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Alter et ego (Carnet)
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21 novembre 2007

Comprendre

Acte 1 : Ce matin, excédée par un des érémiste accueillis dans la structure d'insertion où je travaille désormais, une de mes collègues chargée de l'encadrement l'a vertement tancé devant les autres salariés. Le sommant de choisir entre rester ou partir, selon la motivation qu'il avait de s'impliquer dans son travail, ce dernier est rentré chez lui. Le soir nous avons parlé, entre encadrants, de cet incident. Ma collègue estimait que cet employé avait dépassé les bornes (ses bornes) et méritait ce recadrage musclé. Je lui ai alors suggéré que si son agacement était compréhensible (l'employé est particulièrement pénible et de plus en plus mal supporté par l'ensemble du personnel), on pouvait néanmoins s'interroger sur l'opportunité de remarques faites publiquement. On pouvait aussi se demander pourquoi cet homme est aussi pénible, et dans quelle mesure il en est "responsable". Ma collègue a commencé par bondir, arguant que chercher des explications à tout conduisait à tout excuser, puis a semblé finalement prendre conscience du problème. Elle parlait de respect du travail, respect des autres employés, respect de son autorité... mais semblait oublier le respect dû à cet individu et à sa différence. Manifestement cet homme a un "problème", et le rejeter pour cela n'est certainement pas le meilleur service qu'on puisse lui rendre.

Acte 2 : Dans son billet de ce soir, Samantdi évoque le dernier livre de Daniel Pennac, "Chagrin d'école", dans lequel il serait question des dificultés d'apprentissage de ceux qu'on appelle cancres. Samantdi raconte alors ses constats face à des élèves déroutants, qui ont parfois une logique de compréhension différente. Différente de la sienne, différente de celles des autres, différente de la plus grande masse. « Pennac nous aide à prendre conscience, de l'intérieur, de ce que ressentent les enfants dont nous ne comprenons pas qu'ils ne comprennent pas. Chacun d'eux pose un défi à son professeur : décrypte-moi, trouve la clé qui va me donner envie d'entrer dans ton savoir. » Il n'en fallait pas plus pour me faire sortir de ma torpeur et reprendre le clavier...

Acte 3 : Récemment Kozlika, après avoir observé que les Ricochets étaient toujours actifs, à demandé à tous les participants de faire étape commune en livrant nos impressions, que l'on ait poursuivi ou abandonné en route. Cela m'a permis de m'interroger sur ma propre implication, bizarrement devenue bien moins assidue que ce que j'avais pensé au départ. Je crois que les explications prennent source dans l'approche repoussée d'une période de ma vie que j'hésite à revisiter. Parce que je ne saurais l'évoquer sans aborder ce qui m'a le plus marqué : mon statut de cancre, et le rejet que cela a suscité de la part de mon père, qui ne comprenait pas que je ne comprenne pas. Or j'ai envie de sortir des séquelles de cette période douloureuse de mon existence, qui a terriblement marqué mon parcours de vie jusqu'à aujourd'hui.


Ces trois actes résument ce qui me fait vivre : un désir inextinguible de comprendre. Tenter de mieux comprendre les choses de la vie, comprendre l'humain, comprendre mes semblables. Et probablement, chercher à comprendre les incompréhensions de toute nature. Ce désir, davantage qu'une vaine revanche, vient d'une sensibilité particulière pour la différence et le rejet qu'elle peut susciter parfois. Y compris dans tous les aspects du quotidien. La plus grande des incompréhensions est celle qui régit les rapports humains. Voila pourquoi, fort tardivement dans mon cheminement, je m'oriente irrépréssiblement vers l'écoute des autres. Après avoir passé trente ans de mon existence d'ex-cancre à me reconstruire pour acquérir le minimum d'assurance, je me sens peu à peu capable d'apporter quelque chose à ces autres dont je me suis tant méfié. Car fort logiquement j'ai eu tendance à fortement douter de mes capacités à comprendre... Bizarrement, maintenant c'est chaque épreuve qui, en ravivant mes blessures, me renforce. C'est un peu comme si comprendre les autres, comprendre l'autre, était devenu un défi permanent. Peut-être que de ne pas comprendre était une porte d'accès à une autre forme de compréhension, plus intuitive ?

Commentaires
P
C'est très juste, Alainx : aucune formation particulière n'est demandée, (ni n'existe ?) pour exercer ce genre d'emploi. On apprend "sur le tas". Pour ma part c'est mon expérience (3 mois !!!) d'enseignant qui m'a permis de décrocher le poste parmi les postulants.
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A
Quand je parle de "compétence professionnelle", c'est de l'aptitude à gérer tout ce que tu dis dont je parle. Le rappel des limites, pour avoir une efficacité et une légitimité, ne peut pas être la "guelante"...<br /> Je ne porte aucun jugement sur "l'encadrante" bien évidemment, mais sur le process formatif pour occuper un tel emploi.... C'est généralement laissé par les dirigeants à un amateurisme relationnel et managérial qui est à déplorer.
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P
"Traversée de mondes", comme tu le dis, Samantdi. Expression qui me plaît parce qu'elle traduit bien tous les changements possibles : rien n'est jamais figé. J'y vois aussi une variante du principe de résilience : c'est parce qu'on a vécu quelque chose de difficile qu'on a acquis certaines capacités. Le "cancre" Pennac en est un bel exemple.<br /> <br /> Oui D&D, la compréhension par le vécu a une toute autre dimension que celle qui passerait uniquement par l'intellect. Néanmoins, un vécu qui ne serait pas "intellectualisé", réfléchi, risquerait de rester relativement peu élaboré. L'expérience analysée permet d'aller plus loin, comme un tremplin de compréhension. C'est du moins ce que je ressens depuis que j'expérimente beaucoup...<br /> <br /> Aaah, Christine, tu soulèves un point très important : que peut-on pour l'autre ? Tu as raison, on peut tout à fait se perdre à tenter de forcer ce qui tient lieu de barrières de protection, quelles qu'en soient les raisons. Mais c'est entrer là dans le domaine de la psychanalyse : pourquoi n'avoir pas envie (inconsciemment) de comprendre, ou n'avoir pas envie (idem) d'être compris ? Un domaine d'exploration qui bien évidemment me passionne...<br /> <br /> Alain, j'aime bien ce que tu dis sur le self-contrôle. En même temps ces limites personnelles qui font qu'un jour on craque rappellent que l'on reste humain, faillible, et que "trop c'est trop". Ce n'est pas forcément une baisse d'autorité, car ce rappel de limites personnelles d'acceptation montre aussi qu'il ne fraut pas pousser à bout le détenteur de "l'autorité". Une marge d'incertitude, un délai de réaction qui demeurent fluctuants et empêchent d'aller juste en deça desdites limites, trop près.<br /> <br /> Pour ce qui est du désir de "tout" comprendre (et aussi tout garder sous contrôle), il correspond sans doute à un hiatus entre ce que je sens et observe et ce qui en est dit. J'ai besoin de comprendre par moi-même, d'expérimenter, pour me sentir dans une situation confortable. Me fier à ce qu'on me dit sans le comprendre, sans le ressentir, ce serait encore me maintenir dans un statut de "cancre" qui essaie de suivre sans y parvenir.
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A
On peut en effet s'interroger sur la compétence professionnelle de l'encadrante qui ne sais pas garder son self-control... <br /> Et puis là le "respect de son autorité"... il a pris du plomb dans l'aile...<br /> <br /> ---------<br /> Cela dit c'est intéressant ton analyse sur les origines de ton besoin exacerbé de comprendre tout. Et j'aime bien que tu en vois la limite en terme "d'enroulement" sur soi-même. Il y a un "trop vouloir comprendre" qui nuit aux relations... (et même à l'intelligence quelque part....)
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C
On peut aussi se perdre à essayer de comprendre celui qui n'a pas envie qu'on le comprenne...<br /> <br /> Je n'évoque pas ici de la relation élèves/professeur qui est totalement différente car le professeur et l'élève ont un intérêt commun dans cette compréhension de l'autre.
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D
Le double tranchant du désir de comprendre... Le lien profond avec le vivant quand la compréhension est vécue et non seulement intellectuelle... Le risque du malentendu... La si belle question qui ouvre encore davantage ce billet à la toute fin... <br /> Bonheur de lire ici, encore.
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S
Anna F., je suis contente de vous recroiser ici, je continue moi aussi cette lecture passionnante, qui ouvre des fenêtres.<br /> <br /> <br /> Bonne "compréhension", Pierre ... Quand tu as fait ton remplacement dans un lycée, l'an dernier, tu es passé, comme Pennac, du statut de "cancre" à celui de prof, quelle traversée de mondes, là aussi !
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P
Comprendre ET vivre, comprendre POUR vivre, vivre ET comprendre... peut-on séparer le vécu de la compréhension ? L'un n'est-il pas révélateur indispensable de l'autre, et inversement ?<br /> C'est parce que je n'avais pas l'impression de vivre pleinement que j'ai eu besoin de comprendre. Avec le risque que tu soulignes, Coumarine, d'oublier parfois de vivre à force de chercher à comprendre... <br /> <br /> J'étais un cancre (faux-cancre), Anna F., parce que j'avais besoin de comprendre ce que j'apprenais. Or, pour diverses raisons, je ne comprenais pas ce que la plupart des autres élèves comprenaient. Certains profs sentaient bien qu'il y avait un problème particulier avec moi, d'autres n'avaient pas de temps à perdre avec un élève qui ne suivait pas le rythme et aurait retardé la classe. Je vais bien sûr le lire le livre de Pennac, dont j'imagine bien qu'il peut être bouleversant. À chaque fois que j'entends parler d'échec scolaire ou lis un article sur le sujet, je suis profondément troublé, bouleversé, ému, mais aussi révolté en revisitant ce passé de cancre et toutes les conséquences que cela à pu avoir sur tout mon parcours de vie. Il n'y a que depuis quelques années que je me rends compte que cela a aussi pu m'apporter une sensibilité particulière qui peut avoir son utilité.
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A
J'ai lu avec intérêt et surprise votre commentaire chez Samantdi car je ne vous imaginais pas ex-cancre ;-)). Le message de Samantdi m'a beaucoup émue et le livre que j'ai commencé ce matin me bouleverse. Votre analyse sur le rejet et la différence rejoint la belle altérité que je "préfère" à la tolérance.
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C
"comprendre" est important certes...et c'est ta quête il me semble depuis toujours<br /> mais il me semble que "vivre" l'est encore plus...<br /> Et vivre à fond chaque instant qu'il m'est donné de vivre, me permet de comprendre mieux, pour autant que je reste DANS ma vie, pas à la périphérie générée par le stress (par exemple)<br /> Bonne journée
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