Éloge du secret
Et ben alors ? Où est-ce que j'étais parti ?
Mouais, vous avez peut-être remarqué l'espacement de mes entrées... La graphomanie qui jadis me caractérisait [clin d'oeil aux plus anciens de ceux qui suivent mes tribulations internautiques] semble s'être tarie. Lassitude ? Je ne crois pas... Sentiment de vaine agitation ? Il y a un peu de ça. Décalage d'avec la réalité ? Assurément !
Je ne suis donc pas très à l'aise pour écrire en ce moment et l'abstinence s'impose d'elle-même. Disons que je suis circonspect. Hésitant. En observation. En mutation... Enfin, bref, un peu de tout ça à la fois. Je trouve qu'il y a parfois trop d'écart entre ce que je vis intérieurement et ce que je m'autorise à en dire. Du coup cette écriture publique, que j'ai toujours voulu maintenir comme retranscription fidèle de ce qui m'importe (quoique dans un échantillonnage séléctionné) ne me correspond plus. Je ne donne plus de moi "ma vérité" (à défaut de "la vérité"). Donc je me sens "faux". Ou plus exactement: en porte-à-faux
Ça ne me convient pas.
Certes, depuis que j'écris en ligne je choisis ce sont je veux parler. Je délimite donc, sans réelle conscience, l'image que je désire donner de moi, autant à mes propres yeux qu'à ceux du lecteur. En quelque sorte je construis un personnage qui, bien que se voulant "authentique", découle inévitablement d'une idéalisation (autant dans le positif que le négatif, d'ailleurs). Ce que je laisse dans l'ombre l'a longtemps été par choix, sur un critère simple: c'est "insignifiant". Je veux dire par là que ce n'est pas significatif de ce sur quoi je réfléchis pour agir. Ça n'a pas d'influence particulière susceptible de modifier le cours que je voudrais donner à mon existence. Ce qui ne veut pas dire que c'est sans importance, mais que ça ne me pose pas de problème de conscience sur mes choix.
Est-ce à dire que je n'écris que sur ce qui me pose problème ? Disons plutôt que j'écris préférentiellement sur ce qui me questionne et sur quoi je pourrais agir. Sur ce qui me fait cogiter pour éventuellement changer. Par exemple mon déménagement et mon rapport aux objets, au passé, à l'ancrage, au lien, à l'attachement, à la pérénnité. Le tout en résonnance avec mon rapport avec autrui...
Finalement mon inspiration vient des carrefours qui se présentent sur mon chemin de vie, et pour lesquels je dois faire des choix déterminants. Plus le choix entraine de conséquences prévisibles à long terme, ou des changements nécessitant un renoncement, et plus j'écris à ce sujet.
Il est des choses importantes dont je parle peu parce que je sais comment agir et le fais autant que j'en ai conscience. Il en est d'autre sur lesquelles je ne peux pas agir, ou ne sais pas comment le faire, et je n'en parle donc pas. Je pense là aux grands enjeux humains et environnementaux, qui me préoccupent notablement mais face auxquels je ne vois rien que l'écriture puisse apporter.
Par contre je n'ai pas vraiment écrit sur certains sujet de préoccupation sérieux qui sont bien de mon ressort. Je tais certaines failles que je découvre en moi. J'ai quelques hontes inavouées. Des zones de ma personnalité que je néglige. Des friches, des terrains vagues de pensées laissées à l'abandon et au désordre. Cela fait partie ce que je cache et sur lequel j'agis peu. Je n'aime pas cette démission, cette fuite devant mes responsabilités. Je m'y vois dépassé... mais c'est probablement parce que le moment n'est pas venu de m'y confronter. Je ne me sens pas suffisamment au clair avec tout ça pour l'écrire et, de toutes façons, je ne pense pas qu'il me soit utile de le faire publiquement...
Il y a encore, et c'est probablement ce qui contrarie le plus ma liberté d'écriture publique, une autocensure qui s'est immiscée dans une large part de mes sujets de prédilection. A tel point qu'il me devient parfois impossible d'écrire tant les contorsions nécessaires sont nombreuses. Ce mutisme est en contradiction directe avec le désir d'authenticité dans l'expression. Il y a interférence flagrante entre l'écriture publique et le respect de la confidentialité. Je ne suis pas le seul impliqué lorsque j'évoque certains aspects de ma vie. Conflit de loyauté envers deux engagements. Situation ingérable, en plein paradoxe de l'intimité ouverte au public. Cette posture, et même cette imposture, devient parfois péniblement incapacitante.
Voila ce qui fait que, de temps en temps, j'entre en silence. Car c'est l'essence même de cet "alter et ego" qui perd son sens si je choisis de ne pas évoquer ce qui en est au coeur : le rapport avec autrui dans ce qu'il a de plus impliquant et interagissant.
En optant pour un éloignement de l'intime, rendu nécessaire par la force des choses, je trouve néanmoins d'autres stratégies de réflexion. Ouvrir d'autres champs d'investigation, brouiller les pistes, disperser la concentration, camoufler les faiblesses... autant de façons d'inverser un processus de transparence qui s'est révélé être une erreur. Mais je finirai bien par trouver une solution pour continuer à évoluer librement. Une liberté qui pourrait bien résider dans le secret, dont l'éloge ne me laisse pas insensible.