Gymnastique relationnelle
Je travaille avec une collègue qui, de tout à fait sympathique et soucieuse d'autrui, peut subitement devenir agressive et cassante. Habituellement à l'écoute des personnes, il lui arrive aussi d'être dénigrante, blessante. Ces changements sont étroitement liés à son degré de contrariété, lui-même très influencé par son humeur versatile.
Après quelques malentendus et sérieuses mises au point j'ai à peu près trouvé comment me situer avec elle : je ne m'offusque plus outre mesure de ses manifestations d'irritation et me tiens à distance respectable. Ce qui consiste, en temps de crise, à ne plus engager de conversation, ne plus exprimer de signes d'affection, ne plus rien évoquer de personnel. Bref, m'en tenir au strict registre professionnel. Hier encore je l'ai remise à sa place quand elle a déchargé sur moi une agressivité totalement déplacée dont je n'avais pas à être le récipiendaire. Car c'est bien là que se situe le problème : elle s'en prend au premier venu, qui risque fort de prendre pour lui quelque chose qui ne le concerne pas. Certains le vivent très mal.
Consciente de son excès ma collègue est revenue vers moi quelques heures plus tard, me demandant de ne surtout pas rentrer dans son jeu à ces moments-là. C'est à dire de ne pas chercher à discuter avec elle, ne surtout pas la contredire, ne pas tenter de l'apaiser ou d'être à son écoute lorsqu'elle profère ses calembredaines : elle est incapable de ne pas renchérir.
Je ne suis pas le seul à faire les frais de ses sautes d'humeur et ce soir c'est auprès d'un de mes autres collègues qu'elle a présenté ses excuses. Cette capacité à reconnaître, non pas des "torts", mais que son attitude peut porter préjudice est une qualité que j'apprécie tout particulièrement. Pour tout dire, c'est cette capacité qui fait que je peux continuer à bien m'entendre avec elle... lorsqu'elle est en de bonnes dispositions. Sinon il y a longtemps que je me serais définitivement éloigné d'elle. Nous passons donc, selon les jours, et parfois les semaines, d'une sympathique convivialité à une froide distance.
Lucide sur elle-même cette femme sait que présenter des excuses n'aurait aucun sens si c'est pour récidiver plus tard. Il n'empêche qu'elle exprime, d'une façon ou d'une autre, qu'elle est bien consciente des effets de son attitude. Redevenue calme, elle est soucieuse d'autrui. Ce n'est pas une demande d'absolution déguisée puisqu'elle se remet réellement en question, s'énervant contre elle-même, dépitée, déprimée de se voir ainsi. J'ai rarement rencontré une personne aussi contradictoire en elle-même, consciente de l'être, et l'exprimant avec sincérité. Son orgueil et ses certitudes arrogantes ne durent que le temps nécessaire à "entendre" ce qui va à l'encontre de ses désirs.
Pour moi cette capacité à la remise en question m'ouvre à beaucoup d'indulgence... bien que je me refuse à endurer ce qui me serait trop lourd. De ce fait côtoyer ce genre de personnalité n'est pas de tout repos. Je dois être attentif à ce que je ressens pour ne pas me laisser emporter dans une spirale conflictuelle. Cette présence instable, l'humeur fluctuante, ne rendent pas les rapports aisés. Je dois reconnaître qu'il me faut souvent prendre sur moi pour ne pas subir une pression stressante et rester "zen" face à ces poussées éruptives.
J'y trouve quand même des avantages : du mouvement, de l'imprévu... et un apprentissage de la souplesse relationnelle !