Seul et libre ?
Je lis de-ci de-là, depuis plusieurs années et de façon récurrente, les textes de personnes qui clament leur désir de liberté, et le confort trouvé à rester dans une vie "solitaire". Depuis quelques temps j'entre peu à peu dans cet état d'esprit, plus ou moins forcé par les conséquences issues de mes choix assumés. Je voulais la liberté... et il m'a fallu accepter dans le même paquet la réalité de la vie en solo. Le renoncement au confort rassurant de la vie de couple établi n'est pas des plus aisé, mais j'ai désormais une grande liberté d'organisation de mon temps et de mes rencontres. Libertés dont je n'envisage plus de me passer [tout en me demandant si je ne m'égare pas dans celle du temps]. Je découvre les particularités de ce mode de vie et sens ma tendance croissante à défendre cette liberté récemment conquise. Cependant, n'aspirant pas vraiment à une vie d'ermite, goûtant tout particulièrement aux plaisirs du partage avec le féminin, la question se pose de la valeur que j'accorde à ma liberté. Que suis-je prêt à sacrifier pour conserver cette liberté ? Je crains d'être devenu exigeant...
Mais d'abord ça veut dire quoi "être libre" ?
Ex-nihilo, m'a invité à l'interrogation en commentant mon texte précédent :
« La vraie contradiction n'était-elle pas justement de devoir être libre pour être seul et seul pour être libre ? La liberté ne peut-elle être que solitaire ? Est-on vraiment libre une fois seul ? Et peut-on rester libre dès lors qu'on offre sa solitude en partage ?»
Est-on vraiment libre en étant seul ? Quels sacrifices fait-on dans le registre du partage humain en étant célibataire ? Ne se coupe t-on pas de l'enrichissement de la différence de l'autre qu'entrainent les nécessaires adaptations à ces différences ? L'humain, animal social, peut-il s'épanouir pleinement de façon autonome ? Et qu'en est-il des rapports intimes, de l'amour, de la construction de liens et de relations avec l'autre sexe, quand on sait à quel point nous sommes conditionnés par des siècles de représentations du couple ?
Ces questionnements me sont depuis longtemps familiers et se résument ainsi : comment "faire couple" quand on veut rester libre ? Et comment rester libre en étant en couple. Il faudrait encore définir le sens de "couple", susceptible de bien des variantes, mais ne nous égarons pas...
Pour ma part le besoin de liberté concerne les possibilités de rencontres de l'altérité. Surtout l'autre au féminin, dans sa diversité plurielle, et ses différences avec l'homme que je suis. La rencontre de l'autre est aussi une rencontre avec moi-même, et avec l'humain en général. Ma soif de liberté est donc avant tout une soif de rencontres, une soif de connaissance et de découvertes. A l'opposé d'une recherche de la solitude... quoique ce soit seul qu'on parcoure le chemin. Seul en soi, bien qu'avec les autres. Je conçois que cela puisse mal s'accorder avec l'idée traditionnelle du couple... et de fait celui que je formais avec mon épouse n'y a pas résisté tel quel.
Par ailleurs j'ai simultanément "formé couple", dans des conditions assez singulières (très grand éloignement géographique), avec une amie-amour vivant cette liberté à laquelle j'aspirais. J'ai bien mesuré à quel point liberté et couple étaient des notions difficiles à accorder en moi. Pas impossibles, mais difficiles car "contre culture". C'est dans cette difficulté d'accord qu'à résidé tout mon apprentissage de la liberté relationnelle. Il m'a obligé à une redéfinition de mes besoins et limites, et accepter la part inaliénable de l'autre : sa liberté pleine et entière. Etablir un lien d'attachement libre ne va pas de soi et y trouver mon équilibre m'a demandé un très important travail sur moi-même. Déconstruction de tous mes repères de ce qu'était un couple, un lien, pour établir de nouveaux repères qui me sont propres, suffisamment ouverts à l'accueil de la différence.
Aujourd'hui c'est moi qui suis devenu homme libre... et je sens bien à quel point je tiens à cette liberté. J'y veille, à tel point que le besoin de mettre des limites apparaît dès que je sens qu'on risquerait de la restreindre. Je ne veux pas donner de moi au delà de mon désir. Je ne veux pas me laisser envahir.
La liberté à donc ceci de gênant qu'elle complique l'approche de l'inconnu, par crainte de perdre cette liberté. Tout spécialement dans le domaine sensible de l'affectif... qui précisément exige un certain abandon des défenses. Se lier à l'autre consiste à faire confiance en sa capacité de gérer un rapport basé sur la liberté. C'est loin, très loin, d'être aussi facile à vivre qu'à décrire...
D'ailleurs, en lisant les personnes qui vivent depuis longtemps seules et libres tout en assumant ce choix, il me semble souvent perçevoir une déception. Davantage qu'un vrai choix de vie en solitaire, ce serait plutôt un dépit, une désillusion qui s'exprime sur le ton d'un «je suis plus tranquille seul(e), c'est moins compliqué». Un rapport de méfiance davantage que de confiance en l'autre. C'est d'ailleurs ce que je redoute un peu de voir s'installer en moi...
C'est un peu bête, parce que c'est en découvrant les joies du partage dans ce qu'il avait de magnifique que j'ai choisi de poursuivre dans cette direction. C'est parce que j'y ai vu toute l'ouverture dont cela était porteur que j'ai persévéré pour être capable d'y accéder. Et maintenant que j'y suis... je me méfie de ce qui pourrait ressembler à ce que j'étais. Je refuse, avec une ferme douceur, de donner ce que dans mon ignorance je réclamais. Ironies cinglantes de l'existence, où chacun ne se libère de ses craintes qu'en livrant combat contre soi-même...
Est-on libre en étant seul ?
Seul, je me retrouve face à moi, tiraillé entre mes peurs et désirs, et tout cela n'est qu'obéissance à des schémas de pensée. Être libre de mes choix n'implique pas que je sois maître de moi. Et si je le suis, ça signifie alors que je me soumets à ce maître. Libre de choisir les limites que je m'impose, je peux glisser vers le laisser-aller, le recroquevillement et la négligence. Libre de ne rien faire de ma liberté ! Mais vouloir la liberté peut aussi montrer un certain degré d'exigence, un refus des compromissions, avec tous les avantages et inconvénients que cela peut représenter. L'exigence est-elle une liberté ? L'exigence de liberté ne risque t-elle pas de devenir un enfermement mental ?
Je ne crois pas qu'être libre implique forcément d'être seul. Je le vois plutôt comme la capacité à vivre en état d'harmonie intérieure, seul et avec autrui. Ça peut paraître plus facile en vivant seul, puisque l'autre n'est pas là à nous déséquilibrer sans cesse par sa différence, mais faut-il se priver de cette différence ? Peut-on grandir seul ? J'en doute un peu. Les moments où j'ai le plus évolué dans mon existence ont été ceux où j'ai construit une relation. C'est la rencontre de l'autre et la confrontation à sa différence qui m'a fait évoluer en moi-même et dans mon rapport aux autres.
Comment s'y confronter si on place son besoin de liberté comme une barrière ?
Plus je fais de rencontres, plus elles sont approfondies et durables, et plus j'avance dans la connaissance. De moi, de l'autre, et de ce qui, à travers ce lien, m'enrichit d'humanité. Mais c'est aussi par la diversité des rencontres, dans la construction de ces relations différentes, que j'apprends la vie. Que je vis. Ne construire qu'un seul couple n'apporte pas cette pluralité, et peut devenir une solitude à deux. Mais il y a aussi beaucoup à apprendre de la vie à deux...
Comment vit-on mieux ? Seul ou à deux ? Est-ce en toute ciconstance un choix conscient, ou le résultat de circonstances ? La liberté de vivre seul est-elle un vrai choix, ou la conséquence de déceptions antérieures ? Qui peut le dire, puisque chacun trouve un accomodement avec ce qu'il vit...
La liberté que je me suis choisie est devenue celle de la diversité des rencontres. C'est donc tout le contraire d'être seul. Mais cette liberté, pour en être une, exige que je sois capable d'être seul, sans dépendre de cette altérité qui me fait grandir. Et pour ne pas en dépendre, il importe que les sources auxquelles je m'abreuve soient nombreuses.
Finalement, pour moi, être libre c'est être capable de me lier sans crainte.
Réflexions susceptibles d'évoluer dans le temps...