L'art de composer avec les personnalités difficiles
J'ai été... disons... "absent" pendant quelques jours, sur ce blog. Pas très bien dans ma tête. Je me suis aussi "absenté" de ma charge d'élu municipal, ne répondant pas aux messages, ne prenant pas en charge ce dont j'ai la responsabilité. Une façon de retrouver une indépendance face à ce mandat, qui demande beaucoup d'investissement. Je crois aussi que je "teste", sans vraiment le vouloir, la place que j'ai dans mes interactions avec les autres. Relations, travail, famille, municipalité... je me suis maintenu à l'écart d'un peu tout. J'ai eu besoin de me recentrer sur moi. Ah ben oui, pas toujours disponible et réceptif !
Maintenant je crois que c'est passé. Je peux de nouveau orienter mon regard vers l'extérieur.
Sur les relations de travail, par exemple (qui ne sont qu'une des variantes du rapport à autrui). Aaah, les relations de travail... toute une découverte pour le farouche indépendant que j'étais ! Ce n'est pas pour rien que j'avais quitté ce monde il y a une quinzaine d'années, pour me mettre à mon compte tout seul. J'aspirais à cette totale liberté, dont j'allais découvrir au fil du temps qu'elle est un redoutable piège : sans contraintes il n'y a pas de liberté. Faudrait que je développe ça un jour, mais pas aujourd'hui...
Relations de travail, donc, avec rencontre des inévitables différences. Différence de point de vue, de comportement, de rythme, de préoccupations, de façon de régir les rapports hiérarchiques et l'autorité... C'est passionnant tout ça, mais ça occasionne quelques frictions. Notamment avec les collègues, lorsque chacun n'a pas les mêmes priorités. C'est ce qui se passe au sein de notre équipe et à donné lieu, ce soir, à une mise à plat générale. Chacun a pu s'exprimer et nous sommes parvenus à ce petit miracle : communiquer.
Lorsque je mène une équipe de salariés, je le fais selon ma nature : plutôt cool, tout en demandant à chacun de travailler efficacement. Mon objectif est double: que le travail soit fait correctement, et que chacun soit satisfait de sa journée. C'est à dire que je ne mets pas une pression énorme sur les salariés. Un autre encadrant procède de même.
Mais deux de mes collègues ont une autre approche : le travail doit être fait rapidement, efficacement, et à un rythme soutenu. En cas de manquement à ces préceptes, le contrevenant sera vertement tancé. Et hors de question de s'adapter à chacun : une règle pour tous, qui doit être appliquée par crainte d'être débordé.
Il y a donc deux approches assez radicalement différentes pour mener les équipes : celle des "gentils" et celle des "durs".
Les durs estiment que les gentils manquent de fermeté et se laissent déborder. Ils sont perçus comme défaillants, "trop" souples, "trop" à l'écoute des problèmes des salariés, "trop" lents à trancher et prendre des décisions. Les durs nous demandent de nous positionner, de ne pas nous laisser amadouer par des salariés profiteurs, qu'il faut prendre en main fermement pour leur montrer que la réalité c'est pas de la rigolade !
Rapidement, bien qu'appréciant l'efficacité de ma collègue "dure", j'ai pensé qu'elle allait parfois trop loin dans sa façon de dire les chose, assez brutale. Moi qui suis sensible à la tonalité, j'étais mal à l'aise quand un des salariés se faisait ainsi vivement secouer. Mais bon... généralement je la laisse gérer les choses à sa façon. Il aura fallu qu'elle m'agresse pour que je change ma façon d'être et marque des limites. Ce qui ne lui a pas plu !
Depuis je prends de plus en plus ma place, affirmant ma différence. Il n'est pas dans ma nature de commander, ni d'être autoritaire, ni de "casser" les gens. Je ne suis pas non plus quelqu'un d'hyper-efficace, performant et rapide. Je travaille autrement, mais pas forcément moins bien. Et surtout selon mes critères de qualité : que tout le monde ait sa place au travail et s'y sente bien. Je ne rejette personne... ce qui n'est pas le cas de mes collègues "durs" que les "mous" insupportent. Nettement plus conciliant, j'hérite ainsi de quelques parias...
Au delà de cette opposition durs/souples, je m'interroge sur ce qui induit la rigidité. Car ma collègue est absolument persuadée d'être dans la seule vérité ! Sa méthode serait la seule valable et ce serait à nous, les souples, de changer ! Il est difficile de lui faire entendre un autre point de vue, et chaque élément de désaccord avec sa pratique est immédiatement refusé... avant de mûrir, heureusement. Car généralement elle revient pour signifier qu'elle a compris ce qui lui était dit, et que c'était justifié, compréhensible. Elle entend ce qui lui est dit et fait les efforts en conséquence. C'est ce qui permet que je puisse m'entendre avec elle, maintenant que j'ai compris son mode de fonctionnement. Une telle attitude rigide, avec refus systématique de la remise en question, ne m'a pas été facile à accepter au départ.
C'est curieux, mais de telles personnalités ont souvent eu beaucoup d'influence sur moi. Leur assurance inébranlable avait raison de mes doutes dans l'instant. Ce n'est qu'à retardement que je sentais que quelque chose n'allait pas dans leur attitude. Les personnes qui n'émettent aucun doute m'impressionnent.
D'ailleurs, c'est un des reproches que me fait ma collègue : n'être pas assez sûr dans les consignes que je donne. Elle me dit que je dois ne montrer aucun doute, qui pourrait être une brèche dans laquelle les salariés pourraient s'engouffrer. Toujours cette crainte d'être débordée... Même genre de chose avec les personnes un peu collantes, envahissantes, et surtout si elles sont "molles" : ma collègue ne peut pas les supporter et leur renvoie, malgré ses efforts, ce rejet viscéral.
Peu à peu, puisque je discute parfois longuement avec ma collègue, je commence à comprendre l'origine de cette dureté. Elle provient d'une très grande exigence vis à vis d'elle-même. Souvent, en rigolant à demi, elle dit qu'elle ne supporte pas de ne pas être parfaite. Elle bout lorsqu'elle ne parvient pas à faire quelque chose que je réussis, ou évite d'être confrontée à ce genre de situation. Sous une attitude hyperactive, intransigeante, bourrée de certitudes qui ne cessent de se déplacer, je vois se dessiner une personnalité anxieuse. L'exact contraire de ce qu'elle voudrait montrer.
D'ailleurs, je sens aussi une peur de ne pas être appréciée à cause de cette dureté, ce qui conduit à des réactions vives de fuite, de colères subites. Quant à affirmer « je me fous de ce qu'on pense de moi »... ça en dit long sur la mésestime de soi.
Je ne sais pas encore bien quelle attitude avoir face à cela, mais il semble bien que de ne pas céder à cette tentative de circonscrire la vérité à la sienne est la première étape. Montrer que je suis différent et que ce n'est pas moins bien. La seconde pourrait bien être de manier l'alliance subtile de la résistance passive, de l'affection discrète, et de l'humour complice. Tout un art... pour éviter d'entrer en conflit.