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Alter et ego (Carnet)
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8 juin 2007

Instant tyran

Le métier que j'ai le bonheur d'exercer est une école de patience. On y raisonne en mois autant qu'en années. Quant au résultat, il se jauge en décennies, si ce n'est en siècles. En même temps l'instant est toujours présent, tandis que les heures véhiculent les aléas auxquels il faut souvent s'adapter. C'est donc dans un large spectre temporel que je m'insère. Avec un maître-mot : on ne peut pas aller plus vite que le temps. Pas question de réduire une décennie à quelques années !

Notre société actuelle, à l'inverse, nous porte à vivre dans l'instant, à accélérer le temps, à réduire les délais. C'est l'ère de la satisfaction immédiate. « Je le veux maintenant ». A tel point que certaines personnes ne semblent pas comprendre pourquoi il est impossible de réduire le temps. Elles ont perdu la notion de durée, de lenteur, de maturation. L'attente patiente.

Autrefois on communiquait par lettres, et l'espace entre messages se comptait en jours. Puis les échanges sont devenus instantanés, avec le téléphone et les débuts d'internet. Maintenant c'est le temps qui va plus vite que les échanges : avant même d'y penser on a déjà reçu le message ! Il se signale et s'impose séance tenante. C'est la tyrannie de l'instant et du temps compressé. Nous sommes envahis par le contact permanent.

À la base ça paraît très pratique d'être informé "en temps réel": dès qu'un message est posté, on en est prévenu. Qu'il s'agisse de textos, de messages sur msn, ou de mise à jour de blogs, rien ne nous échappe. Mais pour quelle urgence ?

Je n'ai pas de téléphone portable, et je vis très bien sans. Mais ne me suis-je pas laissé attraper par d'autres fils à la patte ? Par exemple j'ai trouvé très bien d'installer, il y a quelques semaines, un agrégateur pour suivre les mise à jour de mes blogs favoris. Mais rapidement je me suis dit que ce gadget était peut-être de trop. Par chance, l'agrégateur que j'avais choisi n'a pas fonctionné longtemps, le propriétaire du site le mettant en vente tout en suspendant le service. Tant mieux, ça m'a permis de me rendre compte qu'en quelques semaines j'étais déjà devenu addict de ce genre de choses. Je n'en ai pas réinstallé.

Au même moment j'ai réalisé que j'étais très accro à tout un système amicalo-blogosphérique, et que lorsqu'il ne "vivait" pas suffisamment, j'étais en manque. Il m'arrive parfois d'errer de blog en blog, à la recherche de nouveaux textes ou commentaires. Le plus souvent en vain. Temps perdu...

Moi-même je me suis parfois senti poussé à écrire, à "produire", ne serait-ce que pour stimuler des échanges. Mais ensuite je me retrouvais... en attente de commentaires ! Prévenu par msn, bien sûr, à la seconde où ceux-ci sont postés.

C'est débile !
Ça ne correspond pas à la façon dont je souhaite vivre.
Je cherche la liberté et je me laisse prendre dans des diktats bouffeurs de vie.

Certes, tout comme je prends le temps d'écrire et de peaufiner mes textes, je diffère généralement les réponses. Il n'empêche que cette immédiateté qui s'impose me dérange. Je me sens envahi par l'instantanéité... tout en ayant fait tout ce qu'il fallait pour m'y soumettre.

Tout cela est trop proche. Trop serré.

D'où un mouvement de recul...
Je prends de la distance.

Je laisse le temps respirer.

Je réinjecte du délai.

Envie de me retrouver.


Commentaires
P
Mais non Pivoine, n'aie pas de regrets ! Ce mot a un sens, tu ne l'as pas choisi par hasard, et il a stimulé ma réflexion.<br /> <br /> De toutes façons, si cour il y avait, ce ne serait pas un choix de ma part (sauf à accepter que ça existe).<br /> <br /> Pour ce qui est de la vie amoureuse qui ne serait plus pour toi... j'ai tendance à penser que ça dépend largement de soi, question de disponibilité d'exprit, de priorités, de volonté que ça arrive. L'amour peut venir à tout âge, à condition qu'on y soit pleinement ouvert, mais sans en avoir "besoin" (auquel cas on est pas ouvert, mais trou sans fond, ce qui a pour effet de fermer l'autre qui ne veut pas s'y faire aspirer).
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P
Ouh là là ! Pierre, d'un coup, je regrette d'avoir écrit ce mot-là. Certes, c'est mon humour un peu particulier qui parle (à deux balles comme dirait mon fils), je suis aussi en réflexion pour le moment (et je fais des retours sur mon propre mariage, et surtout sur le fait que j'ai l'impression que la vie amoureuse c'est plus pour moi...) alors, c'est mes tournures de phrase, un peu comment dire ? "hyperboliques" c'est ça qui sortent sans que je m'en rende compte de ma plume... Bien sûr que tu n'as pas une "cour" au sens propre du terme (ou alors, j'en ferais partie, lol, et pourtant, c'est pas mon style), mais je vais lire ton article plus loin... (Et pourtant, je dois sortir et faire des tas de trucs concrets, la vie (la réelle!) m'appelle à corps et à cris !
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P
Pivoine, j'ai connu ce sentiment "d'écoeurement", que j'appelais "nausées", lorsque j'allais aux limites de ce qui m'était acceptable dans le dévoilement. Je crois cependant que c'est dans la recherche des limites qu'on apprend beaucoup sur soi. Tu décris bien le processus de comparaison avec les autres, ceux dont on envie un "talent" particulier. Je crois qu'à la longue on apprend à s'en défaire, et qu'on sait voir en soi ce qui constitue notre "petite musique". Quand on n'est plus dans la tentative de ressemblance, mais dans l'affirmation d'une singularité. Il me semble que cela apparaît durant ces moments de malaise où on se retrouve "hors de soi". Et à la longue il ne peut qu'en ressortir une meilleure connaissance de soi, plus lucide.<br /> <br /> Tu me parles d'une « cour de lectrices »... et ça me fait réfléchir. Au dela de l'humour, non, il n'y a pas de "cour". Probablement davantage de lectrices, oui, mais parce que le registre réflexion sur soi dans le domaine de l'intériorité est plutôt féminin. Mais... je sens que ton commentaire m'inspire. Je vais écrire à ce sujet ;o)<br /> <br /> Telle, je retrouve là un des inconvénients des agrégateurs: une lecture plus "rapide" (gagner du temps ?), privée du décor identificatoire du blog (absence du graphisme du "chez lui/elle"), et atténuation des commentaires (faut aller ouvrir le blog).<br /> En tout cas ça me fait plaisir que tu me dises que c'est "habituel que mes écrits te plaisent"... sauf que moi je ne le sais pas :o)<br /> Et si je n'écris pas QUE pour plaire... eh bien j'apprécie de le savoir... tout en étant gêné lorsque c'est exprimé publiquement (peut-être en pensant à une éventuelle "jalousie" d'autres auteurs de blog ?). Ambivalence entre l'attente de retours favorables (encouragement !) et gêne lorsqu'ils se manifestent (dépendance !)...<br /> <br /> Mais tout ça se guérit à la longue, fort heureusement. Blog-thérapie.<br /> <br /> Merci à toi, merci à tous ceux qui commentent...
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T
Pierre, j'avais lu ce billet dans mon agrégateur (eh oui, je l'ai conservé contrairement à toi). Je l'avais aimé . Et puis j'étais passé à un autre blog. Et en fait, j'ai fait une confusion entre les deux auteurs (tu me suis ?) et je me suis dit : il faut vraiemnt que j'aille dire à ce blogueur (chez qui je ne commente presque jamais) tout le bien que je pense de son billet. J'ai retardé. Et puis j'ai relu ce billet (j'imagine que tu l'as posté une deuxième fois) et j'ai compris mon erreur. Et immédiatement, je me suis dit "c'est normal que j'apprécie autant, c'est de Pierre" et, du coup, tu vois, je ne suis même pas venu te le dire car c'est habituel pour moi d'aimer ce que tu écris. <br /> <br /> 15 lignes pour te dire ça, c'est un peu beaucoup, non ? Toujours est-il que j'apprécie beaucoup ta lucidité et encore davantage ta franchise. L'écho que renvoient les commentaires de Pivoine est riche et porteur. Merci à vous deux.
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P
Pierre, en tant qu'homme, tu es déjà assuré d'avoir une cour de lectrices à tes pieds... Tu t'imagines? Quelle chance vous avez ! Pour un homme, il y a cinquante femmes. Pour un blogueur, il y a 100 lectrices et dans un atelier de dessin, de gravure ou de peinture, il y a 100 femmes et 1/2 homme, voire un homme, peut-être 2... Et parfois pas d'homme du tout ! Et pourtant, je n'ai pas envie de plaire à tous les hommes pcq ce seraient des hommes, mais d'entretenir des liens privilégiés avec des personnes, ça c'est mon envie, ça c'était mon envie...<br /> <br /> Scuses, j'ai soliloqué là...
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P
Curieux à te lire, te relire et ce que tu dis dans ton commentaire, j'en suis exactement au même point. Au point que quand je vois un blogueur apprécié négliger mon blog (sous-entendu, me négliger moi), et se répandre ailleurs, j'en ai les larmes aux yeux. Là je me dis stoooop ! Qu'il y a urgence à arrêter, à m'arrêter. J'en suis arrivée à faire des confessions qui n'étaient absolument pas mon but, en commençant un blog, rien que parce que je voulais être à la hauteur. De vos blogs. Alors évidemment quand je constatais que je n'y arrivais pas, c'était la douleur. Alors maintenant, je m'arrête et je réfléchis. Je suis addicte, mais lucide. J'ai toujours envie d'écrire et en même temps, ce que j'éprouve pour le moment, c'est une sorte de dégoût. (D'écoeurement plutôt...) J'attends, je prends le temps, ça finira bien par passer, ou ça ne passera pas, je ne sais pas. Et le pire, c'est que je n'ai même pas le courage de faire des copier/coller de ce que j'ai déjà écrit pour le sauver dans mon ordi. Pourtant, je devrais le faire... <br /> <br /> Bon, je retourne à mes lectures variées...
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P
Ma lucidité me perdra ;o)
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L
oh c'est d'une beauté ça Pierre ! merci pour ce morceau d'humanité et le courage de cette lucidité !et ce problème (la sensibilité au jugement d'autrui)concerne tellement d'entre nous...
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P
Ex Nihilo, tu décris si bien cette respiration naturelle qui fait passer du contact avec le monde au contact avec soi...<br /> <br /> Alain, ce droit à la lenteur est une revendication à défendre. "Éloge de la lenteur" est le titre d'un livre de Pierre Sansot, que je devrais relire.<br /> <br /> Exact Pivoine, les addictions sont nombreuses : tabac, sport, télé, infos... qui ne se sent pas concerné ?<br /> <br /> Léon... tu ne crois pas si bien dire :o)<br /> Voila le passage que j'avais mis à la suite de mon texte, puis finalement supprimé :<br /> <br /> « Le problème, c'est qu'en écrivant en ce moment même, tranquille dans le silence de ma maison vide, je me prépare à me mettre en mode "attente" à l'instant ou je cliquerai sur "Publier". Même si j'ai l'impression de ne rien attendre de particulier en écrivant, je sais que la mise en ligne va générer une attente : « Est-ce que ce texte va être commenté ? Va t-il faire écho pour quelqu'un ? Pour plusieurs personnes ? Vais-je avoir des retours favorables ? ». Et finalement... aurai-je contribué à entretenir une image favorable de moi ? Aurais-je été apprécié ?<br /> <br /> Plus j'aurais de commentaires élogieux, plus mon égo sera satisfait. Et davantage encore si cette "reconnaissance" est publique, visible par tous. Oui, je sais, c'est pitoyable.<br /> <br /> D'autant plus que je sais déjà que je suis apprécié. <br /> Mais j'en veux encore...<br /> <br /> Ce n'est pas pour ça que j'écris, mais ça en fait partie. L'importance que j'accorde au regard d'autrui parasite ma liberté d'écriture. Je ne sais pas vraiment comment procéder pour épurer mon rapport à l'écriture publique, mais j'ai envie de trouver une plus grande liberté. Me recentrer. Tenter de faire abstraction, non pas du lectorat, mais de ce que j'en crains : le jugement. Et pire encore, son expression publique. »
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P
Oui, et puis l'addiction aussi est humaine. Et y aurait pas celle-là, il y en aurait sans doute une autre. Nous voilà deux (au moins) dans la durée.
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