Écriture publique, de l'intime au privé (3)
L'arborescence de mes réflexions autour du rapport que j'entretiens avec l'écriture en ligne m'amène à dériver un peu de ce qu'annonce mon titre. Le fil de pensées reste toutefois dans la même ligne directrice : l'expression de soi face à autrui. Bon... mais tout cela est bien Je m'agace à être aussi profond. Je cherche quoi ? À me faire bien voir ? Par qui ? Mais quelle est donc la représentation que j'ai de "vous" pour être aussi souvent dans les profondeurs sérieuses ? Ben j'sais pô ! J'crois bien que c'est une façon de ne pas parler de ce qui est important. Une diversion, des circonvolutions, du tournage autour du pot. Vous savez quoi ? En vrai de vrai si j'écris tous ces trucs soporifiques c'est parce que je me dis que ça me mènera bien quelque part. Vers ce qui a besoin de sortir... J'espère que quelque chose glissera d'entre les mots, s'échappera malgré ma vigilance, m'obligeant alors à revenir dessus. Je compte sur des aveux malgré moi, j'espère une délivrance. Non que je souffre... [quoique, en suis-je certain ?], mais parce que quelque chose est à naître. Vous vous souvenez de cette colère que je contiens ? Ben ça a quelque chose à voir avec ça. Tout ce que je déblatère au sujet de l'intime et du public, c'est ça : l'intérieur qui n'ose pas se montrer à l'extérieur. Alors j'ergote, je tergiverse, je pseudo-analyse et philosophe vaguement. Tout ça pour arriver à mes fins : briser mes chaînes ! |
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Précédemment j'ai écrit « la continuation ne peut plus se faire sous la même forme. Je constate que mes pensées redeviennent plus intérieures. Intimes ». Ce qui m'interpelle dans ce blabla c'est que ça ne concerne pas uniquement le blog et son aspect public, même si c'est par ce détour que j'ai vu s'écrouler le mythe du tout dire. Non, c'est toute mon expression intime, sous quelque forme que ce soit, qui semble vouloir se rétracter. Un peu trop à mon goût. Bah... ça correspond sans doute à un besoin d'ajustement et de réorientation.
Il y a quelques années, lorsque j'ai perçu à quoi pouvait mener une transparence excessive, j'ai commencé par retenir le flux de mon expression intime... alors que j'étais lancé dans un processus de libération ! J'ai inversé la vapeur en plein élan. Progressivement c'est par respect de la sphère privée que j'ai accentué la rétention : j'ai évité d'écrire publiquement mes ressentis les plus chargés. Ensuite, par prudence, cette retenue s'est étendue à toute nouvelle relation un tant soit peu complexe [les relations simples semblent plutôt rares...]. Je crois qu'après m'être dévoilé plus que je ne pouvais l'assumer sans retour équivalent j'ai eu besoin de retrouver une pudeur protectrice. Peut-être ai-je appris à ne plus me dire au delà de ce qu'on me demande ? C'est pas plus mal...
En même temps je crois avoir augmenté ma capacité à me dire ! À être *vrai*. Ce paradoxe n'est qu'apparent : je me livre plus facilement, mais moins intimement. Je redeviens "secret", quoique exprimant assez aisément mes pensées.
C'est bizarre ces croisements de mouvements.
Ma connaissance des conséquences d'un dévoilement excessif, potentiellement menaçant, fait que désormais j'évite de trop "donner" de mon intériorité. J'essaie de ne dire que ce qui est nécessaire au moment présent, en fonction de qui est en face de moi. Je prends garde aussi à ne pas trop "reçevoir", car la libre expression peut être lourde à porter. C'est parfois compliqué d'être dans la juste mesure et de savoir où s'arrêter.
Auparavant, lorsque je donnais trop et acceptais trop, j'étais dans la confusion. Je croyais que se dire sincèrement était à la fois un acte courageux et une preuve de confiance. Erreur grossière : ce peut tout aussi bien être une faiblesse et une surcharge posée sur l'autre ! Une confiance abusive dans sa capacité à gérer une situation qu'il n'a pas choisie. Un défaussement à bon compte. Alors maintenant j'apprends à me protéger de ce qui pourrait m'alourdir. Je tend à me tenir à l'écart des problématiques que je ne sais pas, ou ne veux pas gérer, parce que je connais mieux mes failles et mes vulnérabilités. Réciproquement j'essaie de ne pas trop faire porter sur autrui ce qui m'appartient... sans pour autant suprotéger !
Là encore le dosage n'est pas évident à trouver...
Vouloir « tout dire », ou même simplement « dire ce que je pense », demande l'acceptation que des limites puissent être posées à cet épanchement. Il y aurait quelque chose d'immature à rêver d'être accepté et compris dans tous nos ressentis intimes. Car à qui peut-on « tout dire » sans craindre d'être rejeté... si ce n'est à nos parents ?
D'ailleurs je me demande si l'écriture intime sur internet ne s'assimilerait pas à une régression. Je ne suis pas loin de l'illusion d'être accepté tel quel. Forcément, puisque ceux qui reviennent et se fidélisent me trouvent suffisamment "aimable", je pourrais être tenté de me croire assez largement apprécié ! Quant à ceux qui ne seraient pas d'accord avec ce que j'écris je pourrais toujours leur suggèrer poliment d'aller voir ailleurs. De là à me cantonner peu à peu dans le rôle que le lectorat semble apprécier, il n'y a qu'un petit pas qu'il me serait aisé de franchir. Mais pas sans états d'âme... pas sans la perdre. On se trouve autant qu'on se perd sur nos blogs intimistes.
J'ai beau le savoir, j'ai tendance à oublier que le "public" n'a rien de représentatif. On s'agglomère par affinités. Sur nos blogs on s'aime...
J'ai bien l'impression que cette distorsion me dérange depuis l'origine, me conduisant régulièrement vers un métadiscours alambiqué autour de ma pratique. En fait c'est mon rapport aux autres, ici les lecteurs, qui me dérange. Ce besoin d'être aimé tel que je suis... sans oser l'être vraiment !
Ah merde, c'est toujours là que ça coince : oser être soi !
Mouais... j'ai beau m'en défendre et essayer de m'éloigner de toute forme de dépendance du regard d'autrui, je constate que ça me retient toujours par un côté. Ici je me conforme à ce que j'imagine de vos attentes, mais dans ma vie c'est un peu pareil. Je m'enferme dans l'immobilisme à chaque fois que je n'ose pas me singulariser.
Voyez vous, je me suis mis à l'écriture publique en espérant devenir « effrontément désinvolte avec les confidences ». Cette idée m'avait fasciné et enthousiasmé, jadis. Elle correspondait à un très fort désir d'affirmation. Je pensais qu'être capable de "tout dire" représentait un summum de l'être soi. Maintenant j'ai compris que ce n'était pas aussi simple. Ni de se dire vraiment, ni d'être accepté en le faisant. Me dire c'est me heurter aux limites de l'autre. Celles de ce qu'il accepte d'entendre, de ce qu'il veut bien entendre, de ce qu'il est capable d'entendre. C'est une guerre de défense de territoires intimes. Elle peut être violente...
En écrivant cela je ne fais pas vraiment de distinction entre l'expression dans le monde internet, devant un public pluriel désincarné, et l'expression de soi en présence réelle d'autrui. Les deux registres ont des portées fort différentes, mais la logique est la même : l'affirmation de soi.
Dans la vie réelle s'affirmer ne se fait pas sans exercer une pression sur le milieu ambiant. C'est prendre une place, s'approprier un espace vital que d'autres ne cèderont pas forcément de bonne grâce.
(à suivre, probablement)