De l'évidence des choix de vie
Ce week-end j'ai failli être seul. Les deux aînés restaient dans leur ville d'étudiants et le p'tit dernier était invité à passer le dimanche chez ses grands-parents. Cette solitude ne m'inquiétait pas outre mesure mais j'ai préféré m'inviter chez des amis. Je crois que c'est la première fois que j'ose une telle démarche spontanée ! Mais bon, je savais qu'ils seraient contents de me voir.
Prévoyant, j'avais même apporté ce qu'il fallait pour dormir, connaissant notre propension à discuter tard dans la nuit et jouer les prolongations le lendemain. Ce qui n'a pas manqué de se produire...
Or donc, la grand-mère de mon benjamin, qui se trouve être ma mère, m'a téléphoné ce matin. Elle s'inquiétait un peu de savoir que son grand fils avait passé un week-end tout seul chez lui. Ben oui... à 45 ans, ma mère s'inquiète encore pour moi.
Ça pourrait être un peu agaçant. C'est plutôt touchant.
Je me suis empressé de lui dire que non, je n'avais pas été seul. Elle a semblé en être très soulagée, et même contente de constater que je voyais du monde.
Ben oui, le sauvage que j'étais à un peu changé, tout de même. Et quoique j'apprécie la solitude j'aime aussi les belles rencontres. Voila déjà quelques années que j'ai appris à saisir les occasions.
Mais là n'est pas l'objet de ce billet...
En fait ma mère m'a parlé de son inquiétude, ainsi que celle de mon père, vis à vis de tous les changements familiaux: Charlotte et moi séparés et seuls, les enfants qui n'ont plus le "nid familial", et puis moi qui n'ai toujours pas de revenus décents... Mes pauvres parents en font de l'insomnie.
Je prends ça à la rigolade... mais c'est quand même sérieux tout ça. Je pense en particulier aux enfants, qui semblent intégrer peu à peu les changements depuis que les actes sont posés. Notre aîné est en train de prendre conscience qu'il avait refoulé son ressenti face à la séparation. Il s'était mis à l'écart... et maintenant ne vit pas très bien cette cellule éclatée. Il y a un mois c'est notre fille qui m'avait avoué un certain malaise à revenir dans la maison familiale sans la présence de Charlotte. Quant au benjamin... je l'ai un peu interrogé à ce sujet mais il semble ne pas ressentir de gros changements. Il faut dire qu'il est le seul à ne pas avoir quitté la maison depuis que nous y avons emmenagé. Il est simplement passé de famille complète, à mère et fils, puis maintenant à père et fils.
Ma mère s'est aussi dite inquiète pour Charlotte. Elle redoute qu'elle ait pris des décisions hâtives sans se rendre compte de leur portée...
Mais faut dire que mes parents ne parviennent pas à comprendre notre décision de séparation. Ça dépasse leur entendement. Ma mère m'a parlé de manière vague de certains pilier de l'existence, de repères fondamentaux qui on trait à la cellule familiale. Pour eux il semble que ce soit inconcevable de faire éclater cette cellule-là. Ils portent un regard inquiet sur les générations actuelles, qui se séparent avec une facilité qui les déconcerte.
J'ai tenté d'expliquer à ma mère qu'on ne pouvait comprendre les choix d'autrui selon une grille de lecture personnelle. Chacun fait ses choix en fonction de critères dont bien peu sont apparents pour l'extérieur. Et des décisions sont "incompréhensibles" simplement parce qu'on ne dispose pas de tous les éléments pour comprendre. Je lui ai d'ailleurs proposé de répondre à d'éventuelles questions, si ça pouvait l'aider. Je crois que la parole est essentielle pour soulager des questionnements. Pour m'être trouvé dans la posture inverse, je sais à quel point les mots peuvent être apaisants. Pour ma part je n'en suis pas avare... du moment qu'ils sont écoutés de façon accueillante.
Expliquer ne suffira sans doute pas à la compréhension totale, parce que les "valeurs" sont différentes. Tout comme on ne peut pas vraiment comprendre des coutumes qui sont étrangères à notre culture, il est des modes de raisonnement qui sont difficilement assimilables si on ne voit pas les choses sous le même angle.
Je sais pourtant que les choix que j'ai fait étaient les bons. Ils sont ceux qui allaient dans le sens de mes valeurs humaines. Au delà du seul choix personnel, j'ai opté pour un chemin qui me menerait vers un "meilleur de moi-même", qui ne se serait pas révélé sans ces choix. Renoncer à ce chemin, c'était renoncer à la découverte et renoncer à la vie. Je sais que ça a pu paraitre incompréhensible, je sais que j'ai été désapprouvé, mais pourtant ma persévérance m'a mené vers une ouverture d'esprit que je n'aurais pas connue sans cela.
Je pense que ma mère a été touché lorsque je lui ai dit que j'allais vers un chemin d'amour de l'autre. Que ma quête était d'essence spirituelle, et que, d'une certaine façon, je ne pouvais pas y renoncer. Parfois j'ai employé le terme de crime, pour qualifier ce qu'aurait été un renoncement à cette aspiration vitale.
Je commence à oser en parler sans craindre de passer pour un illuminé. Non seulement sur mes divers supports d'écriture, mais aussi en face à face. C'est ce que j'ai fait avec mes amis, ce week-end. Lorsque je me laisse aller à ce genre de confidences je me sens vraiment en paix et tout a fait sûr de moi. Une certitude inébranlable.
Certes j'ai toujours été désolé des conséquences de mes choix sur la préservation de cette cellule familiale. Ils ont mené à une séparation que je ne désirais pas. Je sais que cela aura entrainé une déstabilisation pour plusieurs personnes, mais je sais aussi que c'était la seule solution viable. Sinon je me serais éteint dans une résignation amère. Et ça aurait été pire. Je n'avais tout simplement pas la force de me résigner.
La vie m'a montré un chemin et je l'ai suivi. Pas égoïstement, parce que j'ai tenté d'accompagner au mieux ceux et celles qui ont été touchés par les remous. C'est d'ailleurs cette prévenance, cette attention sensible aux réactions des autres, et notamment de Charlotte, qui semble laisser perplexe ceux qui observent les choses de loin. Ils ne comprennent pas qu'on puisse se séparer tout en se respectant. Ça leur semble illogique.
Au cours de la discussion ma mère semblait regretter qu'à certains moments il ne se soit pas passé ceci ou cela, comme si on avait pu désamorcer quelque chose au mécanisme. Je lui ai répondu qu'il s'est fait ce qui devait se faire à chaque moment, en fonction de ce que nous étions à ce moment-là. Revenir en arrière ne sert à rien... sauf à comprendre a postériori. Mais rien n'aurait pu être évité. Ce n'est que parce que les choses se sont produites que l'on voit ce qui aurait pu être évité. Après, toujours après.
Je suis pourtant un grand spécialiste de la rétrospection, mais je sais qu'elle n'est utile que pour comprendre le présent, et agir vers l'avenir.
Je ne sais pas si ma mère a été bien convaincue par ma tranquille assurance, mais tandis que je lui parlais, je pensais à une situation où c'est moi qui me suis trouvé en position de manque d'éléments. Et je comprenais simultanément que parfois il n'y avait rien à comprendre, mais seulement à accepter que l'autre fasse des choix qui sont pour lui les meilleurs à ce moment-là, en fonction de ce qu'il est à ce moment-là, et de toute l'étendue des critères qui comptent à ses yeux, invisibles aux yeux des autres. Et que ce sont donc les bons choix. Les seuls qui puissent être faits en âme et conscience.
Tout simplement.