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Alter et ego (Carnet)
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2 février 2007

Athéisme, religion, et spiritualité (1)

Comme je l'ai mentionné hier, j'ai assisté à une conférence du philosophe André Comte-Sponville centrée autour de l'athéisme et de la spiritualité. Avec comme question centrale: « Peut-on se passer de religion ? ». Je vais m'efforcer de faire un compte-rendu subjectif des éléments qui m'ont le plus marqués, forcément accomodés à ma sauce selon ma sensibilité du moment et ma capacité à appréhender des concepts parfois désarmants. Le propos était dense, issu d'une réflexion aboutie, et je ne vais que très imparfaitement en rapporter les éléments essentiels, sans le talent de l'orateur pour les lier entre eux. Je vais pourtant développer assez largement le sujet, qui colle de près à un ressenti issu de mon évolution personnelle, davantage intuitif que rationnellement explicable.


Premier constat, notre chemin d'occidentaux est balisé par une spiritualité issue du christianisme. Que l'on soit athée ou croyant n'y change pas grand chose, nous avons les mêmes bases fondamentales. Cette culture est la notre depuis deux-mille ans. Elle s'ancre, et s'est bâtie, dans cette tradition chrétienne, elle même puisant dans le judaïsme. Elle est aussi gréco-latine et, quoique ces deux civilisations aient depuis longtemps disparu, nous sommes restés fidèles à nombre de leurs valeurs.

Second constat: il n'existe aucune société sans religion. Pour autant la question posée ne peut être évacuée: « peut-on se passer de religion ? ». Comte-Sponville répond en distinguant individu et société. A l'échelle individuelle, on peut s'en passer assurément. Les athées vivent aussi heureux ou malheureux que les croyants, et il n'y a pas dégénérescence de la morale de leur descendance.

Mais à l'échelle d'une société, est-ce imaginable de se passer de religion ?

L'étymologie, quoique contestée, attribue couramment la racine du mot religion à "religare", c'est-à-dire relier. Relier les croyant d'une même religion, et les relier à Dieu. Il en émane ce qu'on appelle communion: elle relie les êtres et permet de partager quelque chose. Partager ayant ici un sens particulier, puisque ce partage-là ne divise pas ce qui est partagé. Au contraire, c'est le partage même qui procure ou accroît le plaisir. Cette sensation de communion n'est d'ailleurs pas une exclusivité religieuse. Par comparaison, la communion est dans le partage du plaisir de manger un gâteau ensemble, et non pas dans le gâteau divisé. Il y a communion des esprits dans une action commune.

Il y aurait une autre étymologie, moins couramment avancée: le mot religion pourrait venir de "relegere", c'est à dire relire. Relire les même textes, fondateurs des mêmes valeurs. Avec une idée de fidélité à ces textes fondateurs. Et ainsi, on crée du lien. Relire ensemble relie, et on se relie pour relire ensemble.

Comte-Sponville se définit lui-même comme un athée non dogmatique fidèle.

Athée, parce qu'il ne croit pas en Dieu. Mais l'athéisme est pourtant bien une croyance: « Je crois que Dieu n'existe pas ». C'est une foi inversée, une foi en creux.
L'agnosticisme ("agnostos" = inconnu, inconnaissable) n'a pas de sens pour Comte-Sponville. L'agnostique dit « Je ne sais pas »... or c'est une évidence puisque personne ne sait ! On croit, mais on ne sait pas. Celui qui dit « Je sais que Dieu n'existe pas » est un imbécile... tout autant que celui qui affirme l'inverse. Le croyant et l'athée croient, mais ne savent pas. L'agnostique ne sait pas davantage, mais ne se positionne pas. Il se dit sans opinion. Or cette posture est intenable pour Comte-Sponville .

En apparence l'agnosticisme pourrait passer pour la position la plus raisonnable, mais elle reste dans l'inconfort de l'incertitude. Les sciences ne répondent pas aux questions les plus intéressantes (quel est le sens de la vie ? la vie vaut-elle la peine d'être vécue ?). Toute tentative de réponse sera donc teintée de croyance. Seul l'agnostique n'aura aucune réponse à apporter. Donner un sens à ce qu'il ne peut savoir revient à avoir une pensée positiviste.

Non dogmatique, parce que lucide: Comte-Sponville sait ne pas savoir, et n'a aucune vérité à proposer, ni, surtout, à imposer.

Fidèle, parce qu'il reste attaché aux valeurs morales, culturelles, spirituelles, transmises par la religion. La meilleure façon de rester fidèle aux valeurs que l'on a reçues, c'est de les transmettre à ses enfants parce qu'on les considère comme correspondant à un meilleur de l'homme.
Le mot "fidélité" vient de fides, la foi. La fidélité, c'est ce qui reste de la foi quand on l'a perdue. Autrement dit: les valeurs de la religion, mais sans la religion. En effet, pourquoi faudrait-il renoncer, en même temps qu'à Dieu, aux valeurs transmises par la religion ? Rien ne prouve que les religions ont besoin de Dieu pour subsister.

(à suivre)

Commentaires
Y
Nul ne contesterait que l'idée de Dieu joue un rôle particulier dans l'histoire de l'humanité, mais cela ne paraît pas être la question ici.<br /> <br /> Bien des hommes ont fait dépendre leur vie de l'existence de génies dans la forêt ou d'êtres humains à tête de chacal. Peut-on dire pour autant que nous cultivons aujourd'hui la *croyance* que ces êtres n'existent pas ? Ou bien simplement la plausibilité de ces légendes ne nous effleure même pas, au même titre que celle de milliards d'autres qui les ont précédées et qui les suivront ? Et pourtant des hommes ont donné leur vie pour elles ... mais quel rapport ?<br /> <br /> Le fait est qu'on ne peut compter les innombrables croyances possibles, qu'elles aient déjà été conçues ou non. Et pour autant nous ne faisons pas un effort de "croyance" pour dénier chacune d'entre elles, qu'elles soient répandues comme le Dieu occidental actuel, ou plus rares comme l'extra-terrestralité de Jacques Chirac. <br /> <br /> "Ne pas croire", ce n'est pas "croire".<br /> <br /> Mais bon, rompons là, on est pas sur un blog de philosophie ou d'anthropologie, non plus :-)
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P
J'adore les querelles sémantiques, mais elles tournent vite en rond ;o)<br /> <br /> Ok, laissons tomber l'ordre des mots si dans ce cas précis tu vois une nette différence.<br /> <br /> Les exemples que tu utilises sont amusants mais, à mes yeux, ne sont guère comparables : "dieu" est un concept bien particulier et unique en son genre en ce sens que certains considèrent qu'il régit la vie, donc notre existence même. D'autres ne croient pas que ce soit le cas, et donc « ne croient pas en dieu » (ce que tu appelles "neutralité", si je comprends bien, et que je qualifierai alors d'agnosticisme). Mais Chirac, Batman, ou qui que ce soit d'autre n'est aucunement investi de ce rapport à l'existence de ceux qui s'en réclameraient. À la limite on pourrait faire la comparaison entre "croire aux vertus du libéralisme", ou autre doctrine, qui n'engagent que ceux qui les suivent ou les réfutent.<br /> <br /> L'idée de dieu n'est pas une idée comme des milliards d'autres, ne serait-ce que parce qu'elle influe très notablement sur le comportement de milliards d'humains depuis nombre de générations. Comme aucune autre, il me semble.<br /> <br /> Tu peux, pour des raisons qui te sont propres, tenter de banaliser ce concept. Tu peux prétendre que c'est "neutralité" que de "ne pas croire en dieu". Il n'empêche que le seul fait de nommer dieu fait que tu te positionnes par rapport à cette idée et que tu ne peux pas faire autrement... parce que d'autres se positionnent différemment. Rien que pour cette particularité "dieu" n'est pas une idée comme les autres :o)<br /> <br /> Cela dit je crois comprendre le sens de ton intervention.
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Y
"Simple inversion des mots" (sic), voilà qui me surprend d'un "littéraire" comme toi :-) ! Pourtant "ne pas aimer manger" n'est certes pas la même chose que "aimer ne pas manger" ...<br /> <br /> Et ici la différence est plus grande encore : si tu penses que personne ne se transforme en chauve-souris la nuit et que Jacques Chirac n'est pas un extra-terrestre, as-tu l'impression de faire un véritable "acte de foi" en affirmant cela ? Citerais-tu dans tes croyances l'a-batmanisme, l'a-ChiracoETisme, l'a-tapis-volantisme, et ainsi de suite ad libitum ? Ou alors en tant qu'agnostique te considères-tu "pas sûr" sur chacun de ces sujets ?<br /> <br /> L'idée de Dieu est une idée parmi des milliards d'autres, ne pas y croire n'est pas une croyance, c'est la vie tout simplement.
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P
Ouhlà, c'est subtil !<br /> <br /> "Croire que... ne... pas" ne me semble pas fondamentalement différent de "Ne pas croire que...".<br /> <br /> Simple inversion des mots...
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Y
L'athéisme n'est pas "croire que Dieu n'existe pas", c'est "ne pas croire en Dieu".<br /> <br /> C'est la même chose que "ne pas croire en Jupiter, Zeus et Râ", ou "ne pas croire que certaines personnes se transforment en chauve-souris la nuit " ou "ne pas croire que Jacques Chirac est en fait un extra-terrestre". Toutes ces assertions ne sont pas, à mon avis, des croyances (sauf à faire perdre toute signification à ce mot) : elles sont juste l'état normal d'un esprit neutre. "Ne pas croire" n'est pas du tout la même chose que "croire".
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P
Je ne suis pas sûr de comprendre ta remarque, Yogi... <br /> Oui, croire que "dieu" n'existe pas et bien une croyance. Seul l'agnostique n'est pas dans une croyance.<br /> <br /> Collectionner les timbres postes est une pratique, ne pas le faire n'en n'est pas une...
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Y
L'athéisme est une croyance tout comme "ne pas collectionner les timbres postes" est un hobby.
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C
Salut, cela m'a fait grand plaisir de lire tes textes. Je "découvre" un peu la philo (je sais, j'ai honte..) mais il n'est jamais trop tard !<br /> Disons que je suis un peu obligée maintenant, je suis en Terminale.. :-)<br /> Je voulais savoir si tu savais où se procurer des calendriers de conférences menées par des philosophes, sociologues.. au autres.. J'ai vu que tu avais assisté à celle de Comte-Sponville, (d'ailleurs résumé très intéressant).<br /> Merci d'avance !<br /> A +
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P
Ah, merci Marie !<br /> Encore un mot a étymologie multiple. Je vois dans mon dico que "legein" signifie aussi "rassembler"...
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M
je viens de lire une autre étymologie du mot "religion", peut être rejoint elle celles que tu proposes :<br /> <br /> " "logos", la parole, il est le substantif du verbe grec "legein" : parler, mais aussi relier, lier. Le mot "religion" y trouve son étymologie."
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