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Alter et ego (Carnet)
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16 octobre 2008

Le besoin d'aller au fond des choses

Il y a quelques jours Coumarine à raconté les vives tensions familiales apparues après la parution de son livre d'inspiration autobiographique. Le dialogue est devenu impossible, tant avec un frère qui a lu le livre qu'avec celui qui ne veut pas le lire. Un cousin parle même de diffamation...

Ce qui correspondait à une nécessité pour l'auteure, à savoir exprimer ses ressentis personnels pour "donner du sens" à son histoire, est donc refusé par d'autres qui estiment que ce ne serait pas LA vérité. C'est à dire leur vérité, selon leur perception d'une réalité. Il y a quelques temps j'avais écrit sur la polymorphie de la vérité et cette mésaventure réactualise mon propos.

Dans les nombreux commentaires qui suivent le billet de Coumarine beaucoup d'avis fort intéressants sont exprimés, offrant de multiples pistes d'explications aux raisons du blocage relationnel. Je ne les reprends pas ici mais il apparaît que les proches, trop impliqués, ne bénéficient pas de la possibilité d'appropriation "neutre" d'un récit qui les touche de trop près. Les lecteurs non impliqués, au contraire, peuvent lire avec toute la distance nécessaire et colorer le récit selon leur subjectivité sans se sentir en décalage. Je crois qu'on retrouve là ce que nombre d'auteurs expriment : le lecteur lit autre chose que ce que l'auteur a voulu écrire.

Par ailleurs plusieurs commentateurs mettent en évidence la ressemblance entre publication d'un récit autobiographique et mise en ligne d'écrits intimistes. On y retrouve les mêmes problématiques : la mise en public d'une histoire(s) considérée comme privée.

C'est ce que font beaucoup de blogueurs [dont moi] en racontant avec plus ou moins de retenue leur version de ce qui fait leur existence. Parfois avec un effet thérapeutique salvateur. Souvent sont évoquées des personnes, des scènes de vie, des difficultés incluant conjoints, amis, collègues, parents ou membres de la fratrie. La vie privée est ainsi divulguée en toute impunité à l'insu des protagonistes. Personne n'y trouve à redire, et surtout pas les lecteurs, qui font leur miel de ces confidences. Les problèmes ne surviennent que lorsqu'un lecteur voit apparaître quelque chose de lui sur un autre blog... et surtout si ce n'est pas entièrement favorable. Là ça grince. Nos égos restent sensibles...

À la suite de mon dernier billet sur la liberté d'écriture Telle a décrit sa façon de procéder pour éviter cela : « la relation de faits impliquant d'autres personnes est limitée ou réduite à du "positivement neutre" (j'entends par là des faits qui ne lui soient pas préjudiciables). [...] Brosser un portrait de l'autre qui puisse lui être défavorable, je refuse de le faire intentionnellement. ». J'ai beaucoup apprécié cette remarque, qui a trouvé écho quelques jours plus tard, durant ma formation à la relation d'écoute, avec une formule que j'affectionne : avec bienveillance. Dans le cas de l'expression, on pourrait la transposer en « sans malveillance ». Mais apparemment ça ne sufffit pas...

Pati continue dans ce sens : « je crois que, quand on ressent le besoin d'écrire sur ce qui pose questionnement, on trouve comment le faire. Sans blesser et dans le respect de l'autre. Si tant est que respect et la non-envie de blesser soient nos buts premiers, cela va sans dire...
De même, quand on écrit dans la sincérité, [...] ça se ressent, et il me semble difficile d'être blessé par ce qu'on sait venir d'une démarche sincère, si ce n'est maladroite... enfin, c'est ainsi que JE fonctionne. Mes mots n'engagent que moi.»

Cette dernière précision est utile quand on voit, en s'appuyant sur le billet de Coumarine, que l'intention ne suffit pas. Je crois pourtant que cette intention est primordiale : c'est elle qui donne le sens voulu d'interprétation des choses. Si l'intention n'est pas de blesser, seule une maladresse peut y parvenir. Une maladresse est réparable, explicable... pour peu que l'autre accepte d'entendre autre chose que ses seuls ressentis. Encore faut-il qu'il en aie la capacité en disposant de suffisamment de conscience de lui-même et de ses limites.

Je ne cesse de découvrir combien les sensibilités conditionnent les réactions. Je constate aussi à quel point l'écoute sensible de nos ressentis améliore la conscience de soi. Donc celle de nos fragilités et limites.

Dans les commentaires qui ont suivi le billet de Coumarine, une phrase m'a marqué : « [On] te dénie le droit de parler de tes ressentis ». C'est exactement ça ! Comme s'il était interdit d'avoir une autre façon d'avoir perçu des faits et qu'avoir osé exprimer cette différence rendait coupable de quelque chose s'assimilant à une trahison. Je m'interroge... Quelle est la légitimité d'une telle interdiction ? Au nom de quoi faudrait-il s'y soumettre, s'il n'y avait aucune intention de nuire ?

Je me demande dans quelle mesure il faudrait plier devant de telles exigences qui, sous divers prétextes, tendent à imposer le silence sur ce qui dérange. Il y a bien un respect dû à la vie privée et à l'intimité, voire à une réputation, mais il y a aussi un respect dû à la libre expression de soi. Faut-il les opposer en claquant des portes... ou tenter de les concilier en s'ouvrant à l'autre ?

Je crois fermement que le culte du secret et l'opacité des non-dits empoisonnent les relations, mais comment faire si quelqu'un n'a pas la capacité de supporter d'être dérangé au delà de ce qui lui est acceptable ? Comment faire pour respecter à la fois les limites de l'un et les besoins de l'autre (et réciproquement) ? Dans un monde idéal le dialogue devrait permettre la conciliation, mais comme ce monde idéal n'existe pas davantage que le dialogue neutre je crains qu'il faille parfois passer par la divergence. Accepter la rupture du dialogue et la mise à distance. Accepter l'incompatibilité dans le besoin d'aller au fond des choses.

Pour en revenir plus précisément à internet, et en particulier aux relations blogosphériques prolongées hors de l'écrit, les enjeux se cumulent : c'est écrit, en direct, en public. Commencer à évoquer publiquement ce qui se passe en privé n'est donc pas sans risque. De plus, en sortir est beaucoup moins aisé qu'y entrer. Nombreux sont ceux qui s'y sont brûlés, avec explosion de blog en plein vol ou totale transformation.

Beaucoup de mes lecteurs savent que j'ai été happé dans ce genre de déconvenue, il y a longtemps, mais sans jamais renier mon histoire. Au contraire j'ai persévéré dans l'observation du processus, analysant et racontant en continu [au péril de ma vie] de quelle façon cela s'articulait avec mon existence. En découlent parfois des périodes de perturbation dans l'écriture, comme celle qui est en cours depuis plusieurs semaines.
Excès de prudence, peut-être...

212_1259
Il y a quelques jours, là ou cet été sont passés
des amitiés du net dont je ne parle que très peu...

Commentaires
L
oui Pierre parfaitement en accord avec tes deux derniers points !<br /> C. Bobin dans son autoportrait au radiateur dit : "ce n'est pas un journal que je tiens, c'est un feu que j'allume dans le noir.C'est le sang que j'écoute à mes tempes, comme il bat, un volet ensauvagé contre le mur d'une petite maison" <br /> amitiés virtuelles !
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P
Représentation ? Oui, sans doute y a t-il de ça...<br /> Pourquoi ce cri de l'intime ? pourquoi cette surexposition ? Probablement parce que quelque chose est maintenu trop étouffé pour celui qui a besoin que ce soit connu et reconnu. Alors... qui en cache trop, qui en dit trop ? Qui se voit impliqué dans des enjeux qui ne le concernent pas, victime du besoin de déballage d'un autre ? Difficile de trancher quand tout est histoire de sensibilités, de fragilités, de besoin d'existence.<br /> <br /> Pour ma part je pense qu'à la base d'une expression de l'intime il y a toujours un besoin de reconnaissance d'une souffrance. Ne serait-ce que la souffrance de garder pour soi quelque chose que l'on a envie de voir exister hors de soi.<br /> <br /> Pour d'autres le secret et le silence sont peut-être une façon de ne pas permettre à cette souffrance d'émerger. Stratégies contraires, qui s'opposent et se nourissent mutuellement.
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L
bonsoir Pierre <br /> il me semble que dans cette histoire il peut y avoir aussi une part décryptée comme non authentique par les proches ce qui pourrait expliquer leurs réticences voir leur rejet...je m'explique:<br /> quand quelqu'un rend public quelque chose qui relève de l'intime, les proches peuvent voir dans cette posture une attirance pour la représentation (au sens de comédie) et donc une imposture au lieu d'un être soi authentique qui n'aurait pas besoin du regard du public pour exister<br /> ce serait (le livre,le blog)une scène de théatre où les proches arriveraient mal à distinguer ce qui tient au jeu à la fiction d'un personnage endossé devant des spectateurs(nous les lecteurs)ou au chemin de recherche personnel
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P
Coumarine, je crois que chacun de ceux qui se sont livrés à l'exercice périlleux de l'écriture intime publique sur internet en arrivent à peu près aux mêmes conclusions. Il y a une désillusion face à la liberté de se dire qui, finalement, est probablement salutaire. Pour tous...<br /> <br /> Inévitablement se dresse cette limite de la *confusion* qui consiste à croire que l'on pourrait « tout dire ». J'en viens à m'interroger sur ce qui peut motiver des individus (comme moi...) à rechercher une sorte d'acceptation-fusion en n'étant rejeté par personne... tout en essayant de repousser toujours plus loin le dicible. Je crois savoir d'où ça vient...<br /> <br /> Samantdi... tu me prends en flagrant délit de subjectivité ! Comment pourrait-il en être autrement, d'ailleurs. <br /> Ce qui me vient en te lisant, ainsi que Coumarine, c'est que l'épanchement autobiographique est tout aussi critiquable que le rejet qu'il suscite. Il n'y a pas de "bonne" posture généralisable, seulement des attitudes personnelles. C'est de leur différence que naissent des frictions qui apparaissent au grand jour lorsque la publication "impose" une parole sur l'inaudible. Ou l'indicible.<br /> <br /> Merci pour les liens : j'ignorais ce à quoi avait mené l'entreprise de Doubrowsky. C'est un défaut que j'ai : ne pas assez lire ce que d'autres ont déjà défriché. J'ai besoin de passer par l'expérientiel pour comprendre de l'intérieur.<br /> <br /> Quant à l'excès de prudence, assez bizarrement il me caractérise dans beaucoup d'aspects de ma vie et de mes relations aux autres. Sauf que... j'ai cru pouvoir y échapper par l'écriture auto-exploratrice et c'est comme un piège dans lequel je suis tombé, duquel j'ai bien des difficultés à m'extraire. Mais c'est aussi tout l'intérêt d'avoir tenté l'expérience : aller trop loin pour revenir à une plus juste place.<br /> <br /> Pas forcément facile à vivre, ni à faire vivre...
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S
N'y-a-t-il pas une certaine naïveté à présenter l'auteur d'une autobiographie comme celui qui mérite des qualificatifs positifs (honnêteté, sensibilité) alors que ceux qui le liraient, parmi ses proches, seraient obtus, fermés, incapables d'accepter "la" vérité de l'auteur ?<br /> <br /> Rendre publics des éléments de sa propre vie comporte un risque, on le sait depuis Doubrovsky et son "livre brisé"(1989) qui déboucha sur le suicide de son épouse. Et Doubrovsky qui avait porté très haut les couleurs de l'autobiographie et de l'autofiction s'est trouvé à son tour "objet" littéraire pour son neveu... modifiant la perception que l'on pouvait avoir de celui qui reste un "grand écrivain".<br /> <br /> (voir<br /> http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/avoixnue/fiche.php?diffusion_id=15546 mais aussi <br /> http://www.republique-des-lettres.fr/570-serge-doubrovsky.php )<br /> <br /> Ces questions ne sont pas nouvelles, même si elles se posent avec une certaine cruauté pour les personnes concernées.<br /> <br /> (Parfois il ne faut pas craindre l'excès de prudence.)
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C
Bonsoir Pierre<br /> Je viens juste te dire que...<br /> En fait j'ai lu et relu ton billet, et je n'ai plus trop la force ni le courage de parler encore de tout cela<br /> Je crois que l'intime sur les blogs qui sont tt de même publics, cesse d'être l'intime...ce n'est tout simplement plus possible<br /> Sauf comme je l'ai dit dans le plus parfait anonymat<br /> Et sans commentaires<br /> Sinon on revient dans la sphère du communicationnel, de l'échange public, et même s'il est intéresssant et amical, il ne peut continuer de la même façon. C'est un dialogue avec autrui, non un dialogue avec soi-même<br /> Je crois que ton silence sur ce blog en dit plus que n'importe quel billet bien écrit<br /> Quant à un livre autobio...on joue sur la corde raide. On doit savoir qu'il y aura des gens qui nous viseront dans notre état de vulnérabilité et que le fusil claquera<br /> Oser malgré tout écrire dans son authenticité conduit à une solitude, il faut le savoir...la rupture a été immédiate entre mes frères et moi, ils ne PEUVENT pas accepter de lire mes ressentis, ils en sont trop proches...
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P
C'est tout à fait ça, Telle : la possibilité de faire des comparaisons de subjectivité parasite le contenu et bride l'imaginaire. En même temps... "l'autre face" apporte aussi un regard complémentaire qui peut être fort utile. Tout dépend de l'usage que l'on fait des textes autobiographiques. En fait je pense que, selon que l'on connaisse ou pas "l'autre face", les perceptions différentes conduisent à un travail résolument différent.<br /> <br /> L'idée qui me vient c'est que si on ne connait que l'auteur on est "en relation" avec lui, et avec lui seul. Si on a accès à ce que pense un autre des mêmes faits, ou qu'on en a soi-même une appréciation, il y a triangulation.<br /> <br /> Bon, c'est pas très clair ce que je veux dire...<br /> <br /> La distinction est très juste, Alainx, quoique pas toujours évidente à cerner dans la réalité de situation complexes. Je crois que nombre de mes silences proviennent de cette hésitation entre les deux. La crainte de blesser, de trop dire, retient souvent mes mots et finissent par m'étouffer.
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A
"Je crois fermement que le culte du secret et l'opacité des non-dits empoisonnent les relations, mais comment faire si quelqu'un n'a pas la capacité de supporter d'être dérangé au delà de ce qui lui est acceptable ?"<br /> <br /> J'aime assez distinguer le "non-dit" et le "pas-dit"<br /> <br /> Le non-dit : ce que je taie, alors qu'il me faudrait le dire et que je l'estime possible.<br /> <br /> Le pas-dit : ce que je sens préférable de taire, par respect pour l'autre, de ce qu'il est et de là ou il en est.<br /> <br /> Évidemment, c'est toujours à l'instant T<br /> et chaque jour est un autre jour en ce domaine...
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T
Je reviens sur le début de ton texte (pfiou, qu'il est riche !), quand tu écris que "Les lecteurs non impliqués, au contraire, peuvent lire avec toute la distance nécessaire et colorer le récit selon leur subjectivité sans se sentir en décalage." Il me semble justement que le lecteur non impliqué dans un récit autobiographique va personnellement investir le texte et faire sienne chacune des sensations, des émotions... il ne va pas lire seulement le texte pour ce qu'il est mais pour ce qu'il lui apporte à lui, dans son parcours de vie. Et laisser subrepticement de côté ce qui ne le concerne pas. <br /> <br /> Inversement, celui qui est directement impliqué n'aura pas cette lecture "résonnante", il lira chaque phrase en se demandant si c'est ainsi que se sont passées les choses, si c'est ainsi qu'il a perçu l'attitude du personnage narrateur à tel moment... Bref, il ne percevra que la surface du texte, son côté fait-divers et en oubliera sa profondeur.<br /> <br /> Alors, je milite pour des autobiographies sans noms d'auteur (ou juste des initiales comme tu sais qui ;-) ) mais c'est Philippe Lejeune qui me fera les gros yeux !<br /> <br /> Bises, Pierre.
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