J'exerce ma nouvelle profession au sein d'un organisme qui regroupe quelques centaines de personnes, dans une grande communauté de communes. En vue de nous présenter à l'ensemble du personnel, la rédactrice du journal interservices est venue hier me questionner, ainsi qu'un de mes collègues. Description de nos parcours, ce qui nous avait menés à ce poste, et de ce que nous y trouvions. J'ai expliqué que notre fonction était celle d'encadrant t*chnique d'inserti0n. Notre interlocutrice me demanda de préciser en quoi cela consistait.

Excellente occasion de me livrer à cette présentation que je voulais vous en faire lorsque j'ai refusé de me faire manger la laine sur le dos.

C'est un poste qui demande à la fois de pouvoir mener une équipe, d'être opérationnel techniquement, et de se montrer attentif envers des personnes qui ont une problématique particulière. L'objectif est de les former aux bases d'un métier, de leur faire prendre conscience de leurs capacités, tout en tenant compte d'éventuelles difficultés. Le tout en vue de les insérer (ou réinsérer) dans le monde du travail. Cela demande donc de la pédagogie, de la patience, et un intérêt personnel pour les personnes que nous accompagnons. Le travail s'effectuant au sein d'équipes disparates il faut aussi pouvoir s'adapter à chacun et aux dynamiques de groupes fluctuants. Parfois il s'agit d'encourager, ou au contraire de cadrer en montrant des limites fermes. Nombre de nos salariés ont un comportement d'enfant...

La rédactrice, nous entendant parler avec enthousiasme de notre métier tenta « vous êtes donc passionnés par ce que vous faites ? ». Au terme de passion j'ai répondu que je préférais celui d'intérêt : c'est un travail intéressant, parce que changeant, en rapport direct avec l'humain, et demandant une adaptation constante. Avoir une fonction de chef d'équipe dans une entreprise classique qui ferait les mêmes travaux ne m'intéresserait pas du tout.

Je vois certains d'entre vous imaginer des personnes en insertion : plus ou moins drogués, alcooliques, délinquants, bagarreurs, paumés. Bref, des personnes un peu inquiétantes.

Que nenni ! Cette image que je vois se dessiner dans le regard de ceux à qui j'en parle est largement erronée ! Oui, bon... certains ont quelques problèmes avec l'alcool, d'autres avec la justice. Quelques uns ont un petit quelque chose qui ne tourne pas bien rond, ou bien logent dans des foyers d'accueil. Mais aucun ne cumule tous les handicaps. Chacun d'eux s'est trouvé pris dans un enchainement de conjonctures défavorables, ou n'a pas eu beaucoup de chance dans la vie, ou s'est un peu trop laissé aller... Parmi cette diversité de parcours il y a un point commun : une certaine volonté de se prendre en main et de s'en sortir. Même s'il a fallu en pousser quelques uns pour qu'ils s'inscrivent dans la démarche, même si certains voient surtout l'intérêt financier que cela représente. Il y a aussi les vrais courageux, celui qui a quitté son pays sans connaître un mot de français, ceux qui ont sombré et remontent la pente après des tragédies familiales.

Au final, dans cette joyeuse bande d'accidentés de la vie il y a beaucoup de bonne humeur, de sympathie, d'exubérance. Les plus jeunes ont à peine vingt ans, les plus âgés sont proches de la retraite. Il y a des hommes et des femmes, des français et des étrangers. Tous ne sont là que pour un contrat de six mois, renouvelable une seule fois. Ce qui fait que la plupart restent un an, le temps d'acquérir l'expérience d'un métier pour ceux qui s'en donnent les moyens. D'autres iront ainsi de contrat en contrat, d'un organisme d'insertion à l'autre. Quelques uns sont opérationnels dès leur entrée dans la structure, d'autres n'auront acquis que quelques rudiments à la fin du contrat. Et encore, en étant optimiste...

Ils sont tous dans la même galère : érémistes, chômeurs longue durée, souvent sans aucune qualification, et sans le permis de conduire qui conditionne l'accès à l'emploi. Il y a les champions des aides sociales, connaissant toutes les combines pour toucher le maximum d'allocations possibles. Il y a ceux qui racontent leur vie et ceux qui n'en disent rien. Les hyper-expansifs et les super-discrets, les futés et les déficients intellectuels, les plaintifs et les dynamiques, les bosseurs et les tire-au-flanc, mais globalement ce petit monde se respecte et s'entraide. Nous observons leur fonctionnement ensemble, intégrant les nouveaux, s'alliant ou se tenant à distance selon les affinités. Plusieurs confient aimer le travail qu'ils font, et y venir avec plaisir. N'est-ce pas le signe d'une réussite ?

À la fin de leur contrat ils s'en vont... rarement avec un nouveau travail en poche. Car même s'ils sont soutenus dans leurs démarches, beaucoup d'entre eux semblent attendre passivement qu'on leur propose un travail et se plaignent que ce ne soit pas le cas. Plusieurs d'entre eux attendent beaucoup de la société et sont dans une revendication constante. Débrouillards, de petit boulot en contrat d'intérim, la plupart parviennent plus ou moins à surnager dans cette société où ils n'ont pas vraiment de place. Leur vie n'est pas rose, à cause d'une accumulation de problèmes découlant du manque d'argent, mais ils semblent trouver, pour la plupart, un équilibre durant leur passage dans notre structure.

C'est là tout l'intérêt de notre rôle d'encadrant.

Métier par ailleurs fort peu reconnu et notablement sous-payé au vu des qualités et compétences multiples qu'il demande, mais c'est une autre histoire...

Edit du 3 mai : Lire aussi
Parcours, intéressant prolongement écrit par Lou


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Printemps naissant, hier soir