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Alter et ego (Carnet)
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8 décembre 2005

Amour maltraitant

« Je t'aime.
Je t'aime et je souhaite ton bonheur.
Je t'aime tel que tu es... mais si tu n'es pas comme j'ai envie que tu sois, je te le fais comprendre. Si tu n'es pas à la hauteur de mes espérances, si tu déçois les exigences que je m'impose, alors je te fais payer ma déception. Je te dévalorise. Je tente de te faire accepter ma réalité et de te soumettre à mes volontés. Et lorsque tu ne peux par plier, je te casse. Je ne peux pas l'éviter, je ne m'en rends même pas compte...
(Quand vas-tu réagir ?)

Je t'aime... mais je n'accepte pas ta différence quand elle fragilise la carapace de mon assurance. Si tu t'adaptes à moi, ça m'évite de trop me remettre en question. Mon équilibre passe avant le tien. Alors si je te dis qui tu es et qui tu seras, fais moi confiance, c'est pour ton bien... celui qui fait le mien. Je te connais bien, crois-moi. Sois comme il me plaît et tout ira bien, tout sera simple entre nous. Je vois loin, moi. Je le sais et n'en doute pas. Toi tu cherches dans des directions que je n'ai pas envie d'explorer parce qu'elles pourraient faire vaciller les certitudes que je me suis bétonné.
(Acceptes-tu ma tyrannie ?)

Et tu m'aimes malgré tout, parce que tu ne sais pas faire autrement. Pris dans un sortilège, tu as besoin de la reconnaissance de quelqu'un que tu imagines plus fort que toi et que tu estimes pour cela. Tu veux être irréprochable pour me plaire et te protéger ainsi de la colère de mon déplaisir. En craignant mon rejet tu ne réussis qu'à te nier, à perdre ta personnalité, à te soumettre. Sans consistance, je t'aime moins. Je te fais payer encore plus cher ma déception, moi qui croyais en toi. Et tu confortes d'autant plus mon assurance à poursuivre cette emprise auprès des faibles comme toi.
(Comme moi...)

Tu m'aimes malgré cette impalpable violence qui crée un mal dont tu ne vois pas la profondeur des blessures. Parce qu'il en a toujours été ainsi et que cette anomalie est devenue ta normalité. Amour maltraitant. Violences qui te sont faites, que tu ne perçois même pas. Que tu ne dis pas. Que tu n'essaies même pas d'arrêter. Contre lequelles tu ne te révoltes pas. Docile, servile, tu te soumets toujours en espérant être aimé entièrement Tu as trop besoin d'affection. Tu intègres, équation aberrante, qu'aimer c'est aussi rejeter. Tu acceptes cet amour-là. Tu aimes dans la douleur et ne peux quitter mon emprise, parce que je t'apporte une sécurité dont tu m'es reconnaissant.
(Révolte-toi ! Réagis ! Résiste ! Existe ! Ose ta différence !)

Tu reviens toujours, lié par un invisible serment d'allégeance. Le seul amour que tu connaisses, c'est celui qui protège autant qu'il fait souffrir. Aime moi et ainsi je continuerai à exercer sur toi mon pouvoir. Moi qui t'éveille à la vie...

Mon fils, si tu acceptes cet enseignement muet tu aimeras comme moi, ta référence. Tu aimeras en rabaissant ceux qui se sentent plus faible que toi, ou bien en te soumettant a ceux que tu crois plus forts que toi. Tu trouveras ça normal et tu feras tout pour te conformer au modèle que tu as intégré. Malgré toi. C'est ta normalité et tu la transmettras en toute bonne foi, comme moi... »



Non papa, je t'ai suivi un temps, mais c'est fini. L'amour de moi, celui qui te faisait défaut, masqué sous une autorité cassante, tu ne me l'as pas donné mais je le conquiers. Et j'y trouve l'amour de l'autre, dans le respect de sa différence.

Je sors de cette malédiction héritée de je ne sais quelle ascendance. Voila douze ans que je me bats pour en extirper les ferments. J'ai refusé de transmettre ce mal-amour à mes enfants. Je continue à le traquer jusqu'au plus profond de moi, à chaque fois que j'en vois apparaître une manifestation. Je n'aimerai plus une femme comme tu as aimé la tienne... et comme j'ai trop longtemps aimé ma compagne de vie. Et je n'aimerai pas davantage en inversant les rôles. C'est bon, j'ai compris... Je ne veux plus être dans une relation de maltraitance. Ni dans un sens, ni dans l'autre. Je sais maintenant ce qu'aimer signifie, et j'y trouve peu à peu la paix...

Je continue à briser le cycle de reproduction... aussi long et difficile que ce puisse être. Et Dieu sait que c'est difficile...
Inlassablement je passe au scanner chaque dysfonctionnement de mon inconscient malformé.

Je ne sais pas combien de temps il me faudra pour dépasser les séquelles de cette violence qui ne laisse aucune trace apparente. Cette violence qui altère la construction de programmes sensibles: l'amour de soi, mais aussi l'amour de l'autre et envers l'autre. Repères décalés, étalonnage faussé, curseurs insensés.

Je ne sais pas combien d'années de ma vie seront nécessaires pour réparer les dégats, combien d'échecs et d'impasses avant d'avoir parcouru les recoins où le poison s'est diffusé, mais je m'en sortirai. C'est mon défi. Je me rends apte à vivre dans un amour plus épanouissant avec autrui, comme j'ai réussi à le faire avec mes enfants, comme je le réussis enfin avec mon ex-compagne de vie.

Tout ça je ne le le dirai jamais, papa. Je t'ai déjà pardonné, depuis longtemps.
Parce que je sais que tu m'aimes comme tu peux.
Et je t'aime malgré tout.

Même si ma vie en souffre encore.
Même si j'y ai entrainé ceux et celles que j'aime.

Même si tout cela se paye cher...

Commentaires
Y
waou... qu'elle résonnance en moi cette raisonnance... merci !
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I
Merci de me le dire...
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K
Profondément touchée par cet écrit... c'est peut être ça la magie de la lecture: lire d'un autre ce que l'on pense soi même.<br /> <br /> Merci pour l'émotion,<br /> <br /> Katia
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C
Je ne sais que te dire...quelle analyse lucide sur les disfonctionnements de l'amour, sur cette subtile mais mortifère tyranie que l'on exerce sur autrui sous le couvert de "l'amour".<br /> Parce que tu te bats, tu progresses lentement peut-être, mais sûrement<br /> Tu es un homme de relation, essentiellement<br /> Merci pour cette note
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