Seau d'eau dans la figure
Hier, après ma promenade solitaire dans le silence lumineux de la neige, j'avais rendez-vous avec une conseillère conjugale. Euh... parce que j'ai des problèmes de couple ?
Non non, pas du tout. Je n'ai plus de problème de couple. D'ailleurs je ne suis plus en couple...
Je voulais appréhender d'un peu plus près cette profession qui... oui, qui m'intéresse. Long entretien avec une femme passionnée qui m'a expliqué en quoi consistait cette activité dans la structure à laquelle elle appartient, le Planning familial. C'est à dire un mouvement militant qui a toujours été à l'avant-garde, notamment en matière de contraception et de droit à l'avortement. Mouvement d'obédience féministe, m'a t-elle précisé...
Je dois bien avouer qu'elle m'a mis face à une réalité de terrain que je connais guère et dont je ne soupçonnais pas l'étendue. Très loin des seules mésententes ou crises conjugales...
En vrac, elle m'a d'abord parlé de tout le travail de prévention autour de la sexualité: sida et MST, contrôle des naissances, avortement, désir d'enfant. Ça je connaissais. Mais aussi de tout un pan du métier qui consiste à apporter l'information à l'extérieur de la structure. A éduquer. Une moitié du temps y est consacrée, avec des difficultés rencontrées pour transmettre le message face à des publics jeunes, souvent en révolte, et très largement sous-informés. Là il y a beaucoup de travail à faire, bien en amont de la "simple" sexualité. C'est toute une représentation des rôles et attributions préétablis entre l'homme et la femme qu'il faut "construire". Désapprendre les fausses différences qui sépareraient les sexes. Expliquer non seulement ce qu'est la sexualité, comment ça fonctionne hors des images pornographiques de référence, ce qu'est le désir, le plaisir, la tendresse, mais aussi le respect de l'autre. Tout cela est bien, bien, loin du monde éthéré et hyperprivilégié dans lequel j'évolue ou avec qui je partage mes réflexions. Ouille... la tendance à l'égalité des rapports homme-femme est loin d'être en marche chez les jeunes générations de certains milieux !
Plus rugueux encore, la réalité brutale cotoyée au quotidien: inceste, viol, violence conjugale, mariages forcés, prostitution sauvage... Et là c'est pas dans les journaux, mais dans le face à face ! La détresse les yeux dans les yeux. Avec nécessité de trouver des solutions au plus vite. Écoute, libération de la parole... puis rapidement dans l'action: accompagnement immédiat vers des structures sociales, voire auprès de la police pour aider à porter plainte.
Wouffff !!! je ne connaissais pas vraiment ce volet du métier, et surtout je n'en soupçonnais pas l'ampleur. Je pensais que c'étaient des cas exceptionnels. C'est passionnant bien sûr mais... ne faut il pas être sacrément solide ? Probablement. Les écoutants eux-même ont un soutien psychologique régulier, afin d'évacuer cette charge...
C'est un métier qui demande un fort investissement, et une prise en charge personnelle quoique évoluant en équipe. Il nécessite la capacité de gérer des groupes, pas forcément impliqués volontairement, parfois rétifs, sur des sujets pulsionnels. Travail dans des milieux très divers, et parfois difficiles.
Résultat: un peu groggy en sortant. Très intéressé par cette réalité qui, quoique difficile, est attirante. Mon désir d'aller vers l'autre, d'écouter, d'aider à la prise de conscience s'est mis en vibration. D'autant plus qu'il n'y a pratiquement pas d'homme dans ce métier. C'est un manque, notamment face au public masculin qui a besoin de voir qu'on peut être homme sans avoir une mentalité de macho.
Mais en même temps j'ai saisi toute la dimension confiance en soi, et connaissance de soi, nécessaires pour écouter autant que pour "tenir le coup". Je me suis senti bien "léger" face à cette femme aguerrie et avec une expérience qui relativise très fortement la minceur de la mienne. A l'évidence mon petit monde protégé m'a toujours tenu à l'écart de la vraie souffrance et j'ai à la fois envie d'y plonger, de mettre les mains dans cette boue de réalité brute... et la frousse de ne pas en avoir la carrure.
A noter aussi, que, quoique la demande d'aide soit en augmentation constante, la profession, pas vraiment reconnue (salaire de base inférieur à celui d'une femme de ménage...) reste soumise au bon vouloir des structures politiques...
Tout le coté "conseil conjugal" à proprement parler est aussi en forte expansion, notamment avec beaucoup de couples aux alentours de la quarantaine qui se trouvent, ô surprise, en crise...
En parallèle j'ai gardé en mémoire quelques points énoncés par la conseillère lorsque je lui ai un peu expliqué le parcours qui me menait vers ce métier:
- une séparation est toujours quelque chose de psychiquement violent
- la violence fait partie de nous et il ne faut pas chercher à l'éradiquer. Elle a peut-être un rôle à jouer...
- le conflit est nécessaire, il marque un positionnement de l'un par rapport à l'autre
- parfois les choix se résument à celui de la survie: "c'est toi ou moi"
- toute notre vie est guidée par la recherche d'affection
- on n'est pas là pour aider les autres, mais on peut les aider à la prise de conscience de ce qu'ils sont
- l'indispensable responsabilisation de soi
- Le fonctionnement d'une relation, d'un couple, c'est 50/50 de part de responsabilité
- et enfin... elle m'a invité à réfléchir aux racines du désir d'harmonie et de pacification que j'ai exprimé, ce qu'il signifiait dans mon histoire personnelle
Certains de ces points sont des confirmations de ce que je crois, d'autres sont assez inattendus... Me voila face à de nouvelles pistes de réflexion. Cet entretien aura eu au moins autant d'impact qu'une séance de psychothérapie...
Edit du 16 septembre 2018 : il m'a été signalé l'existence d'un Guide de la sécurité internet pour les femmes, que je me fais un plaisir de partager ici.