Être lent
Hier matin, lorsque j'ai appris le drame qu'avait vécu un de nos protégés, il m'a fallu pas mal de temps pour vraiment en réaliser les conséquences. Je sentais dans ma pensée comme des verrous qui sautaient, les uns à la suite des autres, me faisant passer de l'incrédulité à la pleine conscience.
Quelques minutes après moi j'ai vu une de nos collègues réagir à la même nouvelle : instantanément son visage se transformait au fil des mots, encaissant le choc en pleine figure. Immédiatement elle a réagi en griffonnant sur un bout de papier un brouillon de lettre collective à faire parvenir au plus tôt au blessé.
Cette différence du temps de réaction m'a marqué. Alors que, sidéré, absorbant lentement l'effet du choc, je tentais d'organiser malgré tout la mise en route de l'équipe, elle était dans la réaction immédiate. Confirmation, une fois de plus de ma lenteur réactionnelle.
Bien souvent je constate ce temps qui m'est nécessaire pour absorber des émotions. C'est comme s'il y avait un filtre qui limite le débit : un excès d'émotion ne passe tout simplement pas. D'où, je pense, une impossibilité à être dans le ressenti immédiat. Il ne peut qu'être différé, lentement diffusé [et notamment par écrit...]. En découlerait, peut-être, une spontanéité qui ne s'exprime quasiment pas dans l'immédiateté. Par contre je ressens fortement et durablement les effets émotionnels, mais ça reste très intériorisé.
En fait je fonctionne un peu comme une forêt qui, écrêtant l'intensité des pluies sur le sol qui la porte, restitue ensuite lentement l'humidité accumulée.
Dans notre société qui nous pousse volontiers à aller toujours plus
vite, ma lenteur pourrait être perçue comme un défaut, une tare, un handicap. Moi je la vois comme comme une
façon d'être qui me caractérise. Contemplatif, penseur, profiteur de temps, j'ai maintenant tendance à affirmer cette singularité qui m'a tant valu de complications dans ma jeunesse. Maintenant je le revendique : je suis tout simplement un être lent.