Pendant des années j'ai pris l'habitude d'écrire les étapes de mon cheminement d'ouverture au relationnel. Faits vécus, espoirs, déceptions, tout ce qui me semblait important y était. L'écriture en elle-même a fait partie du processus de conscientisation et d'intégration. A tel point que je ne saurais dire ce qui, des actes ou des mots, était principal acteur. Les deux allaient de pair, incontestablement.

Je constate qu'au fil du temps mon écriture m'est devenue infiniment moins nécessaire pour me comprendre. Peut-être parce que j'ai pris confiance en moi et n'ai plus besoin de "valider" mes pensées en les matérialisant en mots ? Peut-être parce que je n'ai plus vraiment besoin du regard des lecteurs, encourageant, rassurant, interpellant, questionnant ? Peut-être aussi parce que le rythme d'évolution et son ampleur ne me permettent plus d'en transcrire les détails ?

Ou bien, tout simplement, ai-je compris dans le mouvement qui s'est généré que la vie était ailleurs. Pas dans les mots. Pas que dans les mots. Maintenant je vis ce que j'élaborais par écrit il y a quelques années. Je met en pratique ce que je théorisais. Je suis parvenu, avec une certaine assurance, à ce que je construisais dans l'hésitation du doute et de l'incertitude. J'ai trouvé ma voie, ou du moins la direction que j'ai choisi de poursuivre.

Oh là, que voila une bonne dose d'autosatisfaction !
Bah, la lucidité n'est pas forcément orgueilleuse...

C'est dans le regard des autres que je vois le changement. C'est ce qu'on me dit de moi qui me permet de constater que je suis parvenu à un état de sérénité face à l'existence que je n'aurais pas pensé pouvoir atteindre si... vite. Même si cette vitesse-là s'est comptée en années.

La meilleure preuve de cette sérénité je la verrais volontiers dans l'équilibre que je me vois garder face aux autres qui, parfois, pourraient m'emporter dans leurs inquiétudes et tourments. Mes relations se sont simplifiées, dans le sens que je les vis de plus en plus *simplement*. Je prends les choses telles qu'elles sont, j'accepte ce qui est et n'interviens que pour ce qui pourrait être autrement avec des chances non nulles de réussir. Les choses paraissent moins simples pour mes partenaires de relations affectives intimes. Je les vois unanimement devenir désemparées au bout de quelques temps devant ce qui leur apparaît comme une froideur, une distance, une indifférence, un détachement... alors qu'il ne s'agit que d'indépendance : je ne suis pas dépendant. Lié, mais pas dépendant. Je ne ressens pas la morsure du manque dans des relations que je vis comme élastiques et adaptables au gré des opportunités. Je ne place pas tous mes espoirs dans une seule relation, ni même dans le relationnel. J'ai une vie diversifiée - je devrais dire "des vies" -  qui me permet de trouver un équilibre en plusieurs domaines.

En fait, depuis toujours je crois avoir voulu me débrouiller seul et faire preuve d'autonomie. Comme si me sentir libre était un réflexe d'apprentissage de survie. Je suis capable de faire beaucoup de choses de mes dix doigts et je souffrirais de ne pas me sentir cette liberté d'action. Mes seules entorses graves à ce désir auront été mes relations amoureuses. Jusqu'à ce que je comprenne à quel point la dépendance dans laquelle j'avais pu m'inscrire avait donné à l'autre un pouvoir exorbitant sur mon existence.

Depuis ces temps de souffrance je me suis reconstruit de façon à ne plus me trouver en situation de dépendre de quelqu'un. Comprenez-moi bien : je suis évidemment partie prenante d'une grande interdépendance humaine, mais j'aime me sentir libre de choisir de qui et de quoi je dépend... et me sentir capable de m'en soustraire. Or il semble que cette libre dépendance attire vers moi des femmes plutôt émancipées dans leurs idées... mais pas forcément dans leur être. Je vois donc venir vers moi des femmes qui ont en commun la particularité d'avoir toujours rompu leurs relations avant de risquer d'être abandonnées. Façon comme une autre de se protéger de la dépendance... De mon côté j'ai opté pour une stratégie inverse - ne plus trop m'attacher - mais reste sensible à la menace de désertion. Je m'attacherais donc d'autant moins à des femmes dont je sais qu'elles pourraient bien quitter la relation sans espoir de retour ! Sauf que je me suis tellement blindé par rapport à ce risque que les menaces de désertion, voire leur mise à exécution, ne me mettent plus en danger. Je n'y suis pour autant pas du tout insensible, et peux ressentir tristesse et déception lorsque je me vois quitté... mais j'accepte ce choix de l'autre. Je l'accueille comme il m'est donné, tout en exprimant mes sentiments. Je ne retiens pas l'autre, ne me révolte pas inutilement. Je laisse faire ce qui doit se faire, en l'occurence ce que l'autre choisit de faire. Ce qui ne veut pas dire que je m'interdise de contester la manière de faire...

Malheureusement il semble que de trouver "plus fort que soi" crée une situation de dépendance vis à vis du "maître" ainsi placé en position dominante ! Et me voila donc avec des pseudo-indépendantes qui deviennent dépendantes et m'en veulent de mon autonomie !

Ma collègue Artémis, avec qui un lent rapprochement avait fini par nous conduire vers ce point de basculement qui peut créer une dépendance a choisi d'arrêter. Parce qu'elle souffrait de mon exigence de liberté, dont elle ne comprenait pas le sens [faites moi penser de rédiger une note sur ce concept de liberté...]. Trop frustrée par le manque. J'ai laissé faire, sentant en moi de nouveau se fissurer une confiance prudente que j'accordais en fonction de ma foi en toute relation. L'impression de rejet, renvoyée par son mal-être accusateur, a éveillé ma colère et atteint mes profondeurs. J'ai senti que j'étais plus fermement attaché que ce que croyais et j'en ai déduit que j'avais encore à travailler sur moi. Pas dans le sens d'un blindage renforcé et enfermant... mais dans celui de l'écoute de l'autre : choisir d'arrêter une relation trahit un mal-être suffisamment profond pour en venir à une telle extrêmité. Cela signifie que la relation en est venue à apporter davantage de souffrance que de plaisir. Sauf que supprimer la source de souffrance supprime aussi celle du plaisir, les apports, la découverte, la richesse qui était trouvée en partage avec l'autre. Rompre une relation c'est sans doute se protéger de cette relation, mais pas de soi ! C'est se priver du miroir que représentait l'autre. Fuir n'est qu'une solution à court terme.

Rompre, ce peut aussi être une mise à l'épreuve - inconsciente - de celui qui est en face. Craquer, renoncer, tout casser, pleurer... ce sont les expressions d'impuissance et de désarroi de l'enfant intérieur. Or un enfant attend d'être entendu et rassuré. L'enfant attend en face de lui un adulte : saura t'il m'accepter tel que je suis ? M'aimer malgré mes imperfections ?

Je fais partie de ceux qui considèrent que toute relation affective, a fortiori si elle permet un épanchement intime, permet de rejouer ce qui ne s'est pas résolu dans l'enfance, réactivant ce qui a besoin d'être encore élaboré. La relation amoureuse de type passionnel a une composante régressive. Et si beaucoup se défendent de céder à l'amour passionnel... les faits montre que la souffrance est pourtant bien là.

Avec des réactions mesurées, sensibles mais pas exacerbées, en colère mais sans emportement, je suis resté "adulte" face à Artémis. Même si mon propre enfant intérieur, se sentant trahi et abandonné, a eu envie de se lâcher à son tour dans la facilité du rejet. Cette relative sérénité face à la rupture a permis de voir rapidement revenir, penaude et éplorée, celle qui venait de me rejeter.

IMGP0627

Éclat éphémère d'une floraison
En quelques jours tout est terminé
Viendra t-il des fruits ?