Les cadeaux obligatoires
Suite à mon précédent billet autour du non-exploit qui consiste à résister au conditionnement noëlien, le commentaire de Kyrann pose cette question : « comment faire pour éviter les cadeaux « obligatoires » ? »
Ben oui : qu'est-ce qui fait qu'on puisse se sentir "obligé" d'offrir quelque chose ?
Qu'est-ce que je risque si je ne me plie pas à l'obligation.
Finalement, de quoi ai-je peur ?
Mais d'abord, c'est quoi un cadeau ? Je crois qu'il y en a de deux sortes : le don et l'échange. Les premiers sont un signe d'affection spontanée (je te le donne parce que j'en ai envie). Les seconds sont utilisés comme lubrifiants relationnels (je te le donne à titre d'échange de bons procédés). Les deux types de cadeau se confondent souvent, et c'est à mon avis ce parasitage qui peut rendre leur utilisation compliquée.
Si je donne "gratuitement", je ne calcule rien. Je n'attends rien en retour. Je ne risque donc pas d'être déçu. Ce sont des cadeaux dont la valeur réside dans l'acte de don, sans notion de valeur.
Si je donne en attente de réciprocité, il y a une question de valeur, d'équivalence. En fait je ne donne pas : j'échange. J'attends un retour. Et si je ne reçois pas autant que la "valeur" (affective, symbolique, ou pécunière) que j'ai mise dans le cadeau, je peux être déçu.
Les premiers donnent de l'amour, les seconds en attendent. Voire en demandent...
Pour ma part les "cadeaux" de la seconde catégorie me mettent mal à l'aise. Je ne me sens pas vraiment libre dans ces enjeux d'échange, parce que la valeur que chacun attribue n'est pas équivalente. Tant qu'on reste dans le symbolique, le non mesurable, ça reste simple. Dans l'affectif, ça devient déjà un peu plus compliqué. Mais la valeur qui me dérange le plus est celle qui est introduite par l'argent. Argent et amour ne font pas bon ménage.
Pour me simplifier la vie j'ai fait en sorte de ne plus me sentir obligé de faire des cadeaux. Ce qui implique, par réciprocité, que j'ai exprimé le souhait de ne plus en reçevoir. Je n'ai pas besoin de cadeau matériel pour savoir l'affection que l'on me porte, et j'espère que celle que je donne est suffisamment éloquente.
Bon... dans la famille élargie ma sortie du cercle des cadeaux mutuels à fait grincer quelques dents, au départ, mais je constate que finalement tout le monde à cessé de s'en faire ! Sauf ma mère, qui ne peut s'empêcher d'offrir un petit quelque chose à tous...
Avec mes enfants je procède de même. Je n'imagine pas de ne pas leur offrir quelque chose "en plus". Quelque chose qui est choisi, signifiant, et s'inscrit dans un esprit de transmission de valeurs personnelles (morales, intellectuelles, etc.). Mais je ne m'y sens pas du tout obligé. Par contre je n'offre rien à ma mère, et je n'en apprécie que davantage ses petits cadeaux, qui ne s'inscrivent pas dans une attente de réciprocité. Avec Charlotte la question s'est toutefois posée ces dernières années, par rapport au symbolisme de la séparation. Mais j'ai fait comme je le sentais...
Quel risque ai-je pris en me soustrayant de l'obligation des cadeaux ? Celui de contrarier les personnes qui ont besoin d'en recevoir pour se sentir aimées ! Le risque de susciter leur ressentiment à mon égard. Mais aussi la chance d'établir des rapports plus sains, fondés sur le fond plutôt que sur les apparences (songez au fait que les cadeaux sont souvent déballés en public...). J'ai choisi d'avoir des rapports plus authentiques. Jusqu'à ce jour, je ne crois pas avoir perdu l'affection de qui que ce soit à cause de ça...
Quelle peur ai-je affronté en agissant ainsi ? Celle d'être rejeté, celle de perdre l'affection de personnes que j'apprécie. En fait, je me suis libéré de ce qui peut pervertir les relations. Je crois y avoir trouvé quelque chose de plus vrai.
Cependant tout cela me demande un réajustement constant car je reste soumis à la crainte de ne pas être apprécié (crainte du rejet, etc...). Les cadeaux de la vie quotidienne sont nombreux, qu'ils se situent dans un coup de main, une écoute, une attention, ou tout simplement un sourire. Ce peut être au travail, en relations d'amitié, ou à la maison (pour ceux qui vivent en couple ou en famille). Qu'ils soient du registre du don ou de l'échange demande parfois à être discerné pour ne pas entrer malgré soi dans des logiques de "dettes". Je pense aussi à des "cadeaux" un peu particuliers, qui nous intéressent tous ici : les commentaires sur les blogs. Dans quel mesure sont ils généreux et désintéressés ? Dans quel mesure ne trahissent-ils pas une attente de retour ? Ou un "affichage" de ce qu'on a envie de montrer de soi (n'oublions pas qu'eux aussi sont visibles "en public"...) ? Hmmmm, pas forcément évident de le savoir, hein ? À ce titre les relations via internet, avec leur proximité distante, sont une bonne école d'apprentissage de l'authenticité...