Mots vivants
Écrire, toujours. Poser des mots, même pour dire qu'ils ne viennent pas.
Laisser dépasser un fil et voir ce qui se passe...
« Je n'ai pas envie d'écrire », ai-je écrit ce matin. Mais s'agissait-il bien de cela ?
Non. J'ai envie d'écrire. En vie, décrire.
Vivre et l'écrire. Vivre de l'écrire.
Simplement je ne sais pas comment faire. Je ne sais pas quoi dire choisir de dire. Car j'aurais trop à écrire pour avoir le temps de vivre simultanément. Écrire ce n'est pas vivre... enfin si, mais autrement. C'est imaginer la vie.
« C'est par incapacité de vivre que l'on écrit » dit Christian Bobin (aimablement cité par Pralinette). Oui, il y a de ça dans ce que je ressens : la vie et les mots parfois s'associent, parfois s'excluent et s'opposent. Vivre ou écrire, il faut parfois choisir. Est-ce parce que je vis davantage que j'écris moins ? A moins que ce ne soit l'inverse...
L'écriture et la vie entretiennent des rapports complexes.
Alors je pourrais écrire... « je n'ai pas envie de (re)tomber dans le gouffre de l'écriture ».
Oh non... ce n'est pas si sombre.
« Pas envie de me laisser emporter sur l'océan infini des mots ».
Euh... non... ce n'est pas ça non plus.
« Pas envie de me laisser chahuter dans l'impétueux torrent des idées qui se cognent aux mots ».
Ça approche, mais c'est toujours pas ça.
En fait j'aurais envie d'écrire mais je ressens le besoin de m'en tenir à distance. Parce que les mots qui se lient dans l'écriture sont des pièges autant qu'ils sont libérateurs. Outre le fait qu'ils tiennent à l'écart de la vie en même temps qu'ils peuvent l'intensifier, les mots fixés trompent autant qu'ils mènent vers une vérité. Écrire une pensée c'est simultanément la tuer en l'immobilisant et la faire vivre en la déposant. À travers l'écriture les mots s'assemblent, prennent une vie propre et leur destin se fige. Libérés ils ne sauraient être maîtrisés. Ils s'échappent. Et quand ils s'ancrent, sur écran ou sur papier, ce n'est que pour mieux retrouver leur liberté à la lecture.
Peut-être est-ce la conscience nouvelle de cette paradoxale liberté qui m'effraie, me fige, me retient. Alors j'observe cette matière lexicale en suspension que je découvre plus vivante que je n'imaginais. Malléable et rigide, elle réagit selon la façon dont elle est travaillée et agit sur celui qui la travaille. Elle agite aussi ceux qui regardent l'ouvrage achevé. Émancipée, elle vit ainsi du sens que chacun donne aux mots et à leur assemblage.
Visions discordantes parfois. Interprétations erronnées, éloignées du sens initial.
Mais est-ce vraiment important ? L'auteur d'un texte n'est-il pas, finalement, son lecteur ? J'ai à comprendre que mes mots ne m'appartiennent pas au delà du sens que je leur donne.
* * *
Et pendant ce temps...
... le cycle des saisons...
... porte les herbes folles...
... vers la maturité.