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Alter et ego (Carnet)
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10 février 2007

Brèves de cantine

Mon travail en indépendant ne me donne que rarement l'occasion de partager avec d'autres des repas et les conversations qui les accompagnent. Habituellement je mange seul à midi, et le soir avec mon dernier fils. Nos conversations varient alors des échanges enthousiastes au quasi silence, selon son humeur et son désir d'ouverture.

Récemment mon nouveau job de prof m'a permis de renouer avec les repas bavardés. Au réfectoire, dans une salle à l'écart des élèves, c'est le moment convivial et sympathique de détente et d'échanges sur l'air du temps. Conversations aléatoires, ne pouvant se détacher complètement du cadre professionnel quoique digressant quand même largement sur des sujets de société. Les plus extravertis y vont de leur avis, plus ou moins ostensiblement, plus ou moins péremptoirement. D'autres restent discrets sans qu'on puisse savoir si c'est par absence d'opinion ou discrétion.

Que ce soit dans ce cadre enseignant ou en d'autres circonstances, je dois bien reconnaître que je ne prends que rarement la parole dans ce genre de conversations. En général quelques uns s'en saisissent volontiers, voire la monopolisent pour relater quelque évènement médiatique du moment. Y répondent quelques poncifs qui font l'unanimité ou la discorde. Propos "évidents" qui tiennent plus du lieu commun que de la réflexion étayée et argumentée. Dans ce cas j'écoute les échanges, qui n'ont généralement d'autre portée que des batailles d'opinions. J'observe tranquillement le jeu des orateurs, détecte les failles et approximations, mais aussi l'aisance dont ils font preuve. Il est rare que j'intervienne, et seulement si je suis suffisamment sûr de mon fait. Pourtant j'affectionne les sujets de société, dans lequels je m'implique volontiers en parvenant à dépasser ma retenue intimidée.

Dans leur principe, je crois que les échanges d'opinions sont intéressants. Sauf que la plupart des gens s'expriment avec un savoir lacunaire, interprété à leur sauce. Pour moi ce genre d'information n'est pas fiable. Le « j'ai entendu quelque part que... », ou pire « ils ont dit à la télé que... », hors contexte, hors chiffres précis, n'a que peu de pertinence, quoique cela puisse éveiller mon intérêt. J'irai jusqu'à dire que ce genre d'entrée en matière suscite ma méfiance. Pourtant je ne suis pas moi-même exempt de ce genre de simplification et m'efforce d'y rester vigilant.

Autrefois ma timidité me mettait à l'abri des tentatives de prise de parole mais, l'aisance venant, je m'expose de plus en plus. C'est d'ailleurs sur internet que j'ai appris à me méfier de moi et des "évidences" que je proférais comme autant d'aveux de méconnaissance. Je me suis fait houspiller sans ménagement par quelques érudits, quoique par ailleurs sombres crétins par les méthodes disqualifiantes qu'ils employaient. Mais je dois reconnaître aujourd'hui que j'ai appris à réfléchir à deux fois avant d'exprimer un avis ou d'avancer un fait. Je me pose toujours la question: d'où me vient ce que j'ai envie de dire ? Est-ce vérifiable, est-ce prouvé, est-ce étayé ? D'un certain côté ça réfrène mes ardeurs, de l'autre ça me donne un peu plus d'assurance lorsque je m'exprime.

Dans le brouhaha des opinions, je me demande souvent à quoi sert de parler de ce qu'on ne connaît pas vraiment...


C'est probablement ce qui m'a fait investir, depuis quelques années, la sphère de la pensée intime. Dans ce registre la subjectivité est évidente, mais assumée. Personne ne « sait » et chacun peut dire ce qu'il ressent. Il n'y a pas ni recherche, ni confrontation de "vérités" puisque chacun a la sienne et qu'elle est par nature incontestable. Mais cela n'empêche pas que de l'expérience personnelle on puisse dégager certaines tendances relativement universelles. Chacun peut se reconnaître dans une universalité des ressentis et y appréhender sa singularité. Les petits ou grands évènements de la vie déclenchent des ressentis différents, et la façon de les raconter peut donner du sens à ceux qui sont encore envahis par l'émotionnel. La recherche de consensus est sans objet, et pourtant des convergences apparaissent par bribes dans l'expérience racontée par chacun.

J'aime beaucoup ce partage dans lequel personne n'a tort ni raison. On est bien loin des opinions politiques ou de gouvernance de la société. Les heurts n'apparaissent d'ailleurs que lorsque l'un ou l'autre tente d'ériger certaines "vérités" comme autant de dogmes intouchables. Je pense notamment à des sujets que j'ai autrefois amplement développés, tels que la fidélité dans le couple. Là j'ai vu que l'opinion reprenait toute sa place et que se fermaient bien des esprits. Il y était question de "valeurs", de ce qui se fait et ne se fait pas, de "bien" et de "mal".

J'avoue que j'aime beaucoup aller traquer les limites des raisonnements. Ceux des autres, parce que c'est plus facile, et les miens dans la mesure où je parviens à prendre suffisamment de recul. C'est dans ces zones-frontières que se situent les échanges les plus fertiles... mais aussi, bien souvent, les plus houleux. Bousculer les certitudes ne se fait pas sans quelques heurts. Ces espaces de flou par lesquels ont bascule d'un côté ou de l'autre de la limite me passionnent. C'est dans des échanges centrés sur les mouvances nébuleuses de l'entre-deux que je crois avoir trouvé les échanges les plus vivants, les plus féconds pour moi, et aussi de belles amitiés. En voyant aussi des personnes se détourner de moi, ou me rejeter, j'ai mieux compris avec qui j'appréciais d'être en relation.

Commentaires
P
Oui Forestine, moi aussi j'aime beaucoup ces moments. Je ne me suis pas livré à une description de caractères pour ne pas allonger mon texte, mais j'étais bien tenté de le faire. Honnêtement c'est assez sympa là où je suis, et non dénué d'humour. De bons moments de convivialité. Me reviennent des visages hilares et complices, des éclats de rire qui font plaisir au coeur :o)<br /> <br /> Les échanges dans le registre "émotionnel" sont assez rares dans la vie, mais grâce à internet je trouve qu'on y accède assez aisément. Ensuite, le mieux est de concrétiser cela avec une rencontre, lorsque la distance le permet...
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F
J'aime beaucoup ta description des "repas de cantine", très café du commerce dès que l'on parle de politique.<br /> Mais je les aime bien, ces moments, non pas pour le contenu mais pour les relations qui se tissent. Parfois dans une conversation entière, il n'y aura qu'une plaisanterie ou une remarque qui attirera vraiment mon attention, mais si à ce moment-là, je crée une complicité, ou je découvre une facette de quelqu'un, j'ai gagné mon repas...<br /> <br /> Ce que tu dis sur les échanges où personne n'a raison ni tort m'émeut particulièrement. Ils n'excluent pas les "bousculades" intellectuelles, comme tu le décris et j'en aime la stimulation.<br /> <br /> Ces échanges sont d'autant plus précieux que rares. Il me semble qu'il faut des affinités particulières pour créer les interlocuteurs - du moins est-ce ainsi que je le vis.
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