Sourire terni
J'ai passé ma dernière nuit dans ma vieille maison, désormais presque vide. Dernière nuit aussi pour Futurex dans sa maison, qui devient la mienne dès aujourd'hui. Cet après-midi toute la petite famille sera réunie pour l'accompagner dans son appartement, à l'occasion du déménagement du lit et autres accessoires volumineux. Je lui avais proposé, pour le soir, de l'inviter chez elle avec les enfants, en préparant un bon repas. Ceci afin qu'elle ne se sente pas trop seule lors de cette transition.
Entretemps il y a eu une ombre au tableau de la belle entente qui n'aura, hélas, pas duré jusqu'à la séparation. En quelques mots c'est toute notre différence qui nous sera revenue en pleine figure, comme pour rendre plus évidente l'inéluctabilité du processus. Tout allait bien, très bien, et puis d'un coup notre conception différente des limites se montre, flagrante: là où j'ai besoin de netteté je la sens floue, là où le flou me sied elle a besoin de netteté. Incompatibilité qui est devenue majeure depuis que les limites en jeu sont celles de la relation elle-même.
Une incompréhension, un ressenti négatif... et hop, un aiguillon défensif qui blesse en retour. Voila. Quels que soient les efforts de pacification ils ne suffisent pas toujours. Du coup, hier, on a été absents l'un à l'autre. En disharmonie. Déjà distants. Je sais que c'est une simple péripétie qui se réparera, comme il y en a eu déjà beaucoup, mais symboliquement j'aurais préféré qu'il en soit autrement. Peut-être pas elle ? Il semble qu'elle ait besoin d'une certaine violence, d'un déchirement. Comme si la douceur était incongrue. Comme si on ne respectait pas la logique "normale": une séparation doit être douloureuse. Souvent elle emploie des mots qui coupent face aux miens qui relient. Dynamiques inversées. Alors j'accepte ce qui éloigne... pour que ça n'empire pas.
Parfois je me demande si je ne suis pas trop gentil, trop attentionné, trop patient, trop modérateur. A vouloir que tout se passe au mieux est-ce que je n'en oublie pas mes besoins propres ? Pourtant je ne sais pas être autrement. Pour la paix et l'harmonie d'une relation je suis capable de bien des concessions. Ne devrais-je pas manifester beaucoup plus clairement mes propres limites, plutôt que d'encaisser le mal-être de l'autre qui m'agresse ou me repousse injustement ? Pourquoi est-ce que je laisse l'autre me faire mal, en acceptant de servir de punching-ball ? Ne devrais-je pas affirmer que, non, ça je ne l'accepte pas, quels que soient ses ressentis ? Ne devrais-je pas laisser éclater ma colère pour me protéger des agressions déplacées ?
Ce que j'acceptais dans une relation de couple me semble de plus en plus incongru dans l'après. A ces moments-là je suis vraiment soulagé de voir cette séparation s'effectuer. J'aurais envie de dire « débrouille-toi toute seule maintenant ! je ne veux plus encaisser tes lubies ». Pourtant je sais que ce serait evenimer les choses, risquer de détruire le résultat de ces années d'efforts de pacification. Ce serait tellement facile de laisser la situation partir vers une surenchère de rejet mutuel. Tellement plus facile de faire "comme les autres".
Parfois je me demande si ce n'est pas ce qu'elle cherche, à son insu.
Comme si là encore nos différences apparaissaient : déchirer là où je souhaite détisser. Dans la douleur plutôt que dans la douceur. Je me demande ce qu'il en aurait été si je n'avais pas eu cette conciliance et cette patience qui m'ont fait accepter de céder à ses exigences. Oh, elle n'est pas un monstre, loin de là. Elle aussi a fait preuve de patience en acceptant de suivre la lenteur d'un processus de défusion douce, et en me soutenant matériellement durant tout ce temps. Je ne peux qu'en être reconnaissant. Elle sait être très gentille et attentionnée... si elle se sent aimée et acceptée. Mais rapidement elle peut basculer de l'autre côté, retrouvant ses anciens réflexes de protection agressifs. Et parfois elle se trompe sur mes intentions. Face à cela il me faut résister, alors que mon hypersensibilité me fait ressentir très durement ces marques de désamour.
Sentir l'autre me repousser, me rejeter, ou m'ignorer, me transperce le coeur de part en part. Même si, avec le temps, j'ai compris que je m'en remettais toujours. Je ne suis pas rancunier, ce n'est pas ma façon d'aimer. Je relativise. Je cherche à comprendre. Je pardonne. Avec le temps j'ai appris à taire les ressentis douloureux, en évitant de surenchérir dans le rejet. Je crois que la pacification relationnelle est à ce prix... fort coûteux en énergie, quoique récompensé par des résultats probants. Il faut savoir ce que l'on veut, n'est-ce pas ?
Et comme me l'a fait comprendre un commentaire au billet précédent, c'est la paix et la sérénité que je recherche dans la vie. C'est mon objectif premier. C'est ce qui me donne cette patience et cette persévérance. J'y trouve une satisfaction.
Alors, ce soir, je fais quoi ? Je maintiens mon repas d'accompagnement ?
Je pourrais me désister, marquant ainsi fortement mes limites. Montrer que je n'accepte plus certaines maltraitances. Mais ça servirait à quoi, à part générer de la tristesse et faire du mal en retour ? A elle, aux enfants, à moi. Ce n'est pas dans ma nature. Alors je serais gentil, accompagnant et aidant, parce que c'est la solution la plus pacifiante. Et la plus aimante. Et que je ne sais, ni ne veux, être autrement.
Mais mon sourire sera certainement moins grand qu'il n'aurait pu être.
Sauf si elle fait quelques pas vers moi, rétablissant ainsi l'harmonie entre nous...