En parler ou pas
Parler d'un évènement, ou l'écrire sur un blog, n'est-ce pas le faire surexister ?
C'est la question que je me pose après m'être "lâché" au moment de la séparation effective d'avec Futurex. Si poser des mots sur des faits et exprimer les émotions ressenties est utile, en pouvant contribuer à mettre à jour ce qui est refoulé ou nié, à donner une consistance, à libérer d'une charge, en revanche il existe un risque corollaire: celui du surdimentionnement. Ou surmédiatisation, pour reprendre un terme à la mode.
En délivrant un ressenti douloureux, parce qu'à ce moment précis un grain de sable est venu contrarier le processus, je lui ai donné une importance exagérée. Avec quelques jours de recul j'en prends conscience: ce n'était qu'un élément mineur.
Cette séparation se déroule globalement très bien (jusqu'à maintenant...). Encore mieux que ce que j'avais imaginé. Nulle tristesse, nul ennui. C'est presque comme s'il en avait toujours été ainsi. Elle vit de son côté, je vis du mien. Chacun ses activités. Depuis deux ans et demi que j'avais quitté la maison, même si nous vivions à proximité immédiate et avec des contacts quotidiens, chacun avait organisé sa vie conformément à ses désirs et sa façon d'être. La dissociation a été très progressive et, hormis quelques moments de crise donnant lieux à des ajustements, l'ensemble s'est déroulé de façon satisfaisante. Sans douleur excessive, compte tenu du bouleversement que ça représentait pour chacun de nous.
Ce qui a parfois donné une importance exagérée dans mes écrits, c'est l'évocation successive des changements pratiques, eux aussi de l'ordre de la séparation: quitter la vieille maison ou je vivais, vendre de vieux bâtiments auxquels nous étions attachés. Renoncer, aussi, à la vie commune et à un avenir partagé. Ce qui n'est pas pour moi tout à fait dans le même registre que la dissociation du couple au présent.
Bref, il y a eu une succession de "deuils" à faire. Difficiles, certes, mais en prenant tout le temps nécessaire pour cela. Le choc en a été infiniment moins violent, quoique plus étalé dans le temps. C'est d'ailleurs cet étalement qui a permis une acceptation progressive, tandis que la brutalité d'une décision immédiate aurait mis face à une muraille d'incompréhension.
Comprendre, accepter, renoncer, reconstruire... autant de phases qui demandent du temps.
Je ne regrette pas ce choix que j'ai fait de "prendre le temps", malgré des critiques venues de notre entourage. Ce temps d'évolution a parfois été pris comme de l'immobilisme, voire carrément un abus. Des personnes ont parfois tenté d'influencer Futurex pour qu'elle ne se laisse pas faire. Par chance elle a gardé confiance en moi, notamment en maintenant un dialogue sincère, et à su prendre ses distances avec qui transposait sur elle ses propres craintes.
Ce temps d'évolution, qu'on pourrait croire "perdu" puisqu'il bloque un temps de vie, est au contraire l'occasion de délier, de détisser, de libérer deux personnes qui avaient choisi d'unir leurs vies. Certes durant ces trois années nous avont été absorbés par ce processus, mais simultanément nous nous sommes libérés "proprement", et sans doute assez complètement. Je pense avoir préservé ce qui, a mes yeux, était l'essentiel: une confiance et un état d'harmonie relationnelle. Que nos vies soient maintenant dissociées ne m'attriste même plus vraiment...
J'y suis prêt.
Et c'est là que je comprends que le temps de deuil, récemment réactivé à l'occasion du déménagement, durant lequel ressurgissent des tas de souvenirs véhiculés par des objets, des photos, des lettres, était un passage nécessaire et particulièrement productif. Ne pas refouler, mais vivre le moment. Vivre la tristesse, sans y sombrer.
Mais revenons mon propos initial: en écrivant sur la séparation et ses conséquences j'ai laissé s'épancher ce que j'avais envie de transmettre. C'est une part de mon ressenti, variant au gré des jours et de mes sentiments. C'est à la fois entièrement vrai et, comme on peut s'en douter, largement faussé. En choisissant mes sujets, et selon l'importance que je leur donne, les mots que j'emploie et l'effet que j'ai envie de transmettre, je montre ma vie à travers les fentes d'une palissade avec, mis en évidence, des hublots grossissants focalisés sur certains points. Il y a des zones totalement occultées, et d'autres hypertrophiées. Et puis il y a toujours la tentation de "raconter" l'histoire. Sans qu'elle n'ait rien de faux, elle est transformée par le pouvoir des mots. Écriture hybride entre le journal personnel, la conversation, le récit de vie, voire le roman vécu (ou le vécu romancé). Paradoxe de l'intime extimé, qui me tiraille régulièrement depuis que j'écris en ligne...
C'est évidemment le pacte tacite qui noue écrivant et lecteur, tout particulièrement avec les blogs. Mais j'avoue que parfois ça me dérange d'être celui qui choisit les angles de vue et dispose de toute latitude pour embellir ou dramatiser une situation. Moi-même je peux me faire prendre à ce jeu, colorant selon mon humeur du jour la subjective réalité des faits. D'une certaine façon les commentaires m'aident parfois à élargir l'étroitesse de mes champs d'énonciation et à reprendre pied avec ce que vous, lecteurs, pouvez en percevoir.
Alors, afin de relater les faits dans leur froide objectivité, voici, sobrement énoncé, ce que j'ai vécu depuis hier: achevé l'évacuation de ma vielle maison, totalement vidée et nettoyée. Porte définitivement fermée. Travail effectué seul, néanmoins aidé par mon dernier fiston pour le déménagement des meubles les plus volumineux. Nouvelle maison envahie d'un fatras de cartons et meubles à installer. Ordinateur réactivé ce matin (vachement important !)
Ce matin, rendez-vous chez le notaire, où je retrouve Futurex. Vente signée, clés remises au nouveau propriétaire. En sortant, discussion avec le notaire pour qu'il commence à étudier la répartition des parts de chacun, en préparation du divorce (il nous rappelle que les premiers contacts avec lui pour le divorce ont eu lieu il y a déjà deux ans). Puis quelques minutes à papoter avec Futurex sur le trottoir, au doux soleil d'octobre. Nous avons parlé de détails pratiques. Détendus, avec le sourire, en paix. Parfait.
Revenu chez moi. Ne me sentant pas davantage seul que ce dont j'ai l'habitude et qui me convient très bien. Belle journée d'automne, beau ciel, travaillé dehors en t-shirt.