Franchise, sincérité, honnêteté...
Les réponses à ma question précédente m'ont beaucoup intéressé par la richesse des subtilités qu'elles permettent. Ainsi, pour des mots qui ont un sens très proche, il n'est pas contradictoire de juxtaposer des termes tels que: "sincére mais pas franc". Ou "franc mais pas honnête". J'en viens même à me demander s'il est possible d'être à la fois franc et sincère !
Je vais tenter d'analyser ces variations qui, finalement, semblent assez unanimement identifiées dans un sens commun à tous.
L'origine des mots est très différente.
- Franc: francus => "libre", "qui dit ce qu'il pense"
- Sincère: la racine étymologique signifie "un" et sert à exprimer l'identité. Elle est particulièrement riche en dérivés. Sincerus => "pur", "naturel, "probe", est affilié à des mots tels que "ensemble", "semblable", "similaire", "simplicité", "singularité".
- Honnête: vient du grec honos: "témoignage de considération", qui a donné honneur. Honestus => "honoré" et "honorable"
En outre les trois mots se situent dans le mode relationnel mais dans des champs d'action différents:
- le "moi" et le "toi" ne sont pas positionnés de la même façon. L'un passe avant l'autre selon les situations.
- dans le domaine de la pensée apparaissent deux directions opposées: spontanéité ou réflexion.
- il y a ou non recherche de négociation, de conciliation, de convergence.
A noter que la notion de "vérité" est assez peu apparue dans les commentaires, et toujours rattachée à un principe de subjectivité.
Ce qui ressort globalement c'est que la franchise est une expression spontanée, sans calcul et sans ménagement, dans laquelle l'autre apparait nettement comme étant en position secondaire. C'est une information sur ce que je pense. La franchise, c'est dire "moi je".
« Dire à tout prix sans prendre en compte les conséquences », « déverser (son) mal-être sans en assumer la responsabilité». « La franchise, (...) c'est dire ce qu'on ressent au moment où on le ressent, tel qu'on le ressens, sans détour » et « on fait confiance à l'autre pour placer ça dans le contexte, quand, émotionellement, on ne peut le faire soi-même ». « La franchise c'est dire les choses crues, dures a entendre parfois mais qu'on "considère vraies", mais qui ne le sont pas forcement dans l'absolu. Ce n'est que notre vue des choses. (...) la franchise exprime une vérité qui nous est propre.» C'est « quelque chose d'impulsif (...) il n'y a pas de calcul, pas de cynisme, cela ressemble à la vérité qui sort de la bouche des enfants ». « La franchise, c'est je crois dire les choses comme elles sont, sans faux semblant, parfois sans ménagement » « on est franc vis-à-vis de quelqu'un. »
Dansla franchise le moi est prééminent et s'impose à l'autre. Ce n'est pas une pensée intérieure: elle est en relation avec l'autre.
Plus profondément je dirais qu'il y a la trace de la toute puissance du moi : « moi je ». L'autre a une existence propre et la recherche de mise en relation passe d'abord par une satisfaction : exprimer ce que j'ai en moi en considérant que l'autre saura quoi en faire et dispose d'assez d'éléments pour cela. C'est considérer que l'autre est suffisamment adulte pour faire la part des choses. Le respecter c'est l'informer de ce que je pense. La franchise est fondée sur l'égo et peut tendre vers l'impossibilité relationnelle pacifique.
La sincérité est tournée vers autrui. L'autre est considéré comme un sujet, avec qui je suis je relation. Il est respecté en tant qu'autre avec qui je veux communiquer. La sincérité c'est dire une vérité telle qu'on la ressent, mais avec la prise en compte d'une autre vérité possible. Le "je" s'exprime tout en ouvrant le dialogue avec l'altérité. Il y a un souci de l'autre, de sa sensibilité, de sa différence.
« Etre sincere, c'est etre franche, mais en prenant plus en compte l'autre, et en respectant son espace.». « La sincérité, c'est dire ce qu'on croit vrai de soi et de ce qu'on ressent. Mais il y a déjà plus d'analyse là-dedans... Et par ailleurs, on peut être sincère sans tout dire. Dire des choses vraies (...), mais pas dire d'autre choses tout aussi vraies (...) peut être de l'ordre de la sincérité. ». «on prend la sensibilité de l'autre en compte.». « sincère, on l'est plutôt vis à vis de soi-même: je suis conséquent avec ce que je pense devoir vivre, même si je ne te dis pas tout pour cela... ».
En donnant de la place au souci de l'autre, la sincérité présente donc le risque d'une certaine dissimulation. Elle est moins "franche" que la franchise. Elle calcule, elle anticipe. Moins nette, moins précise, moins fiable, elle joue davantage dans le domaine de la confiance. La sincérité demande davantage de fragilisation parce qu'il faut faire confiance à quelqu'un dont on sait qu'il est dans le flou et choisit ce qu'il dévoile.
Quant à l'honnêteté, sa différence d'avec la sincérité apparait dans cette phrase: «On peut être parfaitement sincère et ne pas être totalement honnête… avec soi-même ».
L'honnêteté est perçue comme quelque chose de personnel. On est honnête avant tout vis à vis de soi, et on l'exprime à l'autre sans rechercher la négociation. Tout comme la franchise, l'honnêteté ne se discute pas. On reconnaît ses limites devant l'autre, sachant qu'on ne peut aller au delà. C'est un positionnement exprimé. Il y a respect de l'autre, mais sans démarche d'ouverture. C'est une finitude.
En matière relationnelle, cela peut impliquer la fin d'une relation lorsque les deux partenaires ne peuvent plus évoluer davantage l'un vers l'autre.
«Toujours faire au mieux, connaître ses limites... Mais c'est quelque chose qui relève de l'intime, il n'y a que nous pour savoir comment on est honnête... personne peut vraiment le savoir à notre place.» « l'honnêteté, c'est être loyal. Reconnaitre que quelques chose qui nous fait chi.. peut avoir du bon ». « L'honnêteté ce serait pour moi admettre ses limites (...)remettre les choses en situation en définissant la place à laquelle on se trouve. Il y entre de la sincérité parce qu'on ne cherche pas à se montrer mieux que l'on est, on peut reconnaître ses torts, ses insuffisances, ou des choix nouveaux ». « Peut-être que le silence s'installe quand on ne peut plus être sincère, parce qu'ayant été honnête l'autre ne veut pas comprendre et nous renvoie sa souffrance, nous fait des reproches que nous ne pouvons plus entendre ? ».«L'honnêteté, pour moi, c'est une valeur morale, c'est de l'ordre de la droiture ».
L'honnêteté se heurte à la limite de la conscience de soi. Je cite un passage, que je trouve particulièrement éloquent parce que mettant en perspective toute la part invisible, inconsciente, de soi: « Il est très difficile d'être honnête… On s'aperçoit parfois qu'on a beau s'être cru franc ou sincère,on a joué quelque chose dont on ignorait les tenants et les aboutissants parce que trop souffrant, trop enfoui dans notre histoire.
Pour moi, honnêteté rime avec rigueur et c'est sans doute le plus difficile…
Il est tellement facile en effet de se laisser embarquer soi-même… et douloureux, pour soi, pour l'autre, de réaliser qu'on n'a finalement pas pu aller au fond de sa propre vérité. Qu'on a entraîné l'autre sans même y prendre garde. Et qu'à l'arrivée, en "toute honnêteté", il faut avoir le courage d'être franc, sincère pour rejoindre ce que l'on est. Hors de lui.
Et réciproquement, être capable d'admettre que s'il nous quitte, ce n'est pas par manque de franchise ou de sincérité mais par honnêteté envers lui-même.»
Je crois effectivement que l'honnêteté est difficile, et courageuse, parce qu'on ne se connait jamais autant qu'on le croit et que cette connaissance de soi évolue. Être honnête c'est savoir reconnaître qu'on est pas comme on croyait être, ou que l'autre n'est pas tel qu'on le croyait. Toute une part de notre inconscient agit à notre insu et nous trompe "en toute bonne foi". Être sincère, c'est bien dire ce qu'on pense... mais uniquement ce dont on a conscience à ce moment-là. Être honnête c'est le reconnaitre.
Sincérité et franchise peuvent être des "mensonges" de bonne foi.
C'est dans la différence entre la bonne foi consciente et la réalité inconsciente que s'insinuera l'incompréhension entre les partenaires. La méconnaissance de soi conduit à une incohérence que l'autre perçoit sans en comprendre le sens. La bonne foi, sincère ou franche, est incapable de l'expliquer et, au contraire, brouille les pistes. Quelle que soit la stratégie choisie, que ce soit celle de la conciliation ou celle de l'affirmation, l'harmonisation sera complexe et déséquilibrée si chacun ne se situe pas dans le même registre.
La sincérité s'ouvre à l'autre, mais peut aussi tendre à la dissimulation, ou à la tentative d'influence cachée. En revanche la franchise ne dissimule pas, mais s'impose à l'autre.
S'ouvrir à l'autre, c'est aller vers soi. C'est par l'altérité que je deviens moi, différent, singulier. Si je m'impose trop à l'autre je n'entre pas en relation, je me ferme à sa différence. Mais à trop tenir compte de l'autre je m'éloigne de moi, je m'indifférencie.
Tout se joue donc dans le dosage entre franchise et sincérité. Entre affirmation de soi et ouverture à l'autre. C'est tout un défi que de trouver le juste équilibre avec chaque partenaire de confiance. Tant qu'un langage commun n'est pas trouvé, il n'est pas certain que les besoins en franchise de l'un et en sincérité de l'autre permettent une compatibilité, aussi proches que les deux mots puissent paraître.