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Alter et ego (Carnet)
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2 décembre 2005

Seau d'eau dans la figure

Hier, après ma promenade solitaire dans le silence lumineux de la neige, j'avais rendez-vous avec une conseillère conjugale. Euh... parce que j'ai des problèmes de couple ?
Non non, pas du tout. Je n'ai plus de problème de couple. D'ailleurs je ne suis plus en couple...

Je voulais appréhender d'un peu plus près cette profession qui... oui, qui m'intéresse. Long entretien avec une femme passionnée qui m'a expliqué en quoi consistait cette activité dans la structure à laquelle elle appartient, le Planning familial. C'est à dire un mouvement militant qui a toujours été à l'avant-garde, notamment en matière de contraception et de droit à l'avortement. Mouvement d'obédience féministe, m'a t-elle précisé...

Je dois bien avouer qu'elle m'a mis face à une réalité de terrain que je connais guère et dont je ne soupçonnais pas l'étendue. Très loin des seules mésententes ou crises conjugales...

En vrac, elle m'a d'abord parlé de tout le travail de prévention autour de la sexualité: sida et MST, contrôle des naissances, avortement, désir d'enfant. Ça je connaissais. Mais aussi de tout un pan du métier qui consiste à apporter l'information à l'extérieur de la structure. A éduquer. Une moitié du temps y est consacrée, avec des difficultés rencontrées pour transmettre le message face à des publics jeunes, souvent en révolte, et très largement sous-informés. Là il y a beaucoup de travail à faire, bien en amont de la "simple" sexualité. C'est toute une représentation des rôles et attributions préétablis entre l'homme et la femme qu'il faut "construire". Désapprendre les fausses différences qui sépareraient les sexes. Expliquer non seulement ce qu'est la sexualité, comment ça fonctionne hors des images pornographiques de référence, ce qu'est le désir, le plaisir, la tendresse, mais aussi le respect de l'autre. Tout cela est bien, bien, loin du monde éthéré et hyperprivilégié dans lequel j'évolue ou avec qui je partage mes réflexions. Ouille... la tendance à l'égalité des rapports homme-femme est loin d'être en marche chez les jeunes générations de certains milieux !

Plus rugueux encore, la réalité brutale cotoyée au quotidien: inceste, viol, violence conjugale, mariages forcés, prostitution sauvage... Et là c'est pas dans les journaux, mais dans le face à face ! La détresse les yeux dans les yeux. Avec nécessité de trouver des solutions au plus vite. Écoute, libération de la parole... puis rapidement dans l'action: accompagnement immédiat vers des structures sociales, voire auprès de la police pour aider à porter plainte.

Wouffff !!! je ne connaissais pas vraiment ce volet du métier, et surtout je n'en soupçonnais pas l'ampleur. Je pensais que c'étaient des cas exceptionnels. C'est passionnant bien sûr mais... ne faut il pas être sacrément solide ? Probablement. Les écoutants eux-même ont un soutien psychologique régulier, afin d'évacuer cette charge...

C'est un métier qui demande un fort investissement, et une prise en charge personnelle quoique évoluant en équipe. Il nécessite la capacité de gérer des groupes, pas forcément impliqués volontairement, parfois rétifs, sur des sujets pulsionnels. Travail dans des milieux très divers, et parfois difficiles.

Résultat: un peu groggy en sortant. Très intéressé par cette réalité qui, quoique difficile, est attirante. Mon désir d'aller vers l'autre, d'écouter, d'aider à la prise de conscience s'est mis en vibration. D'autant plus qu'il n'y a pratiquement pas d'homme dans ce métier. C'est un manque, notamment face au public masculin qui a besoin de voir qu'on peut être homme sans avoir une mentalité de macho.
Mais en même temps j'ai saisi toute la dimension confiance en soi, et connaissance de soi, nécessaires pour écouter autant que pour "tenir le coup". Je me suis senti bien "léger" face à cette femme aguerrie et avec une expérience qui relativise très fortement la minceur de la mienne. A l'évidence mon petit monde protégé m'a toujours tenu à l'écart de la vraie souffrance et j'ai à la fois envie d'y plonger, de mettre les mains dans cette boue de réalité brute... et la frousse de ne pas en avoir la carrure.

A noter aussi, que, quoique la demande d'aide soit en augmentation constante, la profession, pas vraiment reconnue (salaire de base inférieur à celui d'une femme de ménage...) reste soumise au bon vouloir des structures politiques...

Tout le coté "conseil conjugal" à proprement parler est aussi en forte expansion, notamment avec beaucoup de couples aux alentours de la quarantaine qui se trouvent, ô surprise, en crise...



En parallèle j'ai gardé en mémoire quelques points énoncés par la conseillère lorsque je lui ai un peu expliqué le parcours qui me menait vers ce métier:

- une séparation est toujours quelque chose de psychiquement violent
- la violence fait partie de nous et il ne faut pas chercher à l'éradiquer. Elle a peut-être un rôle à jouer...
- le conflit est nécessaire, il marque un positionnement de l'un par rapport à l'autre
- parfois les choix se résument à celui de la survie: "c'est toi ou moi"
- toute notre vie est guidée par la recherche d'affection
- on n'est pas là pour aider les autres, mais on peut les aider à la prise de conscience de ce qu'ils sont
- l'indispensable responsabilisation de soi
- Le fonctionnement d'une relation, d'un couple, c'est 50/50 de part de responsabilité
- et enfin... elle m'a invité à réfléchir aux racines du désir d'harmonie et de pacification que j'ai exprimé, ce qu'il signifiait dans mon histoire personnelle


Certains de ces points sont des confirmations de ce que je crois, d'autres sont assez inattendus... Me voila face à de nouvelles pistes de réflexion. Cet entretien aura eu au moins autant d'impact qu'une séance de psychothérapie...

 

Edit du 16 septembre 2018 : il m'a été signalé l'existence d'un Guide de la sécurité internet pour les femmes, que je me fais un plaisir de partager ici.

Commentaires
I
Alainx, je ne sais pas si les hommes sont rares à venir au Planning familial, mais rarement je me suis senti autant "observé": les cinq femmes qui étaient occupées à l'accueil à ce moment-là avaient leurs regards ostensiblement tournés vers moi...<br /> <br /> D'accord avec toi pour le côté "vocation", c'est bien là que je vois toute la détermination nécessaire. C'était aussi le but de cette première visite.
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A
Un homme au Planning familial !!!<br /> WAHOU !!!!!<br /> La Révolution Camarade !!!<br /> <br /> Celà dit il y a bien d'autres formes d'aide à la conjugalité, (et j'ajouterai à la parentalité) à chacun de trouver son créneau...<br /> <br /> C'est aussi "en amont" qu'il faudrait intervenir, mais c'est un autre débat...<br /> <br /> Là ou chacun peut se retrouver c'est "l'apreté" de ce type de métier. Je suis intervenu dans ce genre de structures en tant "qu'extérieur". Parfois je constatais que les "aidants" auraient bien eu besoin d'une aide personnelle, (et non pas uniquement collective), qu'ils ne recevaient pas EFFECTIVEMENT ... malgré les déclarations d'intention en ce sens.<br /> Cela finit par faire des dégats collatéraux parfois irréparables.<br /> Il faut une vocation pour tenir, la bonne volonté ne sert de rien, et encore moins les "bons sentiments" généralement aux effets dévastateurs....
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V
Je viens juste dire... que je ne sais pas quoi dire, surtout après les commentaires si forts d'Hélène et de Gourmande.<br /> Mais merci pour cette lecture, pour ces lectures.
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I
Hélène, il est vrai qu'il y a certainement une certaine dose de "frustration" dans les métiers de l'écoute. Ou plutôt, comme tu le dis, un sentiment d'impuissance. Mais je crois que la place de l'écoutant est de proposer une oreille attentive, prendre en considération le mal-être plus ou moins profond qui lui est confié. Effectivement on ne tend pas la main en attente de reconnaissance, ce serait n'avoir rien compris (et chercher à se soigner...). C'est l'inverse: on reconnait la souffrance de l'autre.<br /> <br /> Cette femme que j'ai vue hier me disait que souvent les personnes poussaient la porte du centre pour quelque chose en apparence anodin... mais que finalement la parole se libérait pour aller plus en profondeur et exprimer une angoisse.<br /> J'aime bien ce que tu dis sur la main tendue... et ouverte.<br /> <br /> Gourmande, merci pour tes précisions. Oui, j'ai vu que l'apprentissage de la "prise de distance" et la gestion des émotions faisait partie intégrante de la formation à ce genre de métiers.<br /> <br /> J'ai corrigé aussi l'inversion de sens que tu m'as signalée...<br /> <br /> Et pour la route qui ne se termine jamais, ouais c'est ce que je comprends jour après jour. J'ai l'impression qu'elle ne se termine que si un jour où on ne ressent plus le besoin de poursuivre...
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G
Hélène,<br /> Ce dont l'Idéaliste parle ici c'est d'un métier, une vocation dirai-je. Quand on fait ce genre de métier, on ne s'attends pas à avoir de la reconnaissance, on est là dans un lieu d'acceuil et ceux qui pensent que nous pouvons leur apporter quelque chose viennent vers nous avec espoir. Notre rôle et aussi notre "désir,besoin" est d'apporter un mieux dans leur vie. L'écoute ou la parole juste c'est déjà beaucoup pour ces personnes qui sont désespérées. La frustration ne vient pas si on donne sans en attendre un retour. Parfois on est frustré de ne pas pouvoir faire plus c'est vrai. Reste juste le sentiment d'avoir au moins soulagé si on n'a pas pu faire plus. Revoir certains avec un sourire c'est alors un grand cadeau. <br /> <br /> L'idéaliste, à part mon commentaire, je veux te dire que j'adore la photo, elle m'inspire la sérénité, la limpidité, la pureté.
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H
Quelques heures après l’aventure citée ci-dessus, nous étions de retour chez le copain. Dans sa belle demeure de marbre, presque un palais… avec une bonne cinquantaine de gens de maison. <br /> ( Qq années plus tôt, il créchait dans une simple piaule dans une cité universitaire où il était traité comme un immigré qui vient profiter du système français… Ah, la France et son sens légendaire de l’accueil des étudiants étrangers !)<br /> J’ai parfaitement confiance en lui et je peux parfaitement lui poser des questions « gênantes ». Je lui dis être surprise de le voir employer autant de personnes chez lui ; du cireur de chaussures, à celui qui coupe le gazon avec les ciseaux et autres basses besognes. Il me voit venir avec mes gros sabots. Ça le fait sourire bien sûr. J’ai droit au tour du propriétaire. Il y en a partout ; qui nettoient, font la poussière, brossent, qui disparaissent à chaque fois qu’on entre dans une pièce. Il m’explique qu’il ne les fait pas travailler parce qu’il en a besoin. Il y a trois fois trop de personnel dans sa maison. Et qu’il aimerait bien un peu plus d’intimité chez lui mais c’est la seule façon de donner sans en avoir l’air.<br /> S’il donnait le fric qu’il a alloué à ça, il aurait l’air d’un gros richard qui balance son fric. Il serait « détesté » parce qu’il donne. Et beaucoup de personnes dans le besoin refuseraient pour ne pas avoir l’air de mendier. Là, ils acceptent le petit boulot, plus ou moins heureux de le faire, mais au moins ils ont le sentiment de ne rien lui devoir.<br /> <br /> <br /> Tendre la main – ne pas attendre de remerciement.<br /> Tendre la main est souvent un geste maladroit. Pour que la main soit efficace, il faut (je crois) qu’elle soit tendue – of course – mais ouverte (déjà plus dur de laisser la liberté à celui à qui on la tend) et invisible (l’autre ne doit pas avoir l’impression d’être redevable). D’autant que je ne suis pas vraiment convaincue que les gens qui viennent dans ce genre de centres cherchent tant une main qu’une oreille et la bouche doit donc rester prudente. <br /> Conséquences directes ; ne pas attendre de reconnaissance de la part de ceux qu’on a tiré (ou aidé à se tirer) d’affaires, voire même le contraire. <br /> Encore une fois, frustrations …
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G
Je pense que tu as fait une belle rencontre avec cette femme"solide" comme tu dis.<br /> Je pense aussi que la solidité se forge avec l'expérience du métier.<br /> <br /> Pour ma part étant un peu dans ce domaine d"écoute et de conseil, je peux te dire que la formation dans quelconque domaine de la psychologie, prépare le terrain en ce qui concerne l'aide aux autres, mais aussi la protection de soi.<br /> Malgré cela, les premiers entretiens sont souvent vécus par le "thérapeute" comme douloureux, pesants et ont un impact sur sa propre vie. (Je précise qu'ils se font dans le cadre de la formation et qu'on est entourés, heureusement.)<br /> Je me souviens que j'avais parfois bien du mal à dormir après avoir écouté certaines personnes, leur problème me hantait et je me sentais bien "petite" pour apporter quelque chose de moi. Cependant apporter l'écoute c'est déjà apporter un mieux être.<br /> Il est vrai qu'au début on sort de son petit monde et on entre dans autre monde ou la "cruauté" existe. <br /> Et là comme tu dis, la réalité brutale, vient faire partie de notre quotidien. On s'y fait mais on ne s'y habitue pas, heureusement.<br /> Regarder la détresse les yeux dans les yeux ; c'est ce qui pour ma part à été le plus difficile, parce que j'avais souvent bien du mal à cacher mes émotions et retenir mes larmes devant la détresse.<br /> <br /> "C'est passionnant bien sûr mais... ne faut il pas être sacrément solide" <br /> Je ne sais pas s'il s'agit de solidité, mais on apprend à prendre de la distance, à ne pas "absorber" le malheur des autres et ne pas le greffer dans notre propre vie. Ce qui permet aussi d'être plus efficace.<br /> <br /> <br /> " Mon désir d'aller vers l'autre, d'écouter, d'aider à la prise de conscience s'est mis en vibration. "<br /> Ici tu dis écris quelque chose de très important, (aider à la prise de conscience) C'est un point fondamental dans l'aide à l'autre. Souvent c'est le manque de prise de conscience qui apporte le plus de souffrance, la conscience de ce qu'ils sont, comme tu dis, prise de conscience de la situation, prise de conscience de ce que vit l'autre, et aussi la prise de conscience de ne pas "mériter" ce malheur et d'avoir le droit de se défendre, se battre, se construire. Beaucoup de personnes viennent nous voir pour les aider à subir, ce qui parait incroyable.<br /> <br /> "Mais en même temps j'ai saisi toute la dimension confiance en soi, et connaissance de soi, nécessaires pour être écouté autant que pour "tenir le coup"."<br /> <br /> Ici je ne comprends pas bien ce que tu veux dire "être écouté" ou bien écouter ?<br /> Si c'est "être écouté", j'aurais plutôt dit être entendu, compris (dans le sens d'avoir pu faire passer un message).<br /> "Pour tenir le coup" On tient le coup parce qu'on est formé pour apporter notre aide, ouvrir des portes, ouvrir les consciences, notre apport nous aide à nous sentir utile, c'est ce qui permet de ne pas plonger. Sans se sentir puissant, on se sent actif.<br /> <br /> <br /> "J'ai à la fois envie d'y plonger, de mettre les mains dans cette boue de réalité brute... et la frousse de ne pas en avoir la carrure."<br /> <br /> Oui cette envie de plonger les mains dans la boue, c'est une belle image, en sortir des sujets salis, abîmés, cassés, et les nettoyer, les réparer, les solidifier.<br /> <br /> Nous sommes les restaurateurs des âmes. Je crois que c'est un merveilleux métier.<br /> <br /> La liste que tu donnes à la fin de ta note n'est pas exhaustive bien entendu. <br /> <br /> Je me permet d'ajouter :<br /> La violence peut être accepté, mais pas subite.<br /> Refuser la soumission, l'humiliation…<br /> Apprendre le respect de soi et de l'autre.<br /> Dans la vie on a toujours le choix et ne pas choisir c'est aussi faire un choix.<br /> Etc..<br /> <br /> <br /> "- et enfin... elle m'a invité à réfléchir aux racines du désir d'harmonie et de pacification que j'ai exprimé, ce qu'il signifiait dans mon histoire personnelle"<br /> <br /> La recherche du pourquoi de nos objectifs, nos points de vue, nos croyances, comprendre nos traumas, c'est toujours un travail à faire sur soi. Pour faire ce métier il est important d'avoir creuser nos profondeurs pour mieux se connaître, et mieux percevoir, détecter, comprendre, aider, soi même et les autres.<br /> <br /> "Me voila face à de nouvelles pistes de réflexion." <br /> Bon courage, la route est longue et en fait elle ne termine jamais.
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H
Nous étions dans un endroit où la petite blanche que je suis n’avait pas à être. Au milieu d’une foule en haillons, dans un monde en marche, qui marche et marche toute la journée, qui court derrière les quelques grains de riz nécessaires à sa pauvre subsistance. Des gens se battent presque pour essayer de nous vendre qq trucs. Dans ma tête, un leitmotiv ; « ne montre pas ta détresse – fais comme-ci tout ça était parfaitement normal ». J’essaie de mettre une bonne dose d’indifférence dans mon regard bleu et on continue d’avancer dans cette foule. Et c’est le face à face. Ce n’était pas un homme en lambeaux mais un lambeau d’homme ; un lépreux. Il manque un œil sur ce visage délabré. Il me tend son moignon. Son œil me fixe comme si j’étais la solution. Je suis tétanisée, je ne peux même plus bouger ; bien incapable de tendre la main à ce lépreux.<br /> L’ami malgache qui est avec nous a tout vu de la scène. Il me passe la main dans le dos et me force à avancer.<br /> Cette rencontre avec ce type est restée une blessure ouverte. Son image est restée très nette dans mon esprit - mon impuissance aussi.<br /> <br /> Impuissance, c’est là où je voulais en venir. Se battre avec son impuissance au quotidien doit être vraiment très dur. Il ne suffit pas de vouloir solutionner des problèmes ; il faut encore le pouvoir.<br /> Tu as plein d’ennemis dans ce genre de boulot ; toi, ton administration figée, ta victime qui n’aime pas ou a peur de ta solution (il vaudrait même plutôt dire la solution que tu proposes, car je ne suis même pas convaincue que tu puisses vraiment proposer « tes » solutions).<br /> Frustrations
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