Ni regrets, ni excuses
Il y a quelques jours Coumarine à parlé du pardon et des excuses, sujet qui m'intéresse de près depuis que j'ai rencontré quelqu'un pour qui les regrets et les excuses « ne servaient à rien ». J'en avais été sidéré, trouvant cette attitude extrêmement dure dans une relation. Comme si on n'avait pas le droit à l'erreur ! Autre effet néfaste, dans l'autre sens: disposer du pouvoir d'excuser ou non est fondamentalement dangereux. Parce que si excuses et culpabilité sont liés, alors il devient très facile de "jouer" sur la culpabilisation de l'autre. Et ce pouvoir d'absolution (d'excuse) permet de soumettre l'autre. Dans le genre "si tu es gentil, alors je t'excuse". Alors je crois que je commence à percevoir les effets pervers des excuses/regrets...»
Finalement ma pensée avait cheminé et j'avais fini par comprendre le côté potentiellement pervers des demandes de pardon et d'excuses. J'ai retrouvé ce que j'écrivais à cette époque:
« Les excuses et les regrets, selon ce que je ressens si j'adopte un mode de fonctionnement débarrassé de culpabilité... n'ont plus lieu d'être. En fait c'est la culpabilité qui crée les regrets et les excuses. Et excuser l'autre c'est, d'une certaine façon, reconnaître qu'il a fait une faute (donc coupable) et disposer du pouvoir de l'absoudre (de ses pêchés, amen). C'est aussi "l'autoriser" tacitement à récidiver, puisqu'il sait qu'il pourra à nouveau être absous un certain nombre de fois... Et en fait ça encourage presque à trouver les limites d'acceptation de l'autre. Donc, ça encourage à laisser traîner les choses en longueur.
A la relecture je trouve que ma réflexion était incomplète. Ce qui m'apparaît comme important, maintenant, c'est de bien faire la distinction entre l'idée de faute (ou avoir tort) et celle d'erreur (ou s'être trompé). Or bien souvent on confond les deux dans une logique culpabilisante qui cherche à trancher entre "tort" et "raison". C'est évidemment stupide...
Important aussi de distinguer pardon et excuses formulés par rapport à un présent en mouvement ou bien rapportés à une action définitivement passée. Autrement dit : savoir si les regrets sont formulés pour adoucir une situation susceptible de se reproduire (et éventuellement en faire un usage perverti) ou comme réelle reconnaissance d'erreurs passées. Je pense en particulier au rôle des parents quant à l'acceptation de leur responsabilité dans des souffrances enfantines.
Pour ma part ce qui m'importe n'est pas que l'on formule des regrets, des excuses ou une demande de pardon, mais bien que soit reconnu le préjudice que j'ai ressenti. Peu importe la formulation, et inutile de recourir à des voies humiliantes, mais simplement que l'autre reconnaisse que quelque chose venant de lui m'a fait du mal. Et qu'il en soit tenu compte. Parfois il suffit d'une écoute attentive de mon ressenti, sans contestation, pour que je me sente entendu dans ma peine. Il suffit de peu... mais c'est essentiel.
Je me souviens d'un épisode révélateur : deux personnes avec qui j'avais des discussions approfondies et confiantes ont un jour, ensemble, porté un jugement assez dur sur ma façon d'être. Il en avait résulté une dispute véhémente. J'avais été blessé, trouvant injustes et dévalorisants les griefs qu'on me faisait. Peu de temps après l'une des deux personnes est revenue vers moi, s'excusant pour son attitude, regrettant de s'être laissée emporter. Bien évidemment cette "reconnaissance" sincère d'une erreur à guéri immédiatement ma blessure, et a même abouti à renforcer le lien de confiance, qui dure toujours. L'autre personne ne s'est jamais excusée, n'a donc rien reconnu du préjudice qu'elle avait pu me causer... Et si ensuite elle est parfois revenue vers moi, comme si de rien n'était, je me suis toujours maintenu à distance. Ouvert, réceptif et accueillant, mais méfiant. Quelque chose nous sépare. Autant j'oublie très vite l'origine d'une blessure soignée, autant je garde indéfiniment la trace d'une cicatrice jamais apaisée. Je pense pardonner aisément, mais pas sans un geste de l'autre.
Alors oui, les excuses peuvent effectivement être une forme de manipulation perverse utilisée pour adoucir les angles afin de mieux récidiver, et il faut y rester vigilant. En revanche les excuses sincères, signe de reconnaissance d'une erreur, me semblent être fondamentales pour la confiance relationnelle. On ne peut être en relation sans risquer de se blesser occasionnellement, mais avoir l'humilité de reconnaître cette faillibilité en soi qui conduit à faire des erreurs c'est aussi accepter de ressentir une nécessaire responsabilité. En étant "engagé" dans une relation on est bien responsable d'une moitié du chemin qui nous lie à l'autre.
Encore faut-il savoir discerner responsabilité et culpabilité, et ne pas oublier la première sous prétexte de refuser la seconde. J'ai l'impression que beaucoup de complications relationnelles se jouent autour de ces nuances mal définies... [voir ma note à ce sujet : Responsable mais pas coupable]
Ceci dit, avoir besoin d'une reconnaissance de préjudice, n'est-ce pas faire l'aveu implicite d'un manque d'estime de soi ? N'est-ce pas aussi attendre de l'autre qu'il se plie à mes fragilités ? N'y a t'il pas là aussi une possibilité de manipulation en se montrant abusivement victime ? Jusqu'où peut-on être "responsable" du mal-être existentiel de l'autre ? Les excès sont possibles dans les deux sens...
Ne se sentir responsable que de soi, et ni coupable, ni responsable des ressentis de l'autre, n'est-il pas le signe d'une suffisamment bonne confiance en soi ?
Comme bien souvent il y a pour chaque tentative de réponse une nouvelle question qui apparaît. Je vous laisse cogiter là-dessus, si ça vous inspire...
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