Le besoin d'aller au fond des choses
Il y a quelques jours Coumarine à raconté les vives tensions familiales apparues après la parution de son livre d'inspiration autobiographique. Le dialogue est devenu impossible, tant avec un frère qui a lu le livre qu'avec celui qui ne veut pas le lire. Un cousin parle même de diffamation...
Ce qui correspondait à une nécessité pour l'auteure, à savoir exprimer ses ressentis personnels pour "donner du sens" à son histoire, est donc refusé par d'autres qui estiment que ce ne serait pas LA vérité. C'est à dire leur vérité, selon leur perception d'une réalité. Il y a quelques temps j'avais écrit sur la polymorphie de la vérité et cette mésaventure réactualise mon propos.
Dans les nombreux commentaires qui suivent le billet de Coumarine beaucoup d'avis fort intéressants sont exprimés, offrant de multiples pistes d'explications aux raisons du blocage relationnel. Je ne les reprends pas ici mais il apparaît que les proches, trop impliqués, ne bénéficient pas de la possibilité d'appropriation "neutre" d'un récit qui les touche de trop près. Les lecteurs non impliqués, au contraire, peuvent lire avec toute la distance nécessaire et colorer le récit selon leur subjectivité sans se sentir en décalage. Je crois qu'on retrouve là ce que nombre d'auteurs expriment : le lecteur lit autre chose que ce que l'auteur a voulu écrire.
Par ailleurs plusieurs commentateurs mettent en évidence la ressemblance entre publication d'un récit autobiographique et mise en ligne d'écrits intimistes. On y retrouve les mêmes problématiques : la mise en public d'une histoire(s) considérée comme privée.
C'est ce que font beaucoup de blogueurs [dont moi] en racontant avec plus ou moins de retenue leur version de ce qui fait leur existence. Parfois avec un effet thérapeutique salvateur. Souvent sont évoquées des personnes, des scènes de vie, des difficultés incluant conjoints, amis, collègues, parents ou membres de la fratrie. La vie privée est ainsi divulguée en toute impunité à l'insu des protagonistes. Personne n'y trouve à redire, et surtout pas les lecteurs, qui font leur miel de ces confidences. Les problèmes ne surviennent que lorsqu'un lecteur voit apparaître quelque chose de lui sur un autre blog... et surtout si ce n'est pas entièrement favorable. Là ça grince. Nos égos restent sensibles...
À la suite de mon dernier billet sur la liberté d'écriture Telle a décrit sa façon de procéder pour éviter cela : « la relation de faits impliquant d'autres personnes est limitée ou réduite à du "positivement neutre" (j'entends par là des faits qui ne lui soient pas préjudiciables). [...] Brosser un portrait de l'autre qui puisse lui être défavorable, je refuse de le faire intentionnellement. ». J'ai beaucoup apprécié cette remarque, qui a trouvé écho quelques jours plus tard, durant ma formation à la relation d'écoute, avec une formule que j'affectionne : avec bienveillance. Dans le cas de l'expression, on pourrait la transposer en « sans malveillance ». Mais apparemment ça ne sufffit pas...
Pati continue dans ce sens : « je crois que, quand on ressent le besoin d'écrire sur ce qui pose questionnement, on trouve comment le faire. Sans blesser et dans le respect de l'autre. Si tant est que respect et la non-envie de blesser soient nos buts premiers, cela va sans dire...
De même, quand on écrit dans la sincérité, [...] ça se ressent, et il me semble difficile d'être blessé par ce qu'on sait venir d'une démarche sincère, si ce n'est maladroite... enfin, c'est ainsi que JE fonctionne. Mes mots n'engagent que moi.»
Cette dernière précision est utile quand on voit, en s'appuyant sur le billet de Coumarine, que l'intention ne suffit pas. Je crois pourtant que cette intention est primordiale : c'est elle qui donne le sens voulu d'interprétation des choses. Si l'intention n'est pas de blesser, seule une maladresse peut y parvenir. Une maladresse est réparable, explicable... pour peu que l'autre accepte d'entendre autre chose que ses seuls ressentis. Encore faut-il qu'il en aie la capacité en disposant de suffisamment de conscience de lui-même et de ses limites.
Je ne cesse de découvrir combien les sensibilités conditionnent les réactions. Je constate aussi à quel point l'écoute sensible de nos ressentis améliore la conscience de soi. Donc celle de nos fragilités et limites.
Dans les commentaires qui ont suivi le billet de Coumarine, une phrase m'a marqué : « [On] te dénie le droit de parler de tes ressentis ». C'est exactement ça ! Comme s'il était interdit d'avoir une autre façon d'avoir perçu des faits et qu'avoir osé exprimer cette différence rendait coupable de quelque chose s'assimilant à une trahison. Je m'interroge... Quelle est la légitimité d'une telle interdiction ? Au nom de quoi faudrait-il s'y soumettre, s'il n'y avait aucune intention de nuire ?
Je me demande dans quelle mesure il faudrait plier devant de telles exigences qui, sous divers prétextes, tendent à imposer le silence sur ce qui dérange. Il y a bien un respect dû à la vie privée et à l'intimité, voire à une réputation, mais il y a aussi un respect dû à la libre expression de soi. Faut-il les opposer en claquant des portes... ou tenter de les concilier en s'ouvrant à l'autre ?
Je crois fermement que le culte du secret et l'opacité des non-dits empoisonnent les relations, mais comment faire si quelqu'un n'a pas la capacité de supporter d'être dérangé au delà de ce qui lui est acceptable ? Comment faire pour respecter à la fois les limites de l'un et les besoins de l'autre (et réciproquement) ? Dans un monde idéal le dialogue devrait permettre la conciliation, mais comme ce monde idéal n'existe pas davantage que le dialogue neutre je crains qu'il faille parfois passer par la divergence. Accepter la rupture du dialogue et la mise à distance. Accepter l'incompatibilité dans le besoin d'aller au fond des choses.
Pour en revenir plus précisément à internet, et en particulier aux relations blogosphériques prolongées hors de l'écrit, les enjeux se cumulent : c'est écrit, en direct, en public. Commencer à évoquer publiquement ce qui se passe en privé n'est donc pas sans risque. De plus, en sortir est beaucoup moins aisé qu'y entrer. Nombreux sont ceux qui s'y sont brûlés, avec explosion de blog en plein vol ou totale transformation.
Beaucoup de mes lecteurs savent que j'ai été happé dans ce genre de déconvenue, il y a longtemps, mais sans jamais renier mon histoire. Au contraire j'ai persévéré dans l'observation du processus, analysant et racontant en continu [au péril de ma vie] de quelle façon cela s'articulait avec mon existence. En découlent parfois des périodes de perturbation dans l'écriture, comme celle qui est en cours depuis plusieurs semaines.
Excès de prudence, peut-être...
Il y a quelques jours, là ou cet été sont passés
des amitiés du net dont je ne parle que très peu...