Harem
Ma collègue Artémis m'a invité chez elle, aujourd'hui. Oh, pas que moi ! Elle a invité tous les collègues de travail. Et son compagnon aussi sera là. Autant dire que notre proximité sera toute relative. Les conjoints de mes collègues sont invités. L'un d'entre eux, Fred, m'a demandé si je viendrais accompagné, provoquant l'exclamation hilare d'un troisième : « il va venir avec son harem ! ».
La légende du harem dure depuis que Fred m'a vu accompagné de sept femmes... lors d'un colloque où j'étais présent sous deux étiquettes : en tant que professionnel de l'insertion et en tant que futur écoutant relationnel. J'avais choisi d'être avec mes collègues de formation plutôt qu'avec lui. Depuis il ne manque pas une occasion de faire allusion à mon supposé harem.
Cela dit Fred n'a pas vraiment tort puisque je ne suis plus l'homme d'une seule femme. Mais ça, afin d'éviter tout malentendu, je n'en fais pas étalage...
Les remarques du joyeux drille ne sont certainement pas anodines pour Artémis. Nous avons un discret regard complice lors des saillies de notre hilare collègue : « s'il savait ! ». Du coup Fred passe un peu pour un con...
Artémis est une de celles avec qui je vis une relation d'intimité et, quoique étant elle même en couple, accepte mal que je ne lui réserve pas une exclusivité. Pour ma part je vais la cotoyer aujourd'hui avec son compagnon et, a priori, ça ne me pose aucun problème. Je vis tout cela très simplement, saisissant les possibilités du moment.
Pour la petite histoire Artémis m'avait expressément demandé, très sérieusement et droit dans les yeux, que je l'informe des moments où je serais "absent" pour elle. À la fois pour ne pas se sentir "de trop" en me sachant "ailleurs", mais aussi pour savoir comment elle réagirait, entre mental et tripes, face à cette réalité de ma libraimance. J'ai longuement hésité devant cette exigence de transparence, qui me pose un certain nombre d'interrogations autour du contrôle des pensées de l'autre mais, devant sa détermination, j'ai bien voulu accéder à sa demande. Après tout je préfère vivre dans la sincérité et les choix responsables ont toute ma faveur.
Le verdict ne s'est pas fait attendre : il y a deux jours, dès que je l'ai informée d'une prochaine "absence" elle m'a dit que c'était fini entre nous. Qu'elle ne se sentait pas capable de vivre ainsi. Ce risque avait été prévu et, tout comme elle, je savais à quoi m'attendre.
Nous sommes donc euh... officieusement redevenus strictement collègues. Après tout nous fonctionnons ainsi devant tout le monde et cette façade ne sera pas difficile à conserver. Pour le reste... nous verrons bien. Je prends tout cela avec philosophie, quoique je ressente des affects contrastés. J'avais construit ce lien en anticipant sa fin et me sens tout à fait capable de vivre assez sereinement les flux et reflux sentimentaux. Tout cela est très vivant, riche de sensations et découvertes.
J'ajouterai qu'Artémis est en pleine ambivalence entre son refus d'accepter ma non-exclusivité et l'intensité de ses sentiments, ce qui signifie que les choses n'en resteront probablement pas là...
Vous comprendrez aisément en lisant cela que mon silence en écriture n'indique pas que ma vie est devenue morne. En comparaison le plus palpitant des romans me semblerait d'un ennuyeux !