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Alter et ego (Carnet)
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6 septembre 2007

Trouver sa place dans l'existence

Samantdi évoque brillamment le dernier roman de Mazarine Pingeot, fille "illégitime" et longtemps cachée du président Mitterand. Ce genre de destin laisse forcément une empreinte profonde dans une vie et je ne suis pas surpris d'apprendre que les thèmes de ce roman évoquent la maternité, l'infanticide, et le fait de ne pas vraiment trouver sa place dans l'existence.

C'est surtout ce dernier point qui m'intéresse, abordé ainsi par Samantdi qui décrit le personnage du roman :
« Elle-même ne se connaît pas et n'existe que sous le regard de ceux qui l'ont modelée, sa mère, et son mari.
Ainsi parce qu'on le lui a dit et répété, elle se sait égoïste, centrée sur elle et son nombril.
Défaillante, toujours, malgré les reproches de son entourage et ses efforts pour l'obliger à changer, à s'améliorer, pense-t-elle. Efforts vains car elle est si faible de caractère, si mal organisée, si désordonnée que toujours elle retombe dans ses travers. »

Comment se fait-il que des personnes acceptent d'exister (ou de non-exister...) selon ce que d'autres définissent à leur égard ? Par quel mécanisme de négation de soi peut-on cèder ainsi ? Pourquoi l'abdication en n'osant pas affirmer une singularité épanouissante et libératrice ?

Est-ce la résultante d'une personnalité "cassée" dès le plus jeune âge, à qui l'on a appris à se soumettre plutôt qu'à être ? Ou bien est-ce le reflet d'une nature faible, soumise, incapable d'affirmation de soi depuis la naissance ? C'est probablement impossible à discerner, tenant un peu des deux comme tout ce qui combine comportements innés et acquis. Pour autant, je reste intimement persuadé que des encouragements à devenir soi, en étant pleinement reconnu, sont la meilleure garantie d'épanouissement.

Inversement, des commentaires dénigrants, appuyant systématiquement sur des points considérés comme "négatifs" érigés en références, ne peuvent rester sans conséquences. Certains enfants (je parle là du statut, pas de l'âge) entreront dans une salutaire révolte, plus ou moins tôt dans le déroulement de leur vie. D'autres porteront jusqu'à leur mort les séquelles de comportements parentaux abusifs, trop abîmés pour se redresser seuls.

Samantdi continue, s'appuyant sur la dérive atroce de l'infanticide, qui fait le sujet du roman. « Au fil des pages se dessine en creux le portrait d'une femme masochiste, une victime partie prenante parce que, comme elle le dit : "je n'ai jamais su départir l'amour de la peur, je n'aime que ce qui me terrifie". »

Cette alliance de l'amour et de la peur, qui peut se développer avec un ou des parents qui distribuent indissociablement l'un et l'autre, à de quoi perturber gravement la construction des pensées. Si ceux de qui on attend de l'amour donnent aussi de la violence, comment la conscience en construction de l'enfant, futur adulte, pourra-elle discerner l'un de l'autre ? Il ne sera pas surprenant que l'amour adulte s'accompagne de manifestations qui en sont à l'opposé. Ainsi l'échec en amour peut se perpétuer longtemps.

Au fil des blogs portés à une introspection approfondie (de plus en plus confidentiels) on voit bien apparaître ce rapport à une enfance blessée, maltraitée, presque torturée... sans autre traces que mentales. Mais quelles traces ! Les enfants devenus adultes qui en parlent aujourd'hui on bien du mal à s'émanciper des injonctions parentales, aussi erronées qu'elles furent. C'est souvent devenu un combat contre soi, enfant/adulte, hésitant entre des sentiments de culpabilité et de révolte, d'amour et de haine, de violence et de tendresse, de paix et de guerre. L'adulte et l'enfant intérieur cherchent chacun à exister tour à tour, le second ne cédant la place qu'après que ses blessures aient été reconnues par l'adulte en soi. Cette lutte intérieure qui vise à la reconciliation est épuisante. Très souvent je constate qu'il y a un accompagnement psychologique, qui semble indispensable pour se reconstruire sainement. Parfois cette "aide" est le seul moyen d'en sortir. Je sais, pour y être au coeur, ce que la prise en charge de ce genre de mal-être demande comme courage et persévérance. Des années de travail pour se reconstruire ! Je remarque que bien des personnes qui se sentent "faibles", se reprochant de ne pas oser être vraiment elles-mêmes, montrent au contraire une grande force intérieure... dont bien souvent elles-seules ne se rendent pas compte. Observer la subjectivité des autres c'est aussi prendre conscience de la mienne...

Quant à « être centré sur soi et son nombril », posture tant honnie par ceux qui n'en n'ont pas besoin, ou le croient, je crois que cela démontre surtout une capacité à prendre soin de sa santé mentale. Loin d'être égocentriste, c'est une pratique qui vise à l'ouverture vers autrui, donc au partage. Mais à un partage plus libre, plus épanouissant, plus souriant que lorsqu'on traîne avec soi un sentiment d'inexistence atrophiant. C'est tout simplement le besoin de prendre sa place dans le monde, et le désir d'y contribuer.

Commentaires
L
Merci beaucoup pour cette lecture qui me touche profondément et que je vais garder dans mes dossiers personnels pour le relire et me donner plus d'estime et de confiance en l'avenir. C'est terrifiant de ne jamais avoir eut de place, d'être illégitime quoiqu'on fasse ou qu'on aille et quel courage surhumain que de continuer à avancer!
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D
Grand bonheur de lire ce billet. Tout l'essentiel y est dit pour moi sur ce sujet. Pas besoin d'ajouter ma note, à part remercier, pour tant de clarté apaisée.
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P
C'est vrai Samantdi, l'accusation d'égoïsme peut en effet culpabiliser davantage et renforcer le phénomène, alors que l'égoïsme traduit souvent un mal-être existentiel du à un égo insuffisamment développé. L'égoïste, le cas échéant, est plus à plaindre qu'à blâmer...<br /> <br /> Quant à ma pause d'écriture, elle devrait me permettre d'investir autrement cet espace ;o)<br /> <br /> Heureux que tu brises le mur du silence, l'Arpenteuse !<br /> J'ai effectivement mal en sentant les dégats que certains parents peuvent causer à leur enfants en ayant des comportements totalement inadaptés. Certains confondent éducation et dressage. Hélas je crains qu'aucune lecture, surtout si elle est "obligatoire", ne soit efficace tant qu'une prise de conscience ne la précède pas.<br /> <br /> Pas de problème pour la longueur, il y a toute la place pour s'étaler ici...
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L
Et bien là, tu me donnes l’occasion de te répondre, moi qui te lit en silence depuis quelque temps.<br /> <br /> "Comment se fait-il que des personnes acceptent d'exister (ou de non-exister...) selon ce que d'autres définissent à leur égard ?"<br /> <br /> Il suffit d’écouter les conversations et d’observer autour de soi pour découvrir combien elles sont « ordinaires » ces familles où l’existence des enfants est vécue comme une nuisance. Une nuisance qu’il faut bien supporter par conformisme, mais une nuisance quand même. Combien de fois ai-je entendu des jeunes femmes raconter le dressage du bébé qui « faisait » mal ses nuits et les dérangeait : T’as qu’à la foutre au lit et lui montrer qui est le maître ! (Ca c’est de cette semaine). Est-ce là le langage que devrait tenir une jeune mère, même fatiguée. Je ne peux pas l’admettre. Il n’y aucun amour ou respect dans ces relations là, c'est un dressage, un débourrage.<br /> <br /> Accueilli de la sorte, nié, rabaissé, annihilé en tout par ses parents, quelles chances peut avoir un enfant de s’affirmer en tant qu’individu ? Quasiment aucune, il suffit de regarder ou d’écouter autour de soi. Les vrais adultes sont des créatures assez rares, et je ne ferais pas la fière parce que je passe à l’âge de raison à près 50 ans. <br /> <br /> Mais tout ça Alice Miller l’explique bien mieux que moi. Dommage qu’on ne la donne pas en lecture obligatoire dans les lycées. Il pourrait alors exister une petite chance de changer la donne.<br /> <br /> Désolée d'avoir été si longue. Nous dirons que ça compense mes silences précédents :-)
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C
J'ai beaucoup aimé "Bouche cousue".le titre de son dernier livre me fait peur mais ce que tu en dis me donne vraiment envie de le lire.
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S
Cela me fait plaisir que tu rebondisses sur mon billet, d'autant plus que tu n'as pas beaucoup publié ces dernières semaines...<br /> <br /> Quand la narratrice se voit reprocher sa tendance à "se centrer sur son nombril", on voit bien le lien entre ce nombril et l'enfant qu'elle a été, l'enfant qu'elle porte et veut garder en elle, jusqu'à commettre un acte terrible. <br /> Au lieu de l'ouvrir au monde, l'accusation d'égoïsme renferme le personnage sur elle-même, dans une spirale morbide.<br /> <br /> Ce que j'ai trouvé intéressant, c'est la façon dont la romancière "détricote" cette spirale, jusqu'à remettre dans le domaine de la pensée un acte qui échappait à la représentation et aux mots.
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