Écriture publique, de l'intime au privé (1)
J'entame ici une série de réflexions autour de ma pratique de l'écriture publique intime et/ou privée. Le sujet m'intéresse depuis l'origine et n'a cessé d'accompagner ma démarche. Je crois savoir que cet engouement n'est pas partagé par tous les lecteurs, surtout s'ils ne sont pas blogueurs, mais bon... ce sera le menu des jours à venir. Et puis je sais qu'il y en a qui ont des réflexions du même genre...
Lorsque j'ai commencé à écrire en ligne, il y a plus de huit ans, j'ai suivi le mode d'écriture que j'avais antérieurement : celui du journal intime. J'ai donc raconté ma vie, comme d'autres le faisaient déjà à cette époque antébloguienne. Passé le paradoxe de l'intimité dévoilée en public, c'était assez simple : j'écrivais comme ça me venait, au fil du clavier. Quant aux échanges, fondements de ce mode d'écriture, ils se faisaient en privé.
Au fil du temps c'est devenu nettement plus compliqué... Le poids des mots s'est alourdi. Du coup c'est la dimension intime que j'ai allégée en ouvrant ce carnet-blog. Mais l'interaction avec les lecteurs-blogueurs y est devenue visible par tous [le genre masculin l'emporte, mais la logique proportionnelle voudrait qu'ici ce soit le féminin...]. Cette apparence de transparence a remis en question mon rapport à l'intime et à la vie privée. Je suis devenu plus discret. Et puis vous êtes devenus plus nombreux, plus diversifiés, plus présents...
Certaines lectures réciproques se sont révélées être durables, créatrices de liens, tandis que beaucoup d'autres se sont éteintes. Je passe sur les furtives traces des lecteurs de passage mais n'oublie pas ceux qui choisissent de lire en silence, fidèlement. De tout cela il résulte un lectorat pluriel, avec qui j'entretiens des rapports très variables, perturbant la représentation que je peux en avoir. Selon mon état d'esprit cela me fait orienter préférentiellement mes écrits vers ce que j'imagine des uns ou des autres. Du coup je ne me sens pas toujours cohérent et, là encore, ça me dérange un peu. Je crois que j'aimerais assez me sentir homogène, unifié. Sans failles, peut-être ?
Force est de constater que ce n'est pas le cas. Je suis, moi aussi, pluriel. Pas forcément celui que je crois être, et certainement pas celui que je tente de décrire. Le portrait n'est ni vrai, ni faux, mais toujours incomplet.
Oh la la, dans quelle gamberge il est encore parti, le Pierrot, se disent mes fidèles groupies !
Nan, vous inquiétez pas, c'est mon style d'écriture qui donne cette impression de sérieux. C'est une image faussée. En vrai je ne le suis pas autant, juré craché !
Tiens, c'est justement ce genre de trucs qui m'agacent un peu quand j'écris : l'image que mes écrits peuvent donner de moi. Toujours faussée, mais truffée de vérité. Allez faire le tri dans tout ça, après...
Mais bon, on s'en fout : j'écris parce que j'en ai envie et vous lisez parce que ça vous plaît [mes doigts se rebellent quand je veux écrire ces derniers mots...].
Cependant... ceux d'entre vous qui me lisent depuis plusieurs années auront remarqué, je suppose, que mon rythme d'écriture a notablement perdu en fréquence et en intensité. Autrefois j'écrivais quasi quotidiennement et souvent très longuement. J'étais alors dans une période de découverte, devenue recherche de sens, voire quête du Graal... L'ensemble déclencha une réflexion fébrile et persistante, de laquelle s'écoula une logorrhée qui semblait intarissable. Mais aujourd'hui je ne cherche plus ! Je trouve...
Enfin... disons plutôt que je laisse mon esprit cherchouiller sans forcer. Je me laisse porter sans me prendre la tête [héhé, ça se voit pas, hein ?]
Après m'être initialement intéressé à l'écriture de soi sur internet, puis aux relations qui pouvaient se nouer par ce biais, j'ai poursuivi mes réflexions autour de l'idée de liberté dans le couple. Finalement c'est dans tous les aspects de la séparation que se sont concentrées mes cogitations écrites. L'ensemble m'amenant à une sorte d'émancipation affective. Tout au long des différentes périodes j'ai gardé comme fil conducteur l'idée de relation, de lien, de dialogue... et les corrélations que l'on pouvait établir entre l'outil internet et la "vraie vie". Mais le véritable objectif c'est *l'être soi*. Au total voila près de dix ans que j'approfondis le sujet, dont plus de huit sont archivés en ligne.
À quoi ça sert d'avoir consigné tout ça ? Je n'en sais rien, sauf que cette expression publique aura notablement influé sur mon parcours existentiel. C'est déjà pas mal...
Pour différentes raisons que je ne saurais synthétiser je me suis progressivement trouvé contraint dans ma liberté d'expression, alors que je cherchais initialement l'inverse [tiens, tiens : chercher une chose... et en trouver une autre]. Depuis pas mal de temps il y a des sujets que je ne n'aborde plus. Parfois je tourne autour, en dessine les contours, en effleure les ombres, mais ne les attaque plus de face. Trop compliqué, trop dangereux. Terrain miné. Vie privée !
Il m'aura fallu beaucoup de temps pour que je parvienne à faire la distinction entre intimité et vie privée. Maintenant je sais...
Raconter ma vie comme je le faisait au début, dévoiler une partie de mes pensées intimes, n'a rien à voir avec la notion de "vie privée". Mon intimité m'appartient et j'en fais ce que j'en veux, alors que pour ma vie privée l'appartenance et l'usage sont nettement plus complexes à définir...
(à suivre )
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