Un monde de silence
De nouveau relié au monde ! Aux pensées et paroles des autres, aux sons, à la vie...
Je retrouve en même temps la possibilité de m'exprimer.
Employée au début du siècle dernier l'expression "la fée électricité" a aujourd'hui un côté suranné et naïf. Mais il suffit d'être privé des confortables bienfaits que procure cette invention géniale pour mesurer la révolution qu'elle a pu représenter dans la vie quotidienne d'alors.
La courte expérience que je viens de vivre est riche d'enseignements. De façon assez inattendue, ce n'est pas l'absence de lumière qui m'a surpris, mais l'absence de son. Comme dirait Cabrel : « c'est le silence qu'on remarque le plus ».
Impressionnant silence. Les ténèbres de l'ouie. Le vide, l'absence. Vivre à la lueur des bougies n'a rien eu de désagréable, quoique cela demande une certaine organisation pour chaque déplacement dans la maison. Mais vivre aux seuls sons que je produisais avait quelque chose de très... vide. Me revient le film « 2001 odyssée de l'espace », dans lequel un homme se retrouve absolument seul dans le silence d'un espace trop grand pour lui. Le silence restreint l'espace à la dimension des pensées de l'individu, comme la nuit marque l'apparition de l'imaginaire.
Dans ce silence total, sans autre vie que celle que j'insufflais, j'ai mesuré l'ampleur de la solitude. Un repas partagé aux chandelles c'est amusant, rétro ou romantique... mais seul c'est... étriqué. Aucun son, sauf celui de ma fourchette, de mes pas. Il n'y avait que le vacillement des bougies et le ronronnement du poële pour apporter un peu de vie indépendamment de la mienne !
J'ai songé à la solitude des célibataires d'autrefois. L'enfermement mental que cela pouvait représenter, quoique je suppose que des occupations adaptées permettaient d'y remédier. C'est l'aspect insolite de la situation qui m'a pris au dépourvu, hier soir.
J'ai compris à quel point les temps partagés pouvaient être importants pour vivre, échanger. Ensemble, éloigner le silence et l'obscurité, les remplir de vie. Aujourd'hui son et lumière envahissent largement l'existence de la plupart d'entre nous. Cette vie artificialisée à quelque chose de... virtuel. L'analogie avec ce qu'on peut comparer d'internet et de la supposée "vraie vie" s'en trouve largement relativisée.
Cette comparaison n'est pas anecdotique : je crois que l'individualisme tient beaucoup de cette artificialisation. La création d'une vie artificielle, qu'elle se développe sur internet ou grâce aux artefacts des sons et des images reproduits, nous a beaucoup éloignés de la réalité brute. Celle d'un monde inquiétant, austère, où la solidarité était vitale. Non seulement pour s'entraider ou se défendre, mais aussi pour partager la vie. Pour ne pas devenir fous de solitude.
Je me rends bien compte que si j'apprécie de vivre seul c'est parce que je sais que cette solitude est choisie. Je dispose de l'inestimable liberté d'être en contact avec le monde, dans le registre qui me plaira, au moment où je le voudrais. Ou presque...
Être coupé du monde indépendamment de ma volonté, avec une quasi impossibilité de communiquer (les relais téléphoniques sont restés opérationnels dans mon secteur...) m'a fait prendre conscience de la fragilité de cette réalité.