Malaise sur le passé
Revenir sur son passé, ancien ou récent, n'est pas toujours chose facile. Pour preuve, la fréquence des remarques faites à ce sujet lors de l'actuel état des lieux proposé par Kozlika, l'initiatrice du projet des Petits cailloux et ricochets. Alors que certains semblent à l'aise dans des évocations plutôt factuelles, ou choisissent des angles de vue positivants, d'autres ont vu leur écriture se bloquer, paraissent embarassés et expriment un malaise. Parfois il transparait aussi un désir de cesser le ressassement lorsque l'introspection a déjà été largement devéloppée.
Voici un petit florilège d'extraits, dans lesquels je mets en gras certains mots forts qui m'ont paru significatifs :
« Le fait est que certaines de ces années, à qui j’ai demandé de revenir à ma mémoire, m’ont été difficiles à évoquer, j’avais mis tant de temps à m’apaiser de leur passage, était-ce bien malin de raviver leur souvenir… (...) J’ai arrêté au bord de 1990, parce qu’au-delà de cette année-là, les souvenirs sont plus fumeux, plus obscurs, plus durs à déterrer. J’ai peut-être peur de toucher une conduite enterrée qui m’exploserait au visage ? Peur d’enlever des mouchoirs très délicatement disposés, petits linceuls de choses oubliées en-dessous ? Peur d’affronter la réalité de certains souvenirs soigneusement arrangés pour présenter moins d’aspérités coupantes ?
Ou alors juste une grande paresse ?
Les petits cailloux ne sont pas anodins, c’est certain. J’ai lu certains billets d’autres ricocheurs le cœur serré, ou admiratif, ou ému et je ne peux croire qu’on s’écrive, soi, sans implication parfois douloureuse ou difficile. Ce blog est précieux, poignant, drôle parfois. J’aime ces chemins tracés de mots intimes, parallèles ou sinueux. Poursuivrai-je le mien ? Je n’en sais rien. »
Traou - Seize cailloux
« C'est horriblement dur. Je n'ai pour l'instant fait que trois billets, les trois premières années de ma vie. Je traîne involontairement. Je lambine, parce que bientôt, il faudra parler. Parler de ces vingts ans. Parler de l'horreur qui tourne en boucle dans ma tête. Parler de ce pourquoi j'ai vu, sans comprendre, tant de gens pleurer autour de moi. Parler de ce dont personne n'ose plus me parler. Vingt ans. 2006. Encore 17 billets.
17 billets avant de comprendre. J'ai peur. »
Johann - Marginalia
« Il fût un temps pour l'introspection, je me regardais le nombril, dans tous les sens. J'en analysais les circonvolutions, les révolutions, les recoins cachés, les courbes exhibées. Il fût un temps nécessaire, douloureux bien souvent, salutaire davantage. Un long temps qui commença sans doute à l'adolescence et qui devait prendre fin récemment. Ce temps d'apprendre à me connaître, à m'accepter, ce temps de lâcher ma révolte, d'abandonner mes colères de Caliméro. Ce temps pour accepter l'injustice qui m'a été faite, cette blessure de l'enfance, irréparable, accepter qu'elle soit devenue une richesse.
(...) Puis il est venu ce temps de l'apaisement, ce temps d'aujourd'hui ou l'introspection me parait soudain futile, ce temps ou de mon nombril j'ai tourné le regard vers autrui, ce temps de la capacité d'abstraction. Mes colères, mes révoltes, ont pris un autre visage, elle prennent leur source ailleurs. Et finalement comme j'ai appris à me battre pour moi, j'essaie de mettre cet esprit de la bataille au service d'autrui.
Les ricochets, mes premiers ricochets sont venus là, finir ce temps de l'introspection, et si je n'ai pu remonter jusqu'à ma naissance, c'est d'avoir eu ce sentiment puissant de radoter, de l'avoir tant et tant raconter, de n'avoir plus rien à en tirer. Je n'avais plus envie de parler de moi, de ce moi là, de ce temps là, devenu si lointain sans que je m'en sois bien rendu compte. »
Luciole - Un temps pour tout
« Et puis il y a les années d'étudiante, qui arrivent à grands pas (tiens donc, c'est donc là que je bloque ! hum hum, très intéressant, continuez, dirait mon bon Docteur. Continuons), celles dont les albums photos dorment sous forme de pochettes de photos pas triées à ranger, en cartons qui me suivent déménagement après déménagement, et que je ne suis plus sûre de savoir mettre en ordre. N'y aurait-il pas un lien ? »
Aglaï - De l'ordre et des annees du temps qui s'effiloche et des fils qui depassent
« Les premières années ont été faciles. De beaux souvenirs, l'envie de les partager, et le plaisir de me les remmémorer. Par la suite, ça s'est corsé. Il y a des souvenirs difficiles à faire partager, parce que sans doute effrayant à faire revivre.
En ce moment je suis bloquée sur une année. J'ai voulu la faire en 2 parties, parce que deux événements dans cette année là ont eu des incidences sur le reste de ma vie. J'ai écrit la 1ère partie avec jubilation. Je tiens absolument à écrire la seconde partie. Je me suis dit que je pouvais y arriver. J'avais réussi à écrire le souvenir traumatisant de mes 16 ans, j'ai pensé qu'il en serait de même pour l'année de mes 17 ans.
Et après avoir écrit 3 lignes, je reste coincée. Je n'y arrive pas. Il y a des mots qui ne sortiront pas. Malgré tout je veux quand même poser un petit caillou blanc. le simple fait de l'évoquer, sans entrer dans les détails, est important pour la suite de mes ricochets. Alors j'écrirai cette seconde partie, même si elle parait mystérieuse à ceux qui la liront. Dire les choses, même à demi-mot, me permettra de continuer sur le chemin de mes souvenirs. »
Cassymary - Continuer
« Pourquoi est-ce que je me suis coincé là ? Ce n’est pas par hasard sûrement. Je sais très bien ce dont j’avais l’intention de parler pour 1992. Ce n’est pas spécialement difficile ni douloureux. Mais ce malaise que je voulais évoquer, survenu lors d’un événement assez dérisoire ne me concernant pas directement, dit assez par sa force et son étrangeté qu’était touché un élément important pour moi, un nœud sûrement.
Je crois avoir su très vite, dès lors que ce petit événement s’est produit et parce qu’il est resté toujours présent à ma mémoire de quoi il retournait. J’ai eu l’impression, sans doute fallacieuse d’ailleurs, d’avoir épuisé la question. Et comme il y a malaise à l’évoquer sans gain prévisible de compréhension ou de redécouverte, je n’ai pas eu envie d’y revenir. »
Valclair - Ricochets, vous avez dit ricochets ?
« Pas plus qu'il y a huit mois je n'ai de goût prégnant pour raconter mon histoire. Voici cinq ou huit années, oui, je l'aurais fait. Pas maintenant. Plus maintenant. Pas encore.
Je ne vous lis pas, car cet étalage m'apparaît impudique et dérangeant. Il s'agit de vos vies que je n'ai pas envie moi, de connaître aujourd'hui. Malgré cela, je vous souhaite sincèrement une bonne continuation et de bonnes écritures. »
Etienne - Pas d'écriture
« Ce qui semblait au début un jeu semi-innocent de voyeur-exhibitionniste est peu à peu devenu un besoin semi-inconscient de guérison par le regard oblique de soi sur les autres, par le regard supposé des autres sur soi. Soi, c'est moi, en fait.
(...) Abandon d'une histoire. De mon histoire. Au vingt-cinquième billet, le module savant de l'écran de Koz m'indique ce nombre, j'ai buté sur un escalier trop raide et j'ai passé mon chemin. N'espère pas que j'y revienne, je n'y reviendrai pas. Trop de pieuvres m'observent sur les marches plus hautes que larges, et le vide sans garde-corps qui gronde au dessous est trop large, comme un Urubamba de torrent.
(...) J'ai fait mauvaise roulette, c'est manque qui est sorti. J'ai cessé de savoir qui j'étais pendant les siècles qui ont suivi et je ne peux plus rien raconter, ou plutôt je dois refermer l'armure.
Non pas à cause de l'extérieur hostile, mais de l'intérieur nauséabond. »
andrem - J'obtempère derechef
Pour ma part, j'en suis à m'interroger sur l'opportunité de ce retour sur le passé. Est-ce une démarche constructive et affirmative de soi, ou au contraire n'est-il pas préférable de mettre une distance avec d'éventuels ravivements de souffrance ? Est-ce du courage ou de la complaisance morbide ? Se sent-on plus libre lorsque le passé est débarassé de sa surcharge émotionnelle ? Faudrait-il gratouiller inlassablement ? Je suppose que cela dépend de l'intuition de chacun. Que l'on se protège est tout aussi sain que d'aller regarder là où ça peut faire mal. Cela dépend des besoins du moment. J'ai pourtant tendance à penser que de ne pas avoir peur de regarder le passé en face procure une plus grande liberté, parce que l'esprit est en paix et ne craint pas d'être dérangé.
Des avis sur la question ?