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Alter et ego (Carnet)
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23 janvier 2009

Femmes kamikazes

Il y a bien longtemps que je n'ai pas parlé de ma collègue Artémis, celle qui ne m'avait plus adressé la parole pendant des mois avant de me déclarer qu'elle « se détruisait » en agissant ainsi. Depuis le dialogue a progressivement repris et nous sommes de nouveau dans une période de détente et d'entente. Je garde toutefois une certaine prudence...

Aujourd'hui tout allait bien. Quand elle m'a subitement demandé, alors que nous étions tranquillement face à face et seul à seul dans le bureau : « tu ne parles pas quand tu es avec quelqu'un ? ». Il est vrai que travaillais sur l'ordinateur sans songer à discuter. Elle ajouta précipitamment, dans une semi-affirmation précédant ma réponse : « ça veut dire que tu n'accordes pas d'importance aux autres !? En fait les autres ne t'intéressent pas ! ». Je lui ai alors expliqué que je répondais volontiers aux questions, mais que mon registre de dialogue était surtout celui de l'intimité. Que ce qui m'intéressait était l'intériorité, l'être, les pensées profondes. Là je pouvais être aussi attentif que bavard... ce qu'elle n'ignore pas puisque nous avons eu ce type d'échange quand elle s'était intéressée à moi. Or dans le bureau, aujourd'hui, nous pouvions être dérangés à tout instant, obligeant à une interruption brutale qui m'aurait frustré.

Au delà des explications rationnelles, j'ai été un peu piqué par ses remarques maladroites, parce qu'il y a une part de vrai dans ses affirmations : je ne m'intéresse guère à l'aspect superficiel des vies, et cela me gêne un peu. D'autre part c'est bien souvent parce que je ne souhaite pas déranger ou être perçu comme intrusif que je retiens ma parole. Pour ne pas "l'imposer". C'est bien évidemment une erreur que d'agir ainsi, avec une trop grande retenue qui ne favorise pas les échanges, mais je ne suis pas encore guéri de très anciennes blessures...

La seconde partie de la question d'Artémis est typique de son mode de fonctionnement : elle a une étonnante capacité à passer alternativement du rire aux petites phrases piquantes, sans que je ne sache vraiment comment le prendre. Je suppose qu'elle agit impulsivement, cumulant les maladresses en voulant les corriger. Je reste donc sur mes gardes avec cette femme.

Superactive, elle traverse son existence comme elle peut, mais pas sans douleur ni questionnements... qu'elle se sait fuir. Véritablement angoissée par la fuite du temps elle n'a aucune patience et ne supporte pas l'impression d'immobilisme. Ni pour les situations, ni pour les personnes. Elle se dit être de mauvaise compagnie. « Je ne m'aime pas quand je suis avec les autres » explique t-elle. Je la sens hypersensible, et la vois souvent dure avec les autres comme avec elle-même. Je la taquine de temps en temps mais, subitement, elle peut sembler ne pas comprendre, disant alors que je suis « méchant »... entre rire et sérieux.

Il ne m'est pas toujours facile de cotoyer au quotidien cette femme versatile... et pourtant attachante. Précisément parce qu'elle est changeante et bourrée de contradictions ! Je constate avoir un petit faible pour ce genre de personnes à la sensibilité exacerbée, et ce d'autant plus qu'elles tentent de la dissimuler. C'est comme si je sentais tout ce qui se cache sous une émotive rudesse. Mais gare aux coups de griffe ! Il suffit que ma présence ou mon approche soient perçues comme menaçantes pour me voir vivement repoussé. Devenu comme "ennemi". Mieux vaut avoir le cuir épais...

Par chance le mien s'est épaissi ces dernières années. Ce n'est pas un hasard si je suis "prêt" à cotoyer Artémis...

Elle se dit être une "mutante", sans que je sache vraiment ce que cette revendication signifie à ses yeux. Ce n'est pas la première fois qu'une femme me déclare cela, ni que je croise de type de comportement tendant à l'autodestruction.

Autrefois j'aurais été incapable de tenir face à une Artémis qui, je le sens, "teste" ma capacité de résistance avec ses dérapages aux limites de l'incontrôlé. Elle joue avec mes sensibilités, les cherche, s'en veut. Dans la même poignée de secondes elle peut dire une vacherie, s'en vouloir, en rire, puis s'autopardonner prestement... pour vite changer de sujet. C'est comme si elle-même hésitait à retenir ses pulsions destructrices, les lachant de temps en temps tout en sachant très bien les effets qu'elles peuvent produire, autant désirés que redoutés.

Après plusieurs expériences j'apprends à me situer à la distance optimale de ce genre de femmes que mon calme semble séduire autant qu'il agace. La distance prudente que j'apprends à maintenir me permet de tenir en me préservant au mieux des dommages collatéraux. Car j'ai eu à encaisser, dans le passé, des rejets qui purent être violents, me faisant percevoir comme objet de haine. En fait je crois que la haine se projete vers l'image insupportable que je renvoie de ces femmes-kamikazes...

Ce que m'avait traduit Artémis ainsi : « quand on ne parvient pas à détruire l'autre c'est soi-même qu'on détruit ».

Je me demande ce qui me fascine et m'attire encore dans ce genre de relation. Cela tient sans doute du défi et de la réparation : me surpasser en améliorant ma capacité à endurer des coups. Devenir solide, être capable d'être celui qui tiendra le choc. Avec le rêve illusoire, sans aucun doute, d'être celui qui saurait guérir une femme de ce que je perçois comme sa souffrance...

Inutile de convoquer Tonton Freud, je pressens vaguement à quoi tout cela fait référence et l'importance qu'il y a à l'élucider. Piste de travail à suivre...

Commentaires
P
Alors là... chapeau bas, Claire-Lise ! Je suis impressionné par la justesse de ton observation. Tu as le recul que je ne saurais avoir puisque je suis "pris" dans ce mécanisme relationnel un peu tordu.<br /> <br /> Je crois que tu lis très clairement (claire liseuse ?) la situation parce qu'elle m'a semblée absolument limpide et logique pendant que je suivais le déroulé de tes mots (en me demandant bien qui pouvait avoir cette clairvoyance...)<br /> <br /> Un grand merci pour cet éclairage qui m'est vraiment précieux, non seulement pour cette situation mais pour bien d'autres similaires.
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C
Je trouve que dans ta grande bonté, et dans ton souhait utopique de sauver les autres d'eux mêmes ;o), tu ne vois pas le shéma dans lequel t'embarque immanquablement ta collègue Artémis. <br /> Sans compter que, sur le moment, je pense que tu n'as pas réalisé l'ironie de la situation : une personne qui ne t'a pas parlé pendant des mois semble te reprocher de ne pas parler (...!)<br /> Je trouve ironique également qu'elle te pose une question et dans la minute qui suit t'en donne péremptoirement la réponse. Çà en dit long sur l'intérêt qu'elle porte à ta réponse (... !)<br /> Je trouve encore plus ironique la réponse qu'elle a trouvé à sa propre question, « ça veut dire que tu n'accordes pas d'importance aux autres !?  En fait les autres ne t'intéressent pas ! », son attitude te montrant clairement à ce moment là à quel point elle s'intéresse à toi et à ta réponse... Cela en dit long aussi sur la vision qu'elle a des autres (d'après les pensées qu'elle leur prête)...<br /> <br /> Et toi, gentil Pierre, tu te laisses embarquer dans son navire, tu lui expliques patiemment le pourquoi du comment de ton silence. Là, elle est arrivé à ses fins (conscientes ou inconscientes) : tu as mis ce que tu faisais entre parenthèses pour lui accorder à elle de l'importance et de l'intérêt.<br /> Pourquoi t'expliquer Pierre ? Tu n'avais pas à te justifier d'être silencieux (surtout que tu travaillais!). <br /> C'était elle que le silence gênait et non toi. C'était à elle de se demander pourquoi le silence l'a mettait, elle, mal à l'aise et à se poser les bonnes questions plutot que de tourner vers toi la responsabilité de son malaise en t'accusant de ne pas t'intéresser aux autres. <br /> Bien sûr que tu as été un peu piqué par ses remarques très adroites (et non maladroites) puisqu'elle est parvenue non seulement à ce que tu laisses ce que tu étais en train de faire pour t'occuper d'elle, mais en plus elle est arrivé à ce que tu te livres un peu dans ta relation à l'autre. <br /> Je crois qu'elle a très bien perçu les « boutons » sur lesquels il fallait qu'elle appuie avec toi pour que cela fonctionne et que tu t'occupes d'elle : elle a visiblement bien saisi ton complexe d'être (selon toi) d'une trop grande réserve qui ne favorise pas les échanges, et elle sait bien appuyer sur la culpabilité que tu en as, toujours dans le but que tu t'occupes d'elle ! <br /> Il me semble que la manière dont elle s'est adressée à toi le montre. Une personne qui aurait eu de l'intérêt plus pour toi que pour elle aurait par exemple pu te dire « et bien Pierre, je te trouve bien silencieux, qu'est ce qui t'absorbe tant ? » et amorcer la discussion sereinement.<br /> <br /> Le mode de fonctionnement d'Artémis, dans ce que tu décris, semble fondé sur ses propres peurs irrationnelles. Tu ne peux donc pas savoir vraiment comment le prendre et le comprendre puisque le propre de l'irrationnel c'est qu'il n'y a pas de logique. D'autre part, tu n'en as pas les clés de ce fonctionnement (tu ne vis pas dans sa tête) et peut être d'ailleurs qu'elle n'en a elle même pas les clés. C'est sûrement pourquoi elle est hyperactive et déteste l'immobilisme, car se poser, s'arrêter, contempler, et avoir de l'introspection l'amènerait sûrement à réfléchir et à devoir se remettre en question sur des choses auxquelles elle n'est visiblement pas prête à faire face. <br /> Je comprends que tu puisses trouver qu'elle est attachante dans son besoin d'être « sauvée » d'elle même, cela dit, elle ne pourra pas être sauvée malgré elle. « Attachante », c'est le mot justement, elle est capable d'une certaine sensibilité qui lui permet de s'attacher l'attention des autres mais il est dommage qu'au lieu de tourner cette sensibilité vers les autres, elle ne la tourne qu'à son propre profit. Elle se dit "mutante", de ce que tu décris, je dirais qu'elle est « instable ».<br /> <br /> Je comprends mieux désormais ton besoin de solitude si tu as dans ton entourage des personnages de ce type dont la logique d'affrontement est le mode de communication principal. C'est loin d'être reposant !<br /> Et je ne partage pas ton analyse : s'intéresser à l'aspect superficiel des vies ne facilite pas, en soi, les échanges, il ne les facilite qu'avec les personnes qui s''intéressent à l'aspect superficiel des vies. En revanche, il peut faire fuir les gens que l'aspect superficiel n'intéresse pas. Bref, dans l'échange, il faut être deux. Tout n'est pas que de ta faute, dans ta relation avec l'autre. Dans la relation avec autrui, on le prend comme il est, on prend l'ensemble qui le compose.<br /> Ce n'est pas une erreur d'être comme tu es et ce que tu es Pierre. L'erreur c'est de laisser les autres te culpabiliser d'être ce que tu es, et la manière que tu as d'exister dans la retenue et dans la profondeur. Ce qui n'est ni mieux, ni moins bien que d'être extraverti et superficiel.
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P
Hmmm... excellente question ma chère Julie...<br /> <br /> Je partage ta vision "romantique", absolument pas désuète à mes yeux, mais je mesure aussi ce que cela implique : une très grande solidité personnelle. Ce que je ne me sens pas (ou pas encore...) avoir suffisamment. Je reste sensible aux "attaques" et ne les supporte qu'en me maintenant à une certaine distance affective. Ce qui, bien sûr, est peu propice aux rapprochements sentimentaux. Si je sens que des coups peuvent m'être portés je cherche à m'en préserver. C'est la seule façon qui me permet de rester impliqué et attentif actuellement.<br /> <br /> J'aimerai pouvoir aider, mais il y a parfois un tel mal-être que l'aidant lui-même est attaqué... comme pour vérifier s'il est assez solide pour se laisser aller "dans ses bras", si j'ose dire. Je parle là de relations impliquantes, pas de celles qui peuvent avoir lieu dans le cadre professionnel de l'accompagnement de personnes en difficulté.
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J
"Avec le rêve illusoire, sans aucun doute, d'être celui qui saurait guérir une femme de ce que je perçois comme sa souffrance..." <br /> <br /> et pourquoi illusoire??<br /> <br /> Pourquoi justement avec ton vécu et ton expérience, tes capacités de recul et d'analyse et ton calme olympien (en tout cas ta maitrise) ne serais-tu pas capable justement d'être "guérisseur"...? <br /> <br /> Ne "servons-nous" pas à ça? Guérir, soutenir, apporter, combler, réparer? Ne serait-ce pas une si belle chose justement d'être cela pour un être qui nous attire et que nous aimons, et de recevoir également ce genre de "services"...? <br /> <br /> Cette attirance ne viendrait-elle pas de ce besoin inconscient de part et d'autre, de cette intuition au-delà de toutes raison et raisonnement qui nous pousse vers celui ou celle qui justement sera ce "réparateur", ce "combleur" de vide, cette explication de ce que nous sommes, ce guérisseur de nos souffrances" pour plus tard être ce sourire que nous avons eu tant de mal à mettre sur notre visage parfois?...<br /> <br /> Ma vision est sans doute romantique, désuette... je suppose que dans ta recherche d'équilibre relationnel, elle ne te tente pas...! rires.<br /> <br /> En effet, inutile de convoquer tonton Freud (j'adore!)<br /> bizzz Pierre<br /> ;-))
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