Le sens du silence
Le petit cercle de blogs dans lequel je m'inscris, informellement matérialisé par les traces de nos passages sur les commentaires des uns et des autres, est constitué de personnes dont les préoccupations m'intéressent. D'accord ou pas, les sujets de réflexions sont suffisamment proches des miens pour que cela stimule ma propre réflexion. Dans les axes développés par chacun, je puise ce qui nourrit ma réflexion du moment.
Il y est toujours question de relation à l'autre, ou à soi.
Tandis qu'Alainx est dans un cycle qui le fait s'interroger de façon approfondie sur la spiritualité et la conscience de soi, Goumande parle de l'échange intime dans sa dimension sensuelle et sexuelle. Il y a quelques temps elle abordait la fidélité relationnelle, dans l'aspect volonté de maintien du lien. Ailleurs c'est Tristana qui exprime sont ressenti dans une séparation vécue "en direct".
Ceux qui connaissent mon parcours savent à quel point chacun de ces sujets peut m'interpeller. Malheureusement il m'est matériellement impossible de prolonger la réflexion autant que je le voudrais, faute de temps. Mais je me nourris de ces reflexions et je sais qu'elle s'installent en moi et "travaillent". Le jour viendra où ce travail sera restitué, ici ou ailleurs. J'incorpore les pensées des autres à ma conscience.
C'est au sujet du silence que je vais écrire aujourd'hui, après avoir lu l'expression de souffrance de Coumarine. Il se trouve que son billet arrive au moment ou, dans ma vie relationnelle familiale, quelqu'un de proche exige que le silence soit fait. Demande qui tente de s'imposer de force, avec ce que cela peut avoir de dérangeant.
Par ailleurs j'ai été confronté au choix du silence, il y a quelques temps, au sein d'une relation qui était devenue essentielle à mon existence. Je l'ai très douloureusement vécu mais je crois avoir maintenant pris suffisamment de recul pour en parler. L'avantage des épreuves c'est qu'elles apportent de la maturité...
Une relation nait de la communication. Verbale, écrite, voire tactile. Quelle que soit la forme de la rencontre, pour qu'il y ait lien il faut qu'il y ait "contact". Cela se produit généralement par un mouvement spontané de l'un vers l'autre, sans volonté consciente: un jour on se rend compte qu'un lien a été établi.
Pour différentes raisons il arrive que, par la suite, l'une des deux personnes décide qu'elle ne désire plus être dans le même élan. Dès lors apparaît un "silence", donc une "distance", qui ne représente que le décalage d'investissement de chacun des partenaires dans la relation. L'un et l'autre n'ont plus le même désir de communication. C'est un point d'inflexion, temporaire ou durable, dans la construction du lien. Il est déstabilisant puisqu'il marque une "rupture" dans la dynamique relationnelle. Il va nécessiter une adaptation volontaire, et non plus spontanée, aux besoins de l'autre. L'un souhaite "plus", tandis que l'autre désire "moins".
Le silence relationnel est la marque de cette divergence. Mal géré, il peut aboutir à des tensions d'autant plus fortes que le lien affectif est soutenu. Et chaque partenaire risque d'être tenté par une imposition de son point de vue, alors que les besoins sont contradictoires.
Il n'y a aucun intérêt à entrer dans une logique d'opposition, sous peine de blesser la relation. Imposer le silence est tout aussi violent que d'imposer la parole. L'écoute des besoins de l'autre, du moment qu'ils sont exprimés, et la base du respect et de la confiance.
Je perçois le besoin de silence comme un besoin de reprise de distance affective. Un désir de se recentrer sur soi. Quelle que soit la valeur de la relation, le désir de silence exprime un besoin d'en diminuer l'importance relative. Il s'agit d'un processus analogue à celui de la défusion, bien connu dans la relation amoureuse, mais qui peut exister à moindre échelle dans toute relation. Vient un moment où la dynamique relationnelle marque une inflexion pour l'un des partenaires. Ce qui ne signifie pas qu'il en souhaite la fin...
L'adaptation consiste à accepter de changer cette dynamique. Malheureusement, cette rupture étant déstabilisante et potentiellement inquiétante pour l'autre, ce passage demanderait précisément un ajustement. Or celui-ci passe par la parole...
C'est un point très critique dans toute relation puisque ce qui devient "évidence" pour l'un ne l'est pas pour l'autre. L'investissement moindre s'impose en soi, peut-être parfois avec un certain malaise pour celui qui le sent apparaître, puisqu'il perçoit bien qu'il est acteur de ce décalage. Pour l'avoir vécu, je sais maintenant que cet épisode demande une grande attention, tant dans l'expression que dans l'écoute. Le "quittant" aura tendance, par culpabilité inconsciente, à avoir une expression inadéquate (peu d'expression, ou alors agressivité, repli), tandis que le "quitté" percevra le moindre investissement mais en niera inconsciemment la réalité. Dans les deux cas la communication deviendra complexe par manque, ou excès désordonné, de mots.
Une autre forme de silence imposé existe aussi sous des formes plus pernicieuses. Il s'agit du silence comme instrument de chantage affectif. Ou pour être plus cinglant: comme instrument de torture. Le pouvoir de celui qui impose le silence est imparable. D'une certaine façon l'autre est obligé de s'y soumettre... Toute tentative de restauration de contact devient intrusive, donc potentiellement aggravante.
Savoir que l'autre souffre du silence, ne pas réagir face à cette souffrance, ne pas chercher à l'apaiser, peut donner un grand pouvoir. Tout en sachant que la réciproque est vraie en matière de chantage affectif: exprimer sa souffrance en vue de rompre un silence insupportable est aussi une forme de manipulation tendant à la culpabilisation de l'autre.
Il existe aussi le silence tyrannique, sous forme de « je ne veux plus qu'on parle de ça ». C'est ce que vient de faire ma mère, pour clore un courrier familial collectif ou elle déversait tout un mal-être affectif dont elle-même avait été l'élément déclencheur. En jouant le rôle de la victime blessée, tout en interdisant qu'on revienne sur le sujet, elle tente de renvoyer la culpabilité de sa souffrance sur chacun... sans laisser la possibilité d'intervenir. Choix victimaire tyrannique. Outrepasser cette injonction oblige à une intrusion dans un espace de silence qu'elle impose. Respecter son souhait... c'est nier un ressenti personnel qui peut être en désaccord avec sa vision des choses. C'est une manipulation affective assez pernicieuse...
En toute circonstance le silence est une expression: celle de la limite d'un territoire relationnel. Il doit être respecté, du moment qu'il n'est pas tentative de manipulation affective ou générateur de sentiment d'injustice. Le silence est une façon de dire « je ne souhaite pas être en relation avec toi en ce moment ». Ces mots sont sans doute difficile à exprimer, et à entendre, mais ils sont pourtant essentiels pour donner du sens à ce qui n'en a pas. Le non-dit est un poison, une violence muette. Et le minimum qu'on puisse attendre d'une relation de confiance, c'est que les choses soient dites. Le silence non expliqué est une fuite qui laisse à l'autre le soin de trouver tout seul les explications manquantes. En ce sens le silence imposé est un puissant destructeur de confiance. Tout comme la communication construit une relation, le silence non-expliqué (non communiqué) détruit. Le silence imposé est un acte mortifère dans une relation.
Il a donc un certain sens...
Mais la parole imposée est tout autant mortifère, si elle ne respecte pas un besoin de silence. Sans compter que la parole est parfois une forme de non-dit, lorsqu'elle se disperse au lieu d'aller à l'essentiel. Lorsqu'elle fait diversion et s'égare loin de ce qui doit être dit.
Et cet essentiel peut parfois être de dire simplement: ton silence m'inquiète.
Ce qui est certain, c'est que du silence ou de la parole, la seule chose qui détruise la relation est la non-écoute des besoins de l'autre. Accepter, accueillir un besoin de silence clairement exprimé ne détruit rien. C'est une mise en attente, une pause relationnelle, dont chacun des protagoniste peut tirer parti. Si les désirs son respectés la relation n'est pas endommagée et le lien de confiance demeure. Celui qui a eu besoin de silence peut vouloir se ressourcer ailleurs et ne peut être que reconnaissant que ce besoin ait été reconnu. Et si le temps de silence conduit à un éloignement... c'est qu'il devait en être ainsi. Parce que la vie est mouvement et constante évolution. On ne force pas les choses en matière de ressenti: c'est ou ce n'est pas, et la volonté n'y peut rien.
Il y a un silence dont je n'ai pas parlé: quand il n'y a plus rien à se dire. Quand le temps de relation est passé dans une sorte de vide affectif, ne persistant que par habitude ou conventions. Je pense à certains liens familiaux "obligés", ou aux couples qui n'ont plus rien à se dire dans leur vie de cohabitation. Mais peut-on encore parler de relation, lorsque c'en est à ce point ?