La fête du silence
Hier soir c'était la fête de la musique. Moi j'ai opté pour la fête du silence. Je n'avais pas envie de prendre ma voiture pour me rendre à la ville voisine et m'agglutiner à des masses d'inconnus. J'aime l'ambiance festive, la convivialité sympathique qui peut exister dans ce genre de manifestations, et en même temps ce suivisme artificiel me dérange. Et puis tout seul ça n'a pas la même saveur de se mêler à la foule...
Tant qu'à être seul, autant l'être complètement. J'ai attendu que le soleil baisse et que les ombres s'étirent dans la lumière dorée pour partir sur le chemin qui mène vers le sommet de la colline. Je voulais fêter le jour le plus long et aller voir le soleil écarlate décliner sur l'horizon, tellement haut vers le nord. Selon que je passais à l'ombre ou au soleil, de l'herbe à la route, la rosée déjà présente me rafraichissait les pieds ou bien je sentais remonter du sol la chaleur emmagasinée durant la journée. L'air était chargé d'effluves alternativement tièdes ou fraîches, d'odeurs de foin fraichement coupé, de présences animales. À contre-jour scintillaient, épars, des myriades de minuscules insectes volants donnant à la transparence de l'air une épaisseur. Et partout le silence.
Tellement de silence que je n'ai même pas entendu une voisine travailler la terre de son jardin. Nous avons entamé une conversation, qui s'est éternisée. À tel point que j'ai manqué les derniers scintillements solaires que j'étais venu fêter. Tant pis, ce sera pour un autre jour.
J'ai poursuivi ma promenade sur la colline, de nouveau seul. Le crépuscule est vite venu, tandis que le ciel, à l'ouest, devenait orange. Deux chevreuils, surpris dans leur activité, m'ont observé de loin quelques secondes avant de partir en bondissant. Dans les forêts il faisait déjà très sombre. Sur le vaste plateau ponctué de châtaigniers séculaires j'ai bifurqué pour revenir vers la maison. L'herbe humide était presque froide et c'est pieds-nus que j'ai terminé ma boucle. C'était ma petite fête des sens...