Changer de costard
Des personnes avec qui j'étais ce week-end ont parlé sur leur blog d'une rencontre avec moi... et moi je n'en ai rien dit. Hmmm ? Et pourquoi donc ? Pour de complexes questions de discrétion et d'anonymat. Que l'on sache sur leur blog que j'étais présent ne me pose aucun problème, mais dans l'autre sens il n'aurait pas forcément été opportun (pour eux) que j'aiguille des clics vers leur blog. Vous comprenez ?
Donc... motus !
« Diable, se dit le lecteur, pourquoi tant de mystères ? » Et bien figurez-vous que l'adresse de mon blog est de plus en plus diffusée en des lieux où je ne me planque plus derrière l'anonymat. Des lieux où on peut me voir en chair et en os, identifiable. Autrement dit : je rencontre des gens qui apprennent que l'individu à la tignasse grisonnante [eeeeh oui...] qui est en face d'eux raconte sa vie sur internet. Il est probable que certains d'entre eux sont parmi vous, venus ici pour lire les élucubration plus ou moins intimistes de ce gars un peu intimidé rencontré dimanche [là c'est compliqué parce que je m'adresse à la fois à mon lectorat habituel et à ces éventuels nouveaux venus...]. Au final rien de bien extraordinaire, me direz-vous. Exact. Je ne révèle rien de torride sur ce blog. Mais ce que vous ne savez peut-être pas tous [eux le savent] c'est que je tiens aussi un journal intime en ligne et que j'en laisse aussi diffuser l'adresse. Dingue, non ?
Peut-être un peu dingue, surtout quand je le fais à visage découvert lorsqu'il me prend l'idée de raconter publiquement pourquoi je tiens ce journal en ligne... Ne me demandez pas pourquoi je me désanonymise, je serais bien incapable de vous répondre. Il y a certainement quelque chose de freudien là-dessous. En gros ça répond à un désir de m'assumer comme je suis et être accepté comme tel. Être entier.
Ce faisant je m'expose, dans tous les sens du terme.
Cette problématique récurrente de l'anonymat n'est peut-être pas compréhensible par les lecteurs non-blogueurs, ou les blogueurs qui écrivent sous leur véritable identité, ou encore ceux qui n'abordent pas de sujets très impliquants sur le plan personnel, ou bien les assument complètement. Mais pour beaucoup, ça reste un sujet de questionnement.
De façon inattendue c'est dans le sens contraire que Luciole (merci Samantdi) se demande ce qui changerait dans son écriture si elle devenait anonyme: « Il m'arrive d'être tentée par l'anonymat, ne plus être Luciole, que ma famille, mon amour, mes amis ignorent l'identité de mes écrits et avoir ainsi une pseudo liberté ». Ce à quoi Alainx répond, dans un commentaire, « Pourquoi le blog de l'anonyme qui se "révèle" devient souvent bien plus insipide (...) ? ». Quoique prenant les choses dans un sens inverse, les deux avis semblent converger : plus on est identifiable par tous et moins on peut aller en profondeur et en singularité. Moins on peut aller dans l'intériorité et l'intimité.
Normal, me direz-vous...
Alors pourquoi la tentation du dévoilement progressif si elle doit conduire à perdre de la "saveur" de la singularité ? Et pourquoi autant de questionnements chez ceux qui constatent leur propre résistance à ce mouvement ?
Selon ce que je sais de moi, c'est parce que je n'assume pas vraiment toutes mes pensées que je maintiens encore mon anonymat. Mais si j'analyse un peu plus en détail, c'est surtout par rapport aux gens qui me connaissent dans un cercle totalement différent (professionnel, essentiellement) que je n'aurais pas envie d'être reconnu. En affinant encore un peu, je pense aussi à ceux qui me connaissent depuis longtemps, c'est à dire avant que je n'entame un processus de libération vers davantage d'authenticité. Autrement dit : je n'aurais pas de difficultés à assumer ce que je suis au présent (d'où le dévoilement assez aisé devant des personnes connues récemment), mais il m'est difficile d'assumer le changement par rapport au passé. Je veux parler du regard que l'on avait sur moi autrefois (ou du moins le regard que j'imagine qu'on avait...). C'est comme si je voulais conserver une carte d'identité ancienne, en laquelle je ne me reconnais plus, mais que je garde "au cas où". Des fois qu'il me prendrait l'envie de faire demi-tour... Éventualité évidemment absurde.
En fait, plus je connais de personnes correspondant au nouveau cercle relationnel que je constitue, plus je peux me détacher du regard d'un cercle ancien. Un peu comme si je me préparais, un jour, à faire une sorte de coming-out révélant que je suis... moi. Un nouveau moi.
Waow, quel scoop !
La différence c'est que le nouveau moi sera bien mieux assumé que l'ancien.
En ce moment je suis encore dans le grand écart entre le monsieur "bien comme il faut" que j'avais appris à être et un "vrai moi" qui en diffère sensiblement. D'où ces atermoiements et hésitations en quittant une défroque bien connue, mais hors d'usage, pour un costume plus adapté... mais qui est encore trop neuf pour que je m'y sente à l'aise.
Dans le texte de Luciole j'ai aussi relevé cette phrase: « Ma liberté d'écrire, je la trouve non pas dans l'anonymat mais dans l'acceptation que ce que j'écris est une représentation et non pas une exhibition ». J'y vois une ressemblance avec ce que j'écrivais il y a peu (dans "Truismes") « Ici ce n’est pas un journal intime que je tiens en public, mais une scène où je dévoile certains éléments de ma vie, parfois intimes ».
J'en viens à me demander si la vie, hors de l'écrit, n'est pas une perpétuelle représentation de soi qui masquerait l'intime...