Confidentiel
Nombreuses sont les professions soumises au secret professionnel. Les raisons sont différentes, mais toutes ont le même objectif: protéger l'individu de ce qui pourrait lui porter préjudice...
Dans le domaine qui m'intéresse, le secret touche à l'intimité des pensées. La clause de confidentialité a quelques particularités propres lorsqu'il s'agit d'écoute. Ainsi un psychotérapeute ne suivra qu'un seul membre d'une même famille. Les autres devront aller ailleurs. De même un thérapeute de couple pourra refuser de prendre un seul des conjoints en consultation privée, pour éviter des "alliances". Idem si c'est le système familial qui fait l'objet de la thérapie. On scinde les bulles d'intimité selon les systèmes relationnels. Ces conditions sont indispensables pour garantir un climat de confiance.
Dans un centre d'accompagnement tel que celui dans lequel j'effectuais mon stage, les entretiens sont soumis au secret... mais les cas sont discutés avec l'équipe. Secret partagé. J'ignore s'il ne réside pas là une certaine ambiguité, mais elle permet aussi d'élargir le champ de réflexion de l'écoutant, tout en lui permettant éventuellement de "déposer" ce qui est parfois trop lourd à entendre.
Dans la vie courante on a généralement bien moins de scrupules et on parle aisément de la vie des autres. A priori ce ne serait pas très gênant tant que "les autres" ne sont pas connus par l'interlocuteur. Mais bien souvent on parle de personnes qui se connaissent entre elles. La plupart du temps sans arrières-pensées ni conséquences. Mais il se peut qu'on désire, pour avoir un avis éclairé, se confier au sujet de difficultés avec la tierce personne absente. Il y a alors interférence entre deux sphères relationnelles. Jusqu'où est-ce possible ?
Dans la vie virtuelle on retrouve le même problème: il y a ce qui se dit au vu de tout le monde et ce qui se dit en coulisses. On peut supposer qu'on ne se confie pas sans évaluer si l'interlocuteur est digne de confiance, et que ce qui a été dit ne sera pas divulgué au delà du premier cercle. Il n'empêche que je reste circonspect puisque, bien que couverts par le pseudonymat, il y a confusion de systèmes relationnels. Or bien souvent, sur internet, nous sommes dans un degré élévé d'intimité.
Maintenant que je suis professionnellement sensibilisé au respect de la parole intime je deviens très prudent. Sensible aux confidences directes qui me sont faites, je suis de plus en plus réticent à apprendre par d'autres ce que je ne suis pas censé savoir... Ça me gêne. Je me sens dépositaire de quelque chose qui ne m'appartient pas. Comme s'il s'agissait d'une intrusion à l'insu d'une personne absente. En même temps je peux être touché par la confiance qui m'est faite, surtout lorsque c'est sous le sceau de l'amitié...
Je m'abstiens le plus possible, et de plus en plus, de parler de ce que je sais, même s'il s'agit de choses en apparence anodines et dont il n'a pas été précisé qu'elles étaient secrètes. J'ai évidemment toujours gardé secret ce qui m'a été précisé comme tel... Ce qui m'est confié ne va pas au delà de moi. Cela peut amener à des situations cocasses lorsque deux personnes sont dépositaires d'un même "secret" sans pouvoir en parler ouvertement.
Par ailleurs les avis personnels peuvent biaiser le regard. Je m'efforce donc, lorsqu'on me parle d'une personne que je connais en la percevant différemment, de ne rien en laisser paraître. A titre d'exemple, lorsque durant mon stage j'ai lu sur la fiche récapitulant de précédents entretiens "personnalité paranoïaque", ou "discours délirant", c'est avec ce bagage dûment étiqueté que je suis allé au devant de la personne. Et ce n'est pas elle que j'ai écoutée, mais une supposée paranoïaque dont je me méfiais. Il m'a fallu un certain temps pour entendre vraiment cette personne selon ce qu'elle disait ce jour-là.
D'un autre côté, il est parfois important d'être averti de certains traits de caractère ou comportements !
Dès que quelqu'un me fait part d'une appréciation personnelle, que se soit dans la vie terrestre ou sur internet, je retrouve ce même enjeu. C'est évidemment problématique lorsque l'appréciation va dans un sens négatif...
Il y a quelques jours j'ai écrit ici un rectificatif: j'avais fait l'erreur d'évoquer publiquement une affaire privée. De même, on peut percevoir de blog en blog, ou dans des commentaires, des allusions à des affaires privées. Si ça ne pose aucun problème tant qu'on reste dans des images positives, qui ne nuisent à personne, il en va tout autrement dans le cas inverse. A noter quand même qu'une grande convivialité (sentiment positif) entre écrivant et lecteurs peut aussi susciter un sentiment d'exclusion chez ceux qui n'osent pas s'immiscer...
Sans prétendre être un cas d'école, je crois que l'expérience singulière que j'ai vécu (une relation amoureuse entre deux écrivants du net) aura montré les dérives possible de ce genre de récit. Pris dans une recherche d'authenticité, autorisé par ma partenaire à évoquer librement notre relation, je n'ai compris que trop tard que je sortais d'un cadre que je n'avais pas identifié. C'est le sens même de mon écriture intime en ligne, paradoxe constant que je cherchais à appréhender, qui aura interagi avec la relation elle-même. Sans le vouloir je pense avoir nui tant à la relation qu'à ma partenaire. Le désir d'authenticité et la recherche des limites de l'intimité auront parasité un système relationnel complexe. Jamais je n'aurais dû évoquer quoi que ce soit de négatif publiquement. J'ai étalé une relation privée devant le regard des multiples relations écrivant-lecteur qui existaient tant du côté de mon amie que du mien. Un nombre important de lecteurs nous étaient communs.
Je pourrais m'interroger sur le côté "voyeur" de ceux qui lisaient nos difficultés relationnelles, ou se précipitaient sur le journal de mon amie juste après avoir lu certains de mes textes la concernant. Cependant je pense, et j'espère, que leur lecture ne se situait pas dans ce registre. La plupart de ceux que je connais sont des écrivants ou des lecteurs respectueux de l'intimité dévoilée en public. Car c'est aussi un des paradoxes de l'intimité publique: elle semble intéresser surtout ceux et celles qui la respectent. Je trouve que, très largement, le lectorat est respectueux et attentif. Rares sont les cas de moquerie ouverte ou de dénégation...
C'est d'ailleurs cette connivence dans le respect de l'intimité, dans le partage du "secret", qui contribue à la richesse des échanges interpersonnels et des relations interblogueurs. Moi-même je peux lire, comme bien d'autres, entre les lignes de certains blogs et comprendre certaines choses parce que je connais davantage que la facade publique. Je connais, comme d'autres, certains liens discrets. C'est aussi ce qui contribue à cette forme de socialisation en mouvement.
Il est heureux que les bulles relationnelles ne soient pas totalement hermétiques. On y perdrait beaucoup...
Cette problématique globale de l'intimité publique fait que je me sens actuellement hésitant dans mon écriture. Il se pourrait que je scinde la part "conviviale" (copinage entre blogueurs) et la part "généraliste", destinée à un public non identifié (et sans autre lien relationnel que l'écran sur lequel sont lus mes textes). Nombre de blogueurs ont plusieurs sites, avec différents degrés d'intimité. Je crois qu'à l'instar des différentes sphères relationnelles de la vie terrestre, il peut être judicieux de fractionner, ou imbriquer comme des poupées russes, plusieurs espaces d'expression sur internet. Cela va à l'encontre d'un désir d'unité authentique, mais je sais désormais que l'authenticité n'implique aucunement de chercher la transparence. Je peux la rechercher en moi, mais la montrer représente une mise en danger constante, et finalement épuisante... quoique particulièrement révélatrice de soi.
A la longue je pourrais me porter préjudice en ne respectant pas suffisamment mes secrets personnels, même si je cherche à en avoir le moins possible. Il est nécessaire que je préserve un jardin secret, même si ce jardin a été élaboré sous un regard public qui a contribué à le faire évoluer comme jamais je n'aurais pu le faire seul. Il en est de même pour les relations que j'entretiens avec divers écrivants (ou écrivantes...) du net.
Je dois beaucoup à tous ces lecteurs et lectrices, silencieux ou bavards. Davantage que l'outil internet, c'est par eux...[vous]... que ma vie à changé en me portant vers ce que je ne savais pas être. Et j'en suis très satisfait.
- A lire en parallèle, au sujet des interactions entre intime et public: Ségolène