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Alter et ego (Carnet)
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11 décembre 2007

Séparation, rupture : les mots à dire

Je participe depuis quelques semaines à ce qu'on pourrait appeler "groupe de parole" pour des personnes ayant un statut précaire, ou en difficultés sévères. Échanges très enrichissants, évidemment, où ressemblances et différences d'itinéraires et de personnalités se conjuguent pour donner matière à réflexion. Au fil des séances se livrent ainsi des histoires de vies qui, une fois passé le vernis qui consiste à laisser croire que chacun maîtrise sa situation, montrent la profondeur d'inquiétudes lourdes et légitimes. Chez des personnes plutôt habituées à montrer qu'elles encaissent bien les choses apparaissent des souffrances humaines proches de la détresse.

Ainsi, comme si elle devait confirmer mon dernier billet au sujet des ruptures, l'histoire d'Henri.

Henri est un joyeux luron, toujours à plaisanter. Le regard rusé, avec un sens aigu de l'observation, il a des remarques pertinentes qui font mouche. Mais Henri à le sang chaud, et ne s'en cache pas. Il se sait capable de grande violence, voire de meurtre. Il en est conscient et garde toujours avec lui des médicaments adéquats, tout en étant suivi par un psy. Au fil des séances, le joyeux Henri à souvent laissé filter une profonde souffrance. Lorsque le groupe travaillait à partir de mots censés représenter certaines idées de la vie, Henri utilisait parfois des mots très fort. Ainsi, à propos de son métier, un "misère" à faire frissonner côtoyait le mot "bonheur", facétieusement déposé avec un effet de surprise calculé. Car il aime passionnément son métier, mais crève de vouloir le vivre. Son métier c'est sa vie, et même au delà.

Henri est agriculteur. Il ne pouvait imaginer que son fils ne reprenne pas la ferme ancestrale... mais y avait mis des conditions telles que le fils, incapable de supporter cette pression paternelle autoritaire, à fini par renoncer. Ainsi, en brisant les espoirs du père, dans un sursaut existentiel que l'on peut comprendre, le fils a choisi de se sauver. Au sens propre et au figuré : il est parti.

Il est parti depuis des années, et ces deux-là ne se voient plus, ne se parlent plus. Au mariage de sa soeur le fils est venu, mais père et fils ne se sont pas adressé la parole. Ils étaient comme deux étrangers. Le père en veut terriblement à son fils, et lui a fait payer très cher cette déception avec une violence dont Henri ne se cache pas. En thérapie, il semble avoir fait un important travail de conscientisation. Il demeure cependant porteur d'une haine, pas tant vis à vis du fils que de ce que le sort lui impose : sa ferme ne sera pas reprise. Ainsi, une détestation absolue à l'encontre du voisin, pourtant seul capable de continuer à exploiter la ferme : « Jamais ! plutôt le tuer que de le voir reprendre ma ferme ! ». Haine qui s'explique en filigrane par le fait que ledit voisin, de l'âge du fils d'Henri, à repris LUI, la ferme de son père...

Tout un flot de non-dits est ainsi apparu durant le récit de Henri, sans qu'il n'en ait été fait mention auparavant. Et bien sûr la haine père-fils masque mal une grande souffrance de ce père qui comprend confusément, mais sans ambiguïté, qu'il est pour beaucoup dans la fuite du fils...

Quel est le rapport avec mes histoires de séparations et de rupture ? Et bien que rompre un lien fort n'est pas qu'une perte de lien, mais aussi la mise sous clé de mots à dire. Deux personnes qui se tournent le dos obstinément, chacune rendant l'autre "responsable", mais incapables de "vider l'abcès", pourtant seule solution pour une vraie paix intérieure et relationnelle. Tout travail thérapeutique, toute forme individuelle d'acceptation et de lâcher-prise, de pacification intérieure, ne vaudra jamais un véritable dialogue. Ce sont des pis-aller, qui peuvent avoir une certaine efficacité (fort heureusement !), mais ne peuvent neutraliser ce que le non-dit empoisonne.

Dans les commentaires du billet précédent, Alainx m'a permis de mettre en évidence le fond de ma recherche en apportant un contrepoint à mes propos. En évoquant les ruptures nécessaires, alors que je m'efforce de comprendre leur sens profond, il m'a fait réaliser que ce qui motive ma conviction c'est toujours la réduction des souffrances. Or une rupture fait déjà suffisamment souffrir pour ne pas en rajouter.

Une rupture relationnelle, telle que ce qui se passe dans de nombreux couples, c'est déjà une grande souffrance. Même si elle se passe en plein accord, même si elle est verbalisée, la perte du lien renvoie à quelque chose d'archaïque en nous. Même harmonieuse, une séparation fait mal.

Mais si en plus, telle que celle d'Henri avec son fils, elle se fait dans une insuffisance de mots, ou dans le silence total qui rend deux personnes "étrangères", on rajoute à la perte de l'autre la violence du manque de sens. Et là ce n'est plus quelque chose qui est lié à l'autre, mais quelque chose qui nous est intérieur. Un grand point d'interrogation : Pourquoi ? Qu'il soit formulé dans un « qu'ai-je fait (pas fait) ?, qu'ai-je dit (pas dit) ? », ou qu'il se concrétise en haine chargeant l'autre de toutes les fautes, il y a au fond cette question : que s'est-il passé pour en arriver là ? Qu'avons nous fait de nous ?

C'est d'ailleurs la seule question digne d'intérêt, et toute recherche de "fautes" de l'autre n'est que fuite en avant. Fuite de soi... devant soi. Car la réponse est autant en nous qu'en l'autre. D'où, et c'est tout le sens de mes réflexions récurrentes, l'importance de communiquer afin que soit entendu réciproquement le ressenti de l'autre. . Cet autre qui, en tant que miroir dans lequel je vois les effets de mes comportements sur lui, détient les indices qui peuvent me mettre sur les pistes que j'ai à explorer en moi. Si c'est bien moi et moi seul qui ait la clé, c'est l'altérité qui m'offrira les indices. Et le mieux placé, lorsque c'est possible, est bien celui avec qui la relation est devenue "insupportable". Car ce que je ne supporte pas chez l'autre est évidemment ce qui en lui me fait comprendre mes limites à l'acceptation de sa différence. Quant à son ressenti, il explique ses réactions... celles auxquelles précisément je donne un sens lorsque je ne les comprends pas.

Ma clé (conscientisation et responsabilisation) ouvre donc à la fois à ma part de responsabilité... et potentiellement à la vraie paix relationnelle. Car chacun dispose du pouvoir de faire une moitié de chemin vers l'autre. De tendre une main.

Si Henri veut trouver la paix, il devra faire des pas en direction de son fils. S'il reconnait ses erreurs et ose le dire, tout en allégeant sa conscience, il entr'ouvrira peut-être une porte. S'il peut aussi entendre ce que son fils a accumulé de ressentiment, si les non-dits parviennent à être exprimés, alors ils pourront probablement se remettre sur un chemin de paix. Sinon ils verront la suite de leur existence empoisonnée par des incompréhensions, aussi enfouies soient-elles, jusqu'à ce qu'ils crèvent avec ce poids comme ultime compagnon de route. La mort comme seule délivrance...


Edit du 12 décembre : lire aussi les intéressants commentaires qui suivent. Ils précisent et amendent ce texte avec pertinence.

Commentaires
J
tellement vraie :<br /> <br /> La mort comme seule délivrance...<br /> <br /> mais comment y parvenir sans (trop) souffrir , sans faire souffrir ?
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P
Isis, je comprends que le sujet soit "sensible" pour ceux et celles qui se sentent impuissants devant un silence qui n'a pas été choisi...<br /> <br /> D'ailleurs, ta phrase sur la place dans le coeur mais plus dans la vie est lourde de sens.
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I
sujet ultra sensible pour moi, je retrouve dans tout ce qui est écrit ce qui m'est 10000 fois passé dans l'esprit et le coeur depuis une année que ma fille de 35 ans a décidé de couper la communication avec moi.Et ce , sans que j'ai réussi à savoir pourquoi.<br /> <br /> et si j'ai trouvé une certaine sérénité du coeur aujourd hui, c'est que :<br /> <br /> " tenter de communiquer sans le miroir de l'autre, c'est avancer à l'aveuglette." ecrit Pierre.<br /> <br /> donc ,moi d'abord , je me protège; ma vie continue, sans elle.<br /> <br /> je garde le lien, quelques téléphones toutes les 6 semaines à peu près, à mon initiative.<br /> cela me semble convenu, vide de tout partage qui pour moi est la base de la communication.<br /> <br /> je lui garde une place dans mon coeur.<br /> <br /> mais elle n'a plus de place dans ma vie.<br /> <br /> inch allah...<br /> <br /> isis
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P
Cabrita, si on « n'arrive pas » à parler c'est parce qu'on a peur, comme le dit Diaphalune. Il importe donc, pour tenter de la dépasser, de cerner précisément cette peur : de quoi ai-je peur exactement ?<br /> <br /> Et notamment ce peut être la peur de n'être pas entendu, ou d'être rejeté. Quelque chose qui intensifierait encore la rupture et rendrait toujours plus difficile les tentatives réconciliatrices.<br /> <br /> Selon moi toute rupture relationnelles est la conséquence d'une communication déféctueuse. Alors tenter de rétablir quelque chose quand on sait que la communication s'est dégradée lorsqu'on était encore en lien... ça a de quoi faire peur : il n'y a que peu de chances de rétablir quelque chose lorsque le lien est rompu ! Ce qui n'a pas fonctionné avant ne peut éventuellement fonctionner que si le mode de communication est profondément modifié. Or tenter de communiquer sans le miroir de l'autre, c'est avancer à l'aveuglette. <br /> Ce n'est pas une raison pour baisser les bras, mais bon... le risque de plantage et de durcissement n'est pas négligeable.
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C
Mais avant qu'il y ai rupture, il arrive qu' on veuille parler. On sait qu'on en a besoin. Pourquoi alors lorsqu'on est en face de la personne, on y arrive pas, on ne sait pas comment s'y prendre, on sent que ce n'est jamais le moment, que c'est le vide dans la tête...Pourquoi..c'est ça qu'il faudrait savoir aussi. La rupture c'est au départ voulu, je crois comme un électrochoc. Un truc pour provoquer un changement radical lorsqu'on tourne en rond. Mais lorsque le lien est rompu comment fait on pour recommencer sur d'autres bases? Finalement on tourne peut-être aussi en rond?
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P
Diaphalune, le silence à un avantage : il permet l'écoute de soi. Il a aussi un inconvénient : il permet l'écoute de soi. Or s'écouter c'est parfois entendre une petite voix salvatrice, mais aussi entendre une voix répétitive, celle du disque rayé de nos pensées. Il est difficile de lutter contre nos propres "désirs" inconscients, qui entretiennent parfois un mode d'existence qui nous est néfaste mais auquel on est habitué. Durant les ruptures ces deux voix sont en lutte constante. Privé de l'autre, de son appréciation des choses, de son regard différent du mien sur une même réalité, on tourne en circuit fermé. Tu as raison : c'est bien la peur qui maintien la coupure, la peur de ce que l'autre pourrait réveiller en moi, la peur de l'image de moi qu'il va me renvoyer, la peur du rejet, celle de voir la réalité en face, etc. Bref, la peur de souffrir. A ce titre c'est aussi un moyen de se préserver, et il est essentiel d'entendre cette stratégie vitale d'évitement (ou perçue comme vitale...)<br /> <br /> Mouette, Henri n'a certainement jamais dit à son fils son ressenti profond. Et c'est ça qui est difficile dans les coupures relationnelles : un sentiment d'injustice en n'ayant pas été entendu, compris dans ses aspirations (ressenti par le père et le fils).<br /> <br /> Encore merci à tous ceux qui s'expriment. Cela m'aide bien sûr dans mon propre cheminement et m'ouvre à des faces d'observation qui me sont parfois peu familières.
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M
En lisant tout ça j'en reviens à ce que je disais plus haut ; l'important c'est de vouloir s'exprimer et de ne pas forcément attendre la communication. Dans le cas d'Henri (comme dans la plupart des cas) je crois que l'essentiel c'est de pouvoir être en paix avec soi même et pour ça avoir exprimé ce qu'on avait sur le coeur tant dans le mal qu'on a fait aux autre que dans le mal qu'on a reçu. Henri a-t-il déjà dit à son fils le mal que lui avait fait son choix de partir? <br /> Même si son fils ne veut pas reprendre le dialogue, lui exprimer son ressenti serait déjà un soulagement à condition qu'il n'attendent pas un mea culpa de la part de son fils qui ne viendra surement pas tout de suite s'il vient un jour.<br /> <br /> Merci pierre d'ouvrir cette discussion si interressante et qui me fait réfléchir à tout ce que je n'ai pas su dire et qu'il faudra bien que j'exprime un jour...
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D
En continuant assurément à marteler nos pensées, la rupture par le silence ne nous libère pas. La prise de grande distance, voir le rejet de l'autre continue involontairement de nous relier à cet autre,ne serait-ce que par les nostalgies que l'on perçoit de ce temps d'avant,quand nous étions dans la richesse des partages et des différences.<br /> A l'intérieur du silence,le non-dit sabote toute chance de renouer le dialogue,pourtant souvent, n'est-ce pas parce que l'on s'arrête à la peur d'avoir peur? Ne pas être accueilli, tomber au mauvais moment... L'autre a peut-être entrepris un nettoyage de sa vie...Et alors la souffrance n'est-elle pas plus vive encore?
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P
Décidément vos contributions me plaisent beaucoup !<br /> <br /> Alainx, je pense que si Henri a pu verbaliser aussi "facilement" cela devant le groupe, c'est parce qu'il avait déjà mis cela à jour. Il s'est dit suivi par un psy et je suppose que tout cela avait déjà été plus ou moins élaboré. Il est a espérer que tout écoutant sérieux sait mesurer le danger qu'il y a à soulever un problème s'il n'y a pas de suivi derrière. Mais tu as raison, il y a bien un risque de ce côté-là...<br /> <br /> Tu pointes sur l'autre versant du problème, l'arpenteuse. En effet la survie par la fuite peut être le bon choix. Ceci dit... il me semble cependant préférable d'offrir une possibilité de dénouer le conflit, quitte à ce qu'elle ne soit pas saisie. Si j'ai terminé mon texte en parlant de « crever » avec le non-dit, c'est que je sais que lorsque la mort approche certains conflits qui ont empoisonné des décennies de relations familiales se résolvent parfois dans les derniers jours, si ce n'est les derniers instants. C'est quand même assez dommage... Certains ne lâcheront rien, et crèveront avec cette haine qu'ils laissent à ceux qui restent. Quel échec monumental dans l'humanité, quel poids de souffrance pour en rester là !<br /> <br /> Donc, pour répondre à ta question : non, je ne crois pas qu'une rupture nette soit préférable. Pas une rupture sans échappatoire. Par contre je suis entièrement d'accord avec l'idée de mise à distance, afin de se protéger. Mais que quelque chose reste ouvert pour que la repentance et le pardon puisse exister. Ou autrement dit : l'amour plutôt que la haine. Mais je reconnais que c'est une philosophie de vie, pour ne pas dire une conviction vitale, qui m'est personnelle :o)<br /> <br /> Dans l'histoire d'Henri, je pense qu'il en veut ENCORE à son fils, mais qu'il comprend bien que ce n'est pas de ce côté qu'est la paix de son esprit. Et que c'est en lui qu'il doit "travailler" pour accepter son fils dans sa différence. Sentir cet homme sur ce chemin, notamment parce qu'il réalise que le temps lui est compté, m'a ému.<br /> <br /> Camille, la violence brutale est effectivement un moyen d'activer des mécanismes de survie et de fuite. La "gentillesse", peut évidemment être porteuse d'une "violence" invisible, imperceptible. Une violence douce qui est un poison certain. La fuite plutôt que la mort, oui, je suis d'accord.
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C
.....c'est qu'il est 'peut-être' préférable d'avoir un père violent comme henry, car le père de mon jeune ami était (est) qq'un de très gentil et de très compétent ds son travail........de ce fait, comment faire pour refuser d'aider un père qui vous le propose et auquel on n'a pas vraiment de reproche à faire, si ce n'est qu'il n'écoute, ne respecte pas le *désir* professionnel de son fils???<br /> <br /> la violence (d'henry par ex) 'dirigée vers l'autre' engendre de la violence 'envers l'autre' et permet de se rebeller, de haïr (autre forme de l'amour) et de fuir<br /> <br /> la gentillesse, elle, semble engendrer une forme d'auto-violence, à l'analyse de ce qui s'est passé autour de moi ou même chez moi...on ne peut rien reprocher à l'autre alors on se fustige! au pire jusqu'à la mort<br /> <br /> or il vaut mieux la FUITE, que la mort, moi j'dis!!! il y a ainsi TOUJOURS la possibilité de se parler......un jour.....peut-être.....
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