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Alter et ego (Carnet)
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9 août 2006

Souvenirs pour le futur

Il s'est dit pas mal de choses qui m'ont intéressé dans les commentaires qui ont suivi mon dernier post. Entre garder et jeter se retrouve la problématique du tout ou rien, du passé et du présent, du choix et du renoncement... Autrement dit bien des choses qui entrent en résonnance avec mes questionnements actuels.

En soi il n'y a pas de bonne ou de mauvaise façon de faire. C'est une attitude personnelle, qui dépend probablement moins d'un vrai choix que d'un héritage inconscient. Et chaque choix a incontestablement avantages et inconvénients.

Tout cela m'interpelle à l'heure ou je comprends qu'avancer demande de se détacher du passé. Détachement... attachement... liens... Liberté ?

Le passé est un repère. Il est porteur d'explications sur le présent ressenti. Mais il peut aussi, du moins pendant certaines phases critiques, être une entrave. En fait c'est le moment du détachement qui est difficile à vivre. Quand je choisis de laisser le présent s'enfoncer dans le passé, je renonce à le faire durer. Trouver un objet et le jeter, c'est choisir de me détacher de ce qu'il représente. C'est déclencher le processus de l'oubli. Quand il s'agit de vieux journaux ou de casseroles percées, ça n'a guère d'importance immédiate. Mais à un second niveau de conscience, ce n'est pas les objets eux-mêmes qui ont de l'importance, mais le fait qu'ils aient été gardés. C'est un indicateur d'une certaine façon de voir le monde. Quelqu'un qui garde des boites entières de "vieux clous rouillés à détordre" trahit un certain rapport aux objets. Est-ce la peur de manquer ? Une pingrerie maladive ? Un souci de non-gaspillage ? Une incapacité à jeter ? Autant d'éléments qui indiquent, à travers celui qui agit ainsi, une part de son histoire. Donc de la mienne, s'il s'agit d'un de mes ascendants.

La mémoire transgénérationnelle passe aussi par ce genre de détails pratiques. Les enfants d'un parent qui jette, ou au contraire qui garde, sont influencés dans leur façon de voir le monde. Cela peut jouer sur la confiance en l'avenir ou sa crainte, un attachement au passé, un esprit plus ou moins conservateur ou aventurier. Cela peut aussi indiquer une tendance sédentaire, propice à l'accumulation, ou au contraire une grande mobilité qui oblige à renoncer souvent. A couper avec le passé. Modes de vie signifiants.

Mon grand-père gardait tout (les boites de clous rouillés, c'est lui) et ma mère a passé des années à faire le tri dans une quantité d'objets, de meubles, de papiers. Faire le tri pour distinguer ce qui était important de ce qui était sans aucun intérêt. Elle a ainsi gardé tous les dessins de son père, artiste qui ne développa jamais son talent. En particulier des croquis faits dans un camp de prisonniers en Allemagne, durant la première guerre mondiale. D'une certaine façon ces dessins ont une valeur patrimoniale certaine, voire historique. D'un autre côté... à quoi ça sert ? Qui peut bien se préoccuper des conditions de vie dans les baraquements d'un camp il y a presque un siècle ?

Moi !

J'aime savoir ce qu'à vécu ce grand-père auquel je ressemble tant, paraît-il. J'aime savoir d'où je viens et comprendre peut-être un peu le regard que m'a mère à porté sur moi, y compris jusque dans les projections qui ont contribué à me donner une identité. Ce grand-père dessinateur fustré (sa mère le lui interdisait), volontiers rêveur, mais aussi un peu fantasque malgré les brides qu'il a portées toute sa vie, c'est une part de moi. C'est le père de ma mère, elle qui a cherché une stabilité avec mon père si sérieux et carré. J'ai "choisi" le côté maternel de mon ascendance plutôt que celui de mon père. Je suis assez fantaisiste, volontiers attaché au passé, et je trouve une légitimité à mes manies de tout garder dans le comportement de ce grand-père. Physiquement je lui ressemble un peu, j'ai certaines de ses expression, mais c'est surtout dans ma façon d'être que l'analogie frappe ma mère. Peut-être en ai-je fait une sorte de modèle sans même en avoir conscience. Dans ce que ma mère à gardé de lui je retrouve mes racines. Il était artiste, bricoleur, photographe assidu (dans les années 30 !), sensible, émotif, observateur du temps qui passe et des évolutions du progrès. Probablement un homme avec qui je me serais très bien entendu, s'il n'était pas mort quand j'avais six ans.

J'ai une affection particulière pour lui, et probablement parce qu'il a gardé tant de choses pour me le rendre "présent". Je me souviens de ses milliers de photos sur verre (fantastique stéréoscopie !) qui me plongeaient dans un passé inacessible, mais qui semblait tellement vivant. Tellement évocateur d'une époque dont je me sentais "proche". Il y photographiait sa famille, son travail, les paysages qu'il aimait. Et aussi les grands chantiers de sa ville, manifestement avide d'observer des processus évolutifs. Dans son bric à brac de souvenirs, j'ai trouvé une partie de mes racines, mais aussi de ma sève. C'est, de mes grands parents, celui qui m'a légué le plus de souvenirs, de traces. Et c'est pour moi un très précieux héritage.

De lui j'ai probablement conservé ce désir de témoigner d'un présent en évolution. Et de léguer à ma descendance de quoi assouvir son éventuelle curiosité.



fenetre2

Cette fenêtre à beau témoigner du passé,
il ne sera pas absolument nécessaire de la conserver...

Commentaires
M
Quand le tien s'est marié, le mien devenait grand-père .. ceci explique cela.
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P
Laudith, c'est bien parce que je comprends que le passé bouffe un peu du présent que je me pose toutes ces questions. En même temps le passé nous irrigue, nous explique quelque chose de notre présent. Comme en toute chose c'est dans le dosage que ça se joue...<br /> <br /> Marie, si ton fils a presque mon âge, nous ne sommes effectivement pas de la même génération. mais nos grands-père peuvent pourtant bien être de la même. Le mien s'est marié à 38 ans et en avait dix de plus quand ma mère est née. Il a fait sauter une génération...
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M
Je veux dire que toi et moi ne sommes pas de la même génération ... Il y a forcément entre nos grands-parents et nous la génération intermédiaire des parents. Pour la quarantaine (dixit Alter) c'est à la fois mon dernier frère et mon premier fils (43)
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L
J'ai rêvé de mon père, la nuit dernière, ce rêve m'a beaucoup troublée, demain j'irai sur sa tombe, il me manque énormément.<br /> <br /> Mon père avait tendance à garder beaucoup de choses, je crois que j'ai aussi pris cette habitude, mais petit à petit, je me sépare de pas mal d'objets mais j'ai gardé la broche de mon arrière grand-mère sur laquelle est la photo de mon arrière grand-père en tenue militaire.<br /> <br /> J'ai envie de vivre dans le présent.
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P
Pati, ces générations ont souvent eu une vie bien plus rude que la notre et il nous est probablement difficile de nous l'imaginer. Rudes conditions de vie qui forgent le caractère, en effet... <br /> Ses mots sont en toi, ils sont d'une autre nature que les objets pour être porteurs de souvenir.<br /> <br /> Des récits tels que ce que tu as retranscrit, Christine, permettent d'en prendre la mesure. C'est un bien précieux cadeau que t'a laissé ton grand-père avec ce journal.<br /> <br /> Marie, tu veux dire que tu as l'impression qu'il y aurait bien plus qu'une génération entre ces vies-là et la tienne ?
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C
Je ne sais pas si tu as lu ces extraits du journal de mon grand-père dans mon blog. C'est un cadeau magnifique qu'il nous a laissé à la fin de sa vie et j'avoue que je n'ai pas regardé sa maison cet été, En Espagne, avec le même oeil que si je n'avais pas traduit et retranscrit ce journal avant. J'ai également mis le lien sur mon pseudo. L'écriture n'est pas très élaborée mais ce sont ses mémoires à lui et j'ai respecté, ce qui n'est pas une mince affaire ;-). <br /> http://viedefemme.canalblog.com/archives/2006/05/29/1984264.html<br /> 3 extraits sont dans la catégorie "journal de mon grand-père". Je le savoure à chaque lecture.
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M
L'un était sous les drapeaux lors de la première guerre mondiale, l'autre prisonnier en Allemagne pendant la seconde. De ces deux-là j'ai la mémoire. Pourtant je n'ai pas l'impression que nous soyons de la même génération ...
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P
L'évocation de ton grand-père m'a fait sourire. Un de ces sourires doux qui remplacent très bien les mots...<br /> A lire ta description de lui, je revois le mien, forcement... sensiblement la même génération, je suppose.<br /> Cette époque-là a généré des hommes rudes, forts et les alèas historiques ont placé face à eux leur propre sensibilité. Mélange détonant, que ces hommes curieux du monde, droits sans être rigides, malgré le poids de leurs obligations...<br /> <br /> j'aime beaucoup ta phrase "J'ai "choisi" le côté maternel de mon ascendance plutôt que celui de mon père."<br /> Oui. j'ai fait le même, en fait. Bien sûr, il existe des raisons pragmatiques à mon choix, mais finalement, je n'ai fait que tendre vers un homme, un couple qui m'inspirait le meilleur de moi, à tout instant.<br /> <br /> J'aurais aimé avoir un ou deux petits objets de lui. Histoire de les avoir toujours sur moi, comme l'unique boucle d'oreille restante de ma mamé, qui est pendue à mon lobe et ne le quitte jamais.<br /> Mais je n'ai rien. Juste ses mots, dans ma tête, qui résonnent au moindre soubresaut de ma mémoire et quelques clichés de lui.<br /> <br /> Je pense tout de même préféré garder ses mots qu'un objet palpable...<br /> <br /> mais il y a une différence notoire, entre nos deux vécus, Pierre... <br /> Je l'ai cotoyé huit ans de plus que toi le tien. Je ne sais pas comment j'aurais réagi si j'avais eu moins de temps à passer avec lui. J'ai eu, un peu, le temps de me forger des souvenirs et à mes yeux, ils sont toute ma richesse.
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