Le silence de la peur
J'avais un jour écrit sur le sens du silence, un sujet qui intéresse tout particulièrement le partisan du dialogue que je suis. Ce texte est d'ailleurs notablement pourvoyeur de lecteurs, via les requêtes Google : manifestement le silence relationnel est quelque chose d'aussi fréquent que cruellement ressenti. Dans le monde des blogs, je lis régulièrement des écrits évoquant la frustration que provoquent des silences inattendus ou inexpliqués. Évidemment : le propre du silence c'est qu'il n'explique pas ! Le silence de l'autre renvoie à soi-même en donnant libre cours à une imagination qui, sans les limites qu'apporte la communication, peut devenir galopante. Ce peut aussi bien être dans un sens positif que négatif. Le silence relationnel est le terreau sur lequel germent les fantasmes, tant de l'eros que du thanatos.
Si je reviens sur ce sujet déja longuement abordé c'est parce que, récemment, la relation que j'ai avec mon épouse Charlotte est entrée dans le silence. Nos échanges étaient pourtant devenus relativement cordiaux et apaisés depuis notre séparation physique, il y a presque un an. À force d'ajustements nous avions pu maintenir cette qualité d'échange qui me tenait à coeur, malgré son besoin d'éloignement. Mais en quelques secondes la situation s'est tendue et nos échanges se sont suspendus. Ce silence est directement dû à l'angoisse que je lui inspire sur un point bien précis : notre co-engagement financier tant que nous ne sommes pas officiellement divorcés. Mon silence en retour correspond à ma crainte de son hostilité qui pourrait me blesser. Résultat : il n'y a plus de contact. Nos peurs se conjugueraient et rendent improbable une communication sereine.
Par ailleurs je constate qu'il m'arrive d'être silencieux avec certaines de mes relations. Il y a une raison claire, quoique pas vraiment consciente : maintenir une distance. Parfois c'est avec, comme idée sous-jacente, la peur d'être envahi et de me trouver dans l'embarras pour exprimer un refus à une demande que j'imagine excessive. Autrement dit, de ma peur de me positionner clairement découle un silence, qui lui-même engendre une inquiétude. Or précisément cette inquiétude risque fort de stimuler une demande d'explications, donc de contact que, précisément, je cherche à éviter. Tant qu'il n'y a pas trop d'enjeu, qu'il y de la bonne volonté de part et d'autre et que les choses sont rapidement désamorcées ça ne pose pas de problème. Mais pour peu que la peur prenne un peu d'ampleur d'un côté ou de l'autre, un cercle vicieux peut très vite se mettre en place.
Dans son livre "Cessez d'être gentil, soyez vrai ! ", Thomas d'Ansembourg résume en quelques mots le sens du silence relationnel : « Lorsque l'écoute du besoin de l'autre m'apparaît comme une menace, je m'en coupe et je m'enfuis, ou je m'enferme dans le silence ». C'est ce que j'appelerai "le silence de la peur". Cependant qu'en face, ce silence qui n'a pas de sens précis génère "la peur du silence". Avec des questions sans réponse qui peuvent devenir obsessives et auto-alimenter une angoisse portée par une imagination fertile. On sait que la peur est particulièrement imaginative, et toujours dans le sens du pire redouté...
Il y a donc un lien entre silence et peur, tout comme il y en a un entre communication et confiance. Les deux sont propices à l'imagination, mais dans des sens contraires, frustration ou émulation. La communication, lorsqu'elle peut s'effectuer sans crainte dans un climat de confiance, permet la relation et l'établissement d'une synergie de pensée. Par contre, lorsque la communication se fait sous l'emprise de la crainte, elle peut devenir excessive et envahissante.
Inversement le silence, lorsqu'il y a confiance relationnelle, peut-être un moment de partage particulièrement doux. Ce n'est donc pas le silence en lui même qui pose problème, pas plus que la parole n'est solution, mais bien le climat de confiance.
Or la confiance en l'autre découle directement de la confiance que l'on a en soi. Si j'ai peur des réactions de l'autre c'est parce que j'ai peur de ne pas savoir les gérer. J'ai peur qu'elles m'envahissent et bouleversent mon équilibre intérieur. Et cela tant pour celui qui fait silence que pour celui qui le subit. Tant pour celui qui a besoin de se sentir libre que pour celui qui a besoin de savoir si l'autre est là. C'est ce qui fait le charmant petit jeu du « Suis-moi, je te fuis. Fuis-moi, je te suis ». Et que de déchirements découlent de ce jeu-là...
En étant au plus près de mes ressentis personnel (désir, peur, colère, tristesse) et en les exprimant, j'évite de laisser s'emballer l'imaginaire angoissant dont l'autre et moi sommes porteurs. Autrement dit : n'ayons pas peur des mots. Il sont les outils de travail de la relation vivante. Lâcher ces outils, c'est prendre le risque de voir les choses évoluer indépendamment d'une volonté commune.
Feuilles et aiguilles, combinaison des différences