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Alter et ego (Carnet)
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17 juin 2006

Confidentiel

Nombreuses sont les professions soumises au secret professionnel. Les raisons sont différentes, mais toutes ont le même objectif: protéger l'individu de ce qui pourrait lui porter préjudice...

Dans le domaine qui m'intéresse, le secret touche à l'intimité des pensées. La clause de confidentialité a quelques particularités propres lorsqu'il s'agit d'écoute. Ainsi un psychotérapeute ne suivra qu'un seul membre d'une même famille. Les autres devront aller ailleurs. De même un thérapeute de couple pourra refuser de prendre un seul des conjoints en consultation privée, pour éviter des "alliances". Idem si c'est le système familial qui fait l'objet de la thérapie. On scinde les bulles d'intimité selon les systèmes relationnels. Ces conditions sont indispensables pour garantir un climat de confiance.

Dans un centre d'accompagnement tel que celui dans lequel j'effectuais mon stage, les entretiens sont soumis au secret... mais les cas sont discutés avec l'équipe. Secret partagé. J'ignore s'il ne réside pas là une certaine ambiguité, mais elle permet aussi d'élargir le champ de réflexion de l'écoutant, tout en lui permettant éventuellement de "déposer" ce qui est parfois trop lourd à entendre.



Dans la vie courante on a généralement bien moins de scrupules et on parle aisément de la vie des autres. A priori ce ne serait pas très gênant tant que "les autres" ne sont pas connus par l'interlocuteur. Mais bien souvent on parle de personnes qui se connaissent entre elles. La plupart du temps sans arrières-pensées ni conséquences. Mais il se peut qu'on désire, pour avoir un avis éclairé, se confier au sujet de difficultés avec la tierce personne absente. Il y a alors interférence entre deux sphères relationnelles. Jusqu'où est-ce possible ?

Dans la vie virtuelle on retrouve le même problème: il y a ce qui se dit au vu de tout le monde et ce qui se dit en coulisses. On peut supposer qu'on ne se confie pas sans évaluer si l'interlocuteur est digne de confiance, et que ce qui a été dit ne sera pas divulgué au delà du premier cercle. Il n'empêche que je reste circonspect puisque, bien que couverts par le pseudonymat, il y a confusion de systèmes relationnels. Or bien souvent, sur internet, nous sommes dans un degré élévé d'intimité.

Maintenant que je suis professionnellement sensibilisé au respect de la parole intime je deviens très prudent. Sensible aux confidences directes qui me sont faites, je suis de plus en plus réticent à apprendre par d'autres ce que je ne suis pas censé savoir... Ça me gêne. Je me sens dépositaire de quelque chose qui ne m'appartient pas. Comme s'il s'agissait d'une intrusion à l'insu d'une personne absente. En même temps je peux être touché par la confiance qui m'est faite, surtout lorsque c'est sous le sceau de l'amitié...
Je m'abstiens le plus possible, et de plus en plus, de parler de ce que je sais, même s'il s'agit de choses en apparence anodines et dont il n'a pas été précisé qu'elles étaient secrètes. J'ai évidemment toujours gardé secret ce qui m'a été précisé comme tel... Ce qui m'est confié ne va pas au delà de moi. Cela peut amener à des situations cocasses lorsque deux personnes sont dépositaires d'un même "secret" sans pouvoir en parler ouvertement.

Par ailleurs les avis personnels peuvent biaiser le regard. Je m'efforce donc, lorsqu'on me parle d'une personne que je connais en la percevant différemment, de ne rien en laisser paraître. A titre d'exemple, lorsque durant mon stage j'ai lu sur la fiche récapitulant de précédents entretiens "personnalité paranoïaque", ou "discours délirant", c'est avec ce bagage dûment étiqueté que je suis allé au devant de la personne. Et ce n'est pas elle que j'ai écoutée, mais une supposée paranoïaque dont je me méfiais. Il m'a fallu un certain temps pour entendre vraiment cette personne selon ce qu'elle disait ce jour-là.
D'un autre côté, il est parfois important d'être averti de certains traits de caractère ou comportements !

Dès que quelqu'un me fait part d'une appréciation personnelle, que se soit dans la vie terrestre ou sur internet, je retrouve ce même enjeu. C'est évidemment problématique lorsque l'appréciation va dans un sens négatif...



Il y a quelques jours j'ai écrit ici un rectificatif: j'avais fait l'erreur d'évoquer publiquement une affaire privée. De même, on peut percevoir de blog en blog, ou dans des commentaires, des allusions à des affaires privées. Si ça ne pose aucun problème tant qu'on reste dans des images positives, qui ne nuisent à personne, il en va tout autrement dans le cas inverse. A noter quand même qu'une grande convivialité (sentiment positif) entre écrivant et lecteurs peut aussi susciter un sentiment d'exclusion chez ceux qui n'osent pas s'immiscer...

Sans prétendre être un cas d'école, je crois que l'expérience singulière que j'ai vécu (une relation amoureuse entre deux écrivants du net) aura montré les dérives possible de ce genre de récit. Pris dans une recherche d'authenticité, autorisé par ma partenaire à évoquer librement notre relation, je n'ai compris que trop tard que je sortais d'un cadre que je n'avais pas identifié. C'est le sens même de mon écriture intime en ligne, paradoxe constant que je cherchais à appréhender, qui aura interagi avec la relation elle-même. Sans le vouloir je pense avoir nui tant à la relation qu'à ma partenaire. Le désir d'authenticité et la recherche des limites de l'intimité auront parasité un système relationnel complexe. Jamais je n'aurais dû évoquer quoi que ce soit de négatif publiquement. J'ai étalé une relation privée devant le regard des multiples relations écrivant-lecteur qui existaient tant du côté de mon amie que du mien. Un nombre important de lecteurs nous étaient communs.

Je pourrais m'interroger sur le côté "voyeur" de ceux qui lisaient nos difficultés relationnelles, ou se précipitaient sur le journal de mon amie juste après avoir lu certains de mes textes la concernant. Cependant je pense, et j'espère, que leur lecture ne se situait pas dans ce registre. La plupart de ceux que je connais sont des écrivants ou des lecteurs respectueux de l'intimité dévoilée en public. Car c'est aussi un des paradoxes de l'intimité publique: elle semble intéresser surtout ceux et celles qui la respectent. Je trouve que, très largement, le lectorat est respectueux et attentif. Rares sont les cas de moquerie ouverte ou de dénégation...

C'est d'ailleurs cette connivence dans le respect de l'intimité, dans le partage du "secret", qui contribue à la richesse des échanges interpersonnels et des relations interblogueurs. Moi-même je peux lire, comme bien d'autres, entre les lignes de certains blogs et comprendre certaines choses parce que je connais davantage que la facade publique. Je connais, comme d'autres, certains liens discrets. C'est aussi ce qui contribue à cette forme de socialisation en mouvement.

Il est heureux que les bulles relationnelles ne soient pas totalement hermétiques. On y perdrait beaucoup...




Cette problématique globale de l'intimité publique fait que je me sens actuellement hésitant dans mon écriture. Il se pourrait que je scinde la part "conviviale" (copinage entre blogueurs) et la part "généraliste", destinée à un public non identifié (et sans autre lien relationnel que l'écran sur lequel sont lus mes textes). Nombre de blogueurs ont plusieurs sites, avec différents degrés d'intimité. Je crois qu'à l'instar des différentes sphères relationnelles de la vie terrestre, il peut être judicieux de fractionner, ou imbriquer comme des poupées russes, plusieurs espaces d'expression sur internet. Cela va à l'encontre d'un désir d'unité authentique, mais je sais désormais que l'authenticité n'implique aucunement de chercher la transparence. Je peux la rechercher en moi, mais la montrer représente une mise en danger constante, et finalement épuisante... quoique particulièrement révélatrice de soi.
A la longue je pourrais me porter préjudice en ne respectant pas suffisamment mes secrets personnels, même si je cherche à en avoir le moins possible. Il est nécessaire que je préserve un jardin secret, même si ce jardin a été élaboré sous un regard public qui a contribué à le faire évoluer comme jamais je n'aurais pu le faire seul. Il en est de même pour les relations que j'entretiens avec divers écrivants (ou écrivantes...) du net.

Je dois beaucoup à tous ces lecteurs et lectrices, silencieux ou bavards. Davantage que l'outil internet, c'est par eux...[vous]... que ma vie à changé en me portant vers ce que je ne savais pas être. Et j'en suis très satisfait.

  • A lire en parallèle, au sujet des interactions entre intime et public: Ségolène
Commentaires
I
Alainx, ton intervention m'intéresse beaucoup parce qu'elle souligne des points qui m'ont laissé interrogatif.<br /> <br /> Je précise quand-même que le mot "cas" est de moi, je ne sais pas s'il est employé dans le centre. Je pensais à des situations particulièrement lourdes ou la personne écoutée, victime, peut être soumise à tout un système oppressant. D'une certaine façon elle n'est qu'"objet" dans une relation qui peut cumuler viol, inceste, forte maltraitance physique et psychologique, handicap, précarité... A ce point là je parle de "cas" parce que c'est un ensemble qui dépasse l'entendement (le mien...).En fait la personne qui devrait se faire soigner est l'agresseur, pas la victime.<br /> <br /> Il ne s'agit pas d'un centre de thérapie et les personnes qui reçoivent ne sont pas "psy", même si elles sont formées à ce type d'écoute. C'est un peu hybride entre le médical, l'assistance sociale, et le soutien psychologique. Il s'agit parfois de cas d'urgence...<br /> <br /> <br /> D'un côté la préservation du secret (intimité) me semble primordiale, de l'autre je me dis que pour l'écoutant... ça peut être tellement complexe à appréhender, et lourd à "porter", que d'en parler peut avoir des effets positifs sur l'amélioration de la situation à court terme (trouver une solution au plus vite).<br /> <br /> Ceci dit la plupart des écoutés n'est pas dans une situation qui justifie le partage du secret. Il y a sans doute une limite difficile à définir précisément dès lors qu'on accepte l'idée du partage...<br /> <br /> Le risque de se mettre en position d'attente existe pour "l'aidé" en grande difficulté . Il s'agit généralement de personnes qui n'ont pas la capacité de se responsabiliser ou d'entreprendre un travail personnel. Le mot "psy" fait encore peur à beaucoup de gens...<br /> <br /> En ce qui concerne un "avis" donné sur des fiches, je suis bien d'accord avec toi.<br /> <br /> Tout ça pour dire que ce centre n'est pas à "fuir d'urgence". Il fait avec les moyens dont il dispose en recevant des personnes qui sont parfois en grande détresse et qu'aucune autre structure ne recevra "spontanément". Les personnes viennent là parce que les prestations sont gratuites et "anonymes"... C'est un premier pas qui peut mener vers un suivi plus adapté: social, psychologique, ou par la justice... si toutefois la victime le désire. On ne peut rien faire pour quelqu'un qui ne veut pas d'autre aide.
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A
... Pas avec toi le désaccord Idéaliste, mais à propos des pratiques des autres dans ton stage :<br /> "Dans un centre d'accompagnement tel que celui dans lequel j'effectuais mon stage, les entretiens sont soumis au secret... mais les cas sont discutés avec l'équipe. Secret partagé. J'ignore s'il ne réside pas là une certaine ambiguité, mais elle permet aussi d'élargir le champ de réflexion de l'écoutant, tout en lui permettant éventuellement de "déposer" ce qui est parfois trop lourd à entendre."<br /> <br /> J'ai toujours dénoncé les effets pervers de ces pratiques du type "secret partagé", outre la "gourmandise voyeuriste" que cela alimente dans l'équipe (double gourmandise, vis à vis des "cas" [ce mot est largement significatif... on aide pas un "cas", on aide "une personne"...] et vis à vis de la manière dont se comporte l'aidant) ; par ailleurs c'est globalement inefficace vis à vis de "l'aidé", qui, soit se retrouve avec une nouvelle blessure de viol de secret, soit se place en position d'assisté passif (tout le monde sait mon cas, donc tout le monde va m'aider et je n'ai qu'à "attendre"...).<br /> <br /> Quant à cela s'ajoute la pratique des fiches : "(...) j'ai lu sur la fiche récapitulant de précédents entretiens "personnalité paranoïaque", ou "discours délirant", (...) " qui catalogue la personne d'une manière destructrice de la relation d'aide... j'avoue que je suis au bord de l'énervement !!<br /> D'ailleurs tu soulignes excellemment la difficulté que tu as rencontrée d'une spontannée réaction de "méfiance", alors si l'aidant catégorise la personne aidée + se méfie d'elle.... On avance vachement dans l'efficacité d'une aide !!!<br /> Heureusement Idéaliste que tu as de belles qualités humaines en toi-même... Tous les aidants ne sont pas de cet acabi... hélas...<br /> <br /> Centre à fuir d'urgence !!!<br /> Hélas il en est des centaines dans ce style...<br /> Ah les "apprentis sorciers" !! :-(((<br /> <br /> (je précise que je ne remets pas en cause la pratique de "synthèse", mais ses modalités...)
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H
Deux mots qui sont tellement liés qu'il serait invraisemblable de vouloir les séparer. Des cadeaux aussi beaux que l'amitié (même s'ils n'en sont pas forcément le témoignage).<br /> Au delà du risque que l'on prend à les offrir, il y a la trace d'une grande force intérieure. Dans la confiance, il y a déjà la notion de dépassement de soi, la foi en l'autre<br /> Que ce soit sur ton blog ou celui de Ségolène (Christine, excuse-moi, je ne connais pas suffisamment le tien), cette force transparaît. Vous confiez vos mots, touchez l'intime ou parfois l'effleurez seulement, mais toujours dans cette évidente authenticité qui est si attachante et pénétrante. Merci à vous
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S
Idéaliste, je suis trés sensible au sujet que tu développes, et à la façon dont tu chemines dans ton approche. <br /> Lorsque, pour ma part, j'ai réalisé que l'" authenticité n'impliquait nullement la transparence ", que j'étais dans ce niveau de confusion, je me suis réinterrogée sur ma démarche et j'ai voulu prendre de la distance. L'arrêt temporaire de mon journal correspondait à ce besoin de clarification et de désinvestissement. <br /> Parce qu'il y a bien aussi SURinvestissement lorque l'on se trouve dans une telle exigence. Exigence par rapport à soi / et attente démesurée d'un retour.<br /> Je crois en effet que délimiter ses propres espaces et leur assigner des fonctions différentes, (ce que je considérais comme une tricherie !!) représente une bonne solution. <br /> " Judicieux " comme tu dis car cela permet de procéder à un rééquilibrage et contribue en effet à se protéger. Ce tri naturel, sélectif, se fait dans la " vie terrestre " c'est mignon ça comme expression :-) parce qu'il est facteur d'équilibre tout simplement.<br /> Mais je crois que c'est seulement lorsqu'on commence à y voir clair intérieurement que l'on est capable de fonctionner sur ce mode.<br /> C'est que, déjà, on a résolu un certain nombre de problème et que l'on a regagné confiance en soi..<br /> Avant on est plus peut être dans l'urgence et la necessité.<br /> Bon , je relis pour une fois et je m'arrête !<br /> <br /> Si, bien sûr,une dernière chose, merci à toi.
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C
Voilà encore un message que j'ai lu avec beaucoup d'attention et de plaisir. Savoir conserver un "secret" comme un bijou précieux et l'enfermer définitivement dans un écrin dont l'ouverture ne se fait que pour soi. Connaître le danger des étiquettes posées de ci, de là, et essayer d'en faire abstraction lorsqu'on est en face de la personne, voilà une conduite franche, nécessaire pour se sentir bien avec soi-même. <br /> Se dévoiler un peu pour capter les conseils mais sans trop pour ne pas se mettre en danger. Nous avons tous nos codes de conduite plus ou moins bons mais cela s'apprends aussi...<br /> Se mettre en danger ne peut se faire qu'en toute confiance avec des personnes dont on sait que ce qui leur est confié n'ira pas au-delà. C'est peut-être ce qui fait le succès des psychologue aujourd'hui. Cette charte de confiance "signée" avec son client.
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