Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Alter et ego (Carnet)
Alter et ego (Carnet)
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
14 janvier 2008

De l'oeuvre, le fond et la forme

Eva tient discrètement son journal en ligne depuis plus de huit ans. Cette expérience lui confère un recul sur la pratique à long terme, qui n'exclut pas des questionnements. Ainsi, elle se demandait récemment : « Est-ce qu'écrire son journal sur Internet, c'est produire une oeuvre ? Une oeuvre littéraire, probablement pas. Une oeuvre d'art, encore moins. Mais enfin, je crois bien tout de même qu'il s'agit bien d'une oeuvre. »

Avec une pratique légèrement moindre dans la durée, je partage largement cet avis. Assembler des mots autour de soi durant des mois, a fortiori des années, constitue un travail et produit quelque chose qui s'inscrit dans la personnalité. Un peu comme si l'on se travaillait soi-même, faisant corps avec "l'oeuvre". C'est d'autant plus le cas si le "je" est exposé, interrogé, mis en scène dans l'écriture intimiste.

« Ce journal est également une oeuvre au sens le plus noble du terme : un ensemble organisé de signes qui ne sont pas tout à fait juxtaposés les uns aux autres par hasard, mais qui, secrètement, voire inconsciemment, concourent à une fin, à un sens. Ce n'est par pour rien que je noircis des pages ici et que je les empile les unes sur les autres. »

Voilà une réflexion qui me plaît : tout ce que l'on fait à un sens, et d'autant plus que l'on y consacre une énergie, du temps, de l'implication personnelle. Or consacrer ce travail à parler de ce qui nous touche, nous interroge, nous agrée ou nous déplaît, c'est prendre conscience de soi. Prendre aussi conscience du monde et du regard que l'on porte sur lui. L'écriture peut-être fort révélatrice, pour peu que l'on accepte d'observer ce qu'elle nous montre de nous. Nos préoccupations y apparaissent du fait de leur récurrence. Cette trace visible est en quelque sorte le résultat de l'ouvrage sur lequel on travaille et qui, en tant que tel, nous offre la possibilité d'en modifier indéfiniment la finalité.

C'est ce que décrit très bien Eva : « Je ne sais pas très bien pourquoi j'écris. Je sais qu'il y a en moi ce besoin de se dire, cette nécessité de se comprendre, cet espoir aussi d'arriver un jour à s'accepter. Je voudrais comprendre pourquoi je suis ici, dans cette vie et parvenir enfin, une bonne fois pour toutes, à lui donner un sens. En écrivant ma vie, j'ai l'illusion que je ne vis pas pour rien, que les mots que j'aligne pages après pages ont un sens. Pour moi, pour les autres. »

Donner un sens à sa vie, ou du moins trouver le sens que l'on souhaite lui donner. N'y a t'il pas là la plus belle oeuvre à accomplir ? Cependant Eva y voit une illusion. Cette fois je ne partage pas entièrement son avis : je ne crois pas que l'on vive pour rien [mais c'est là une considération de philosophie personnelle]. Au contraire, selon moi, c'est à chacun de trouver/donner un sens à son existence. En cela le journal peut être utile, et même essentiel. Ne serait-ce que parce qu'il permet un temps de retour sur soi et d'auto-interrogation. C'est en cela qu'il est oeuvre, et non pas simple déversoir : il y a bien un sens !

« Mon journal n'est pas une oeuvre terminée. Il est en mouvement, car je ne pense pas que j'aurai fait un jour le tour de ma vie écrite. Mon journal est une oeuvre qui prend son sens dans son inachèvement. »

Pour ma part je dirais, de façon très proche mais avec mes mots, que mon journal me permet de trouver un sens tant que je ne considère pas l'oeuvre qu'il constitue comme achevée. C'est en cela qu'il est très différent d'un livre, qui ne pourrait que constituer un état du moment. Mon journal, en vivant, s'inscrit dans une continuité et c'est celle-ci qui, jusque-là, me permet de suivre un fil invisible. Le sens de ma vie je le vois largement révélé dans la trame de mes écrits. Il m'apparaît dans ce travail constamment remis sur l'ouvrage. Je suis certain que si je n'avais pas eu ce "compagnon de route" ma vie aurait été bien différente, et assurément bien plus éloignée de l'état de congruence duquel je me rapproche. En consacrant un temps considérable à l'ouvrage, j'ai pu quitter l'insatisfaction de me trouver devant une matière que je ne savais pas comment travailler. J'ai constitué l'ossature de l'oeuvre que je peux désormais affiner pour la faire tendre vers ce qu'elle m'indique. Ce n'est plus vraiment moi qui oriente les choses, je me contente de suivre la "matière" que mes mots indiquent.

Ainsi c'est davantage les mots qui me travaillent que l'inverse. Moi je n'agis que sur la forme, eux sur le fond.

Commentaires
P
Merci pour le lien, Samantdi :o)<br /> Où l'on voit que les mots nous "travaillent", en effet...
Répondre
S
Sur le travail des mots, dans tous les sens du terme, j'ai beaucoup aimé un article récent d'Etolane, qui, je crois, pourrait t'intéresser :<br /> <br /> http://voldemots.blogspot.com/2008/01/blog-post_11.html
Répondre