distinguer les dialogues impossibles des relations prometteuses. Je ne perds plus de temps dans les premières, mais ne relâche pas mes efforts dans les secondes... tout en apprenant à trouver la juste distance. Car il y a obligatoirement une distance à respecter.
Je sais aussi que le manque de confiance en soi est un des moyen les plus efficaces pour compliquer les relations. Mais le plus comique, c'est que c'est précisément au contact d'autrui qu'on peut prendre confiance en soi, par le jeu des ressemblances et différences. Détecter ce qui unit de ce qui sépare, ce qui est commun et ce qui oppose.
Finalement, s'aimer et aimer l'autre, ce n'est qu'affiner chaque jour la géographie des sensibilités personnelles, dessiner les contours des mers de sérénité et celui des zones volcaniques. Etablir les secteurs libres d'accès, mis en commun, et les zones de prudence ou d'interdiction des domaines privés. Connaître les terrains minés et s'efforcer de les respecter étant un préalable...