Relations et effets du temps
S'il y a bien quelque chose qui n'est pas multipliable c'est le temps. On peut multiplier les amitiés et relations, mais pour le temps il n'y a rien à faire : il n'est pas étirable. Le temps c'est la limite à la diversification relationnelle. Il ne peut qu'être partagé, comme on le ferait pour des parts de gâteau. Plus il y a de convives, plus les parts sont petites.
Quand il s'agit d'amitiés établies il y a une certaine souplesse et la fréquence de distribution des parts de gateau importe peu, du moment que la qualité est là. Mais quand il s'agit de relations disons... plus intimes, le besoin de temps de rencontre est presque une exigence. Il y a un désir de proximité qui se traduit en fréquence de contacts. Du moins pour la plupart des gens, semble t-il. Moi y compris, autrefois. Je sais quelle frustration on est capable de s'infliger à rester dans cette attente.
Mais j'ai changé. Maintenant je ne vois plus l'intimité être forcément corrélée avec une fréquence des rencontres. Il me semble que je peux très bien établir une relation d'intimité en laissant du temps au temps. Ce qui m'importe est la qualité d'une relation et la confiance qui y règne, pas son intensité, encore moins sa fugacité. Je n'ai plus l'inquiétude de voir une relation s'étioler faute de fréquence de contacts.
Il se peut que je me trompe, hein ! Je n'affirme rien. Je me borne à constater.
J'ai bien conscience que si une relation est vue comme une construction commune il est important que chacun y apporte sa pierre. Par ailleurs je me doute qu'une lenteur constructive peut mener l'autre à construire autre chose ailleurs, s'il est dans ce désir. Et comme le temps n'est pas multipliable...
Par contre, je me demande si une relation doit être "entretenue" comme on entretiendrait une construction. Est-ce qu'elle se dégrade irrémédiablement si on ne s'y retrouve pas très souvent ? J'ai l'impression que c'est un peu la crainte qu'il y a : « si tu ne donnes pas assez la relation risque de s'éteindre ». Moi j'entends cela comme : « j'ai besoin de sentir que tu contribues à cette construction autant que je le fais ».
Alors je me vois poussé à tenter de rassurer celles de mes partenaires qui sont inquiètes en leur confirmant que je suis toujours là, même si, pour diverses raisons, je me manifeste peu. Comme je vis dans l'ici et maintenant, j'ai tendance à donner à la relation quand elle se vit dans cette dimension : au présent et en présence. L'absence ne m'inspire guère.
Ça inquiète. Peut-être que ça déçoit.
Quand une femme me demande si elle a une place dans ma vie, j'entends qu'elle voudrait en avoir une plus importante. De la place il y en a, mais du temps...
Tout ça commence à m'interpeller. Les relations plurielles peuvent-elles se vivre sur un mode similaire aux relations uniques ? Je ne crois pas... En tout cas je ne vois pas comment je pourrais faire, sauf à m'y épuiser en tentant d'être présent partout à la fois. Ça ne m'intéresse pas. Je ne vais pas courir dans ma vie pour donner autant qu'il est attendu. Ça me désole un peu de générer de la frustration, mais j'ai fait mes choix de vie et ne les cache pas. Il semble que ça plaise... et que ça déplaise à la fois !
On me trouve parfois distant, indifférent, froid, dur. Mais curieusement ces impressions n'apparaissent que dans l'absence. Et uniquement quand il est estimé que je ne donne pas assez. Par contre, dans la réalité des rencontres en face à face, ou lorsqu'une autre forme contact est possible, il semble que je sois perçu comme plutôt doux, attentif, présent, chaleureux... même si une certaine retenue me caractérise.
J'en conclus sans surprise que, l'absence réactivant des inquiétudes, l'image que l'on me renvoie est une projection. Quand je donne au présent et en présence l'image est favorable, enthousiaste, aimante. Quand je ne donne pas autant qu'attendu c'est une image désagréable qui m'est attribuée. Parfois des tentatives de rejet en découlent. Rien de bien nouveau en fait : l'objet d'amour reste toujours un objet de haine potentiel. Mais comme je n'ai plus vraiment besoin de me sentir aimé à n'importe quel prix... je ne me soumets pas à ce qui pourrait rapidement devenir une forme de pression.
La répétition des scénarios m'est fort utile en me permettant de prendre position et de tenir. J'apprends à écouter mes désirs. Désirs de relation... mais aussi de liberté !
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Il faut beaucoup de temps...
... sans que personne ne s'en occupe...
... pour que disparaisse ce qui a été construit