3eme miroir - L'amour et l'affectif
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L'amour et l'affectif. Vaste, très vaste sujet, infiniment plus que ce que j'ai précédemment évoqué à travers vos regards. Inlassablement exploré depuis que l'homme se questionne sur lui-même, toujours aussi indéfini. Et s'il n'existait d'autre définition de l'amour que celle qui nous est personnelle ? Raison de plus pour en discuter et ainsi mieux cerner les contours que chacun lui donne.
Dans cette partie je serai nettement moins consensuel avec certaines remarques de lecteurs... N'en soyez pas offusqués, je vous aime bien quand même ;o)
Vous êtes prêts ? [t'ention, c'est loooong !]
C'est parti...
Julie cite Henrit Laborit, dans une approche qui ne peut que me réjouir : « l’amour passionnel avec ce qu’il charrie de dépendance et de possessivité n’est pas forcément le top des relations humaines et que des relations plus matures d’adultes capables de vivre des relations diversifiées de façon non exclusives, comportant des parts plus ou moins importante de sexualité accomplie ou pas me paraissent de loin préférables. » Clap clap clap ! J'applaudis !
Je me situe dans cette recherche d'un amour mature d'adulte, estimant que c'est la meilleure façon d'aimer vraiment. À mes yeux cela consiste à se défaire de nombre d'illusions affectives entretenues depuis l'enfance, et même plutôt le berceau. Travail colossal puisque nous vivons avec certaines représentations personnelles depuis cette époque, aube de notre existence. Autant dire que c'est consubstantiel de notre être.
J'ignore à quoi aboutira ma recherche, mais pour l'heure elle m'a permis d'atteindre une certaine sérénité existentielle et je pourrais dire que je ne suis pas loin du bonheur [ben oui !]. Certes je le vis actuellement dans une relative solitarité. Pourtant je ne me suis jamais senti aussi entouré ni n'ai porté attention à autant de personnes simultanément. Je me sens plus vivant que jamais.
Par contre je ressens face à cette façon de vivre de vives résistances de la part de personnes qui ne semblent pas s'être émancipées du principe de la dépendance amoureuse. Mais... faut-il absolument chercher à s'en émanciper ? Est-ce une question de choix personnel ? De confiance en soi ? Je ne sais pas... les questions sont bien plus nombreuses que les quelques réponses transitoires qui propulsent vers de nouvelles questions.
Annick ouvre la série des interrogations, évoquant dans son entourage « un homme qui comme toi n'en finit pas de se protéger. C'est son choix. Il va d'amitié amoureuses en amitié amoureuses. Mais je sais qu'au fond de lui il attend l'Amour avec un grand A ». Idée reprise dans nombre de commentaires
Ainsi SolAnge : « si tu parviens, pour le moment à ne plus souffrir, ce n’est pas ‘uniquement’ parce que tu as bien blindé le mécanisme…. C’est surtout, à mon avis, parce qu’aucun tsunami amoureux n’est venu toucher tes collines redevenues paisibles après le passage de l’ouragan (...) Crois moi, si l’amour devait te « frapper » à nouveau, tes petites digues psychologiques n’y changeraient rien… ». Elle ajoute : « Pierre fait *tout* pour se protéger et ne plus jamais 'souffrir' comme cela lui est déjà arrivé.... Ce faisant, il me semble, il se protège aussi de l'exaltation des émotions très fortes et des sentiments de braise.... »
Alainx va dans le même sens : « Pourras-tu maintenir longtemps sous cloche tes pulsions internes ? Ou sombrera tu un jour prochain corps et biens (*sourire *) dans "l'état amoureux" ? L'avenir le dira... Mais pour l'instant... Tout semble parfaitement cadenassé !... ». Ce que semble approuver Coumarine « tu te dis heureux tel que tu vis maintenant, moi je ne le "sens" pas comme ça. Et sans doute d'autres que moi. Mais toi seul sait ce qu'il en est. Je te dis ce qui se perçoit (en projection peut-être!) de l'extérieur... Et me croiras-tu si je te dis que cela me fait de la peine pour toi? »
Hum... je crois percevoir quelques doutes quant à la durée de ma sérénité actuelle...
J'accorde mon attention à ces réflexions, que je sens portée par une indéniable bienveillance à mon égard. Cependant je ne m'y retrouve pas. J'ai l'impression que ce n'est pas de moi dont il est question. Il est très probable que reviendront des jours où je serai happé par les vibrations amoureuses, comme le rappelle Annick : « tu le dis toi-même l'état amoureux c'est délicieux et s'il revient tu ne le refuseras pas ». Mais pour le moment il semble que je n'y sois pas prêt, ou que le hasard n'ait pas suscité les déclencheurs nécessaires. Pour autant j'aime. Et je dirais même, un tantinet provocateur, que de ne pas être amoureux me permet d'aimer... Et notamment d'aimer au pluriel !
Ouille ! revoila les idées qui fâchent !
Avant d'y revenir j'ai envie de répondre à Coumarine et à sa peine : oui c'est bien une attitude projective puisque je ne suis ni triste, ni ne souffre (du moins consciemment...). Au contraire je me sens bien dans ma vie. Alors pourquoi ressentir de la peine ? Peut-être parce que je ne suis pas dans un élan amoureux, ce mirage qui fait tant rêver...
Je crois que Siestacorta apporte une réponse en disant « Aujourd'hui, ton choix, et le fait que tu l'assumes changent tes émotions et donc tes idées dans l'autoanalyse que tu mets en ligne. Tu es toujours aussi sensible, mais moins douloureusement. Tu as moins de la peur qui faisait de toi un "homme blessé" pour lequel il était normal de compatir. Du coup, ta nouvelle attitude peut être déceptive pour celles (et ceux) qui s'identifient moins à toi qu'à tes difficultés. ». Cela va dans le même sens que Camille qui s'étonne de voir « 'prédire' une souffrance à venir ». Il est vrai que souvent je sens des interrogations sur mon refus de l'état amoureux... comme s'il allait de soi que cet état-là était forcément à rechercher !
Annick me questionne sur mon affirmation que « l'amour inconditionnel n'existe pas » à laquelle répond Alainx : « ne faudrait-il pas dire que tu ne l'a pas rencontré... encore... ». Je répondrai par une conviction : non seulement je ne l'ai jamais rencontré, ni n'ai jamais rencontré personne l'ayant vécu, mais en plus je ne crois pas que ça existe au sens où je l'entends, c'est à dire littéral. Un amour sans aucune condition... ça mérite la béatification ! Et assurément ce ne sera pas dans l'ordre de l'amour "amoureux". Je dirais même que ce serait une folie que d'aimer inconditionnellement. Mais... encore une fois, de quel amour parle t-on ? Car aussi bien je peux dire que j'aime inconditionnellement. Sauf que c'est en ajustant la distance à laquelle je peux vivre cet amour sans me mettre en danger. Et cette inconditionnalité est plurielle, évidemment, puisque aimer exclusivement serait déjà une condition.
Donc je ne suis absolument pas convaincu par Alainx déclarant « Pour ma part, j'ai expérimenté et expérimente cet « amour inconditionnel ». Je le ressens dans ma chair, au moins d'une personne envers moi, et dans la durée de longues années... Et de quelques autres, au moins pour un temps, j'en ai l'empreinte indissoluble en moi... ». Même si, en même temps, je pourrais dire la même chose ! Je crois qu'il faut rester lucide et parler des mêmes choses en se méfiant de l'illusion des mots.
J'aime toujours celle avec qui j'ai choisi de vivre il y a près de trente ans et je l'aimerai probablement toute ma vie. J'aime aussi d'autres femmes avec qui je me suis lancé dans l'aventure il y a des années et ces amours là dureront aussi, vraisemblablement. Sauf que je ne vis avec aucune d'elles et n'ai même parfois plus de contacts !
Je me suis demandé si m'était adressée la remarque d'Alainx, lançant « peut-être que parfois, certains, cet amour inconditionnel, ils le refusent bec et ongle. C'est tellement dangereux d'être aimé totalement pour soi-même et pour qui l'on est vraiment !... ». Je ne peux m'empêcher d'y voir une perche tendue pour y répondre : je n'ai jamais rencontré ce genre d'amour, qui serait effectivement inconditionnel ! J'ai été aimé, beaucoup, et ait été transformé par ces amours, mais jamais ne me suis senti accepté totalement. C'est même ce qui a été à l'origine des séparations. Une part de ce que j'étais était "inacceptable" pour celles qui m'aimaient, malgré un amour initial ou encore vivant.
J'ai envie de dire, tant cela réveille d'émotions et de souvenirs, que tout ça c'est du baratin ! Que tant qu'on n'a pas vécu l'abandon amoureux on ne sait pas de quoi on parle. Et en disant cela je ne pense pas qu'au quitté, mais aussi au quittant.
Oups... je m'éloigne du miroir...
Alainx, décidément très en verve autour des relations d'amour, ajoute : « Il me semble qu'en ce qui te concerne (mais je peux me tromper...) Tu préfères essayer d'aimer l'autre (ce qui permet de garder toujours un certain contrôle sur lui/elle), que de te laisser aimer de lui/elle (ce qui suppose un abandon, et de perdre le contrôle, pour se laisser recevoir d'un autre...) ». C'est très intéressant, parce que je crois précisément faire en sorte de me laisser aimer... sans craindre de voir souffrir l'autre. C'est à dire que je me retiens de perdre mon contrôle pour "contenir" une éventuelle perte de contrôle de l'autre. Perte de contrôle qui pourrait très vite mener à une rupture, ce que je ne souhaite pas (je pense évidemment à moi quand je prends soin de l'autre...). C'est ce qui me conduit à garder cette relative "distance" qui me fait paraître "froid". Si je m'abandonnais sans me soucier de ce que vit celle qui est en face de moi, j'aurais l'impression de profiter de la situation et de la position "dominante" qui m'est octroyée.
Là ou je peux me sentir mal à l'aise, c'est quand je me dis que ce n'est pas à moi de "protéger" ces femmes d'elles-même, et qu'en le faisant c'est moi que je protège. Non seulement d'une éventuelle perte, mais surtout de l'image du "profiteur". Du séducteur, quoi...
D'où mes réactions face aux commentaires me percevant ainsi.
Je me vois être en contradiction avec Alainx affirmant « Il est évident que lorsqu'on a refermé son coeur à l'expérience amoureuse... Cela s'avère difficile d'observer ce qu'est l'amour. » Au contraire, c'est parce que je ne suis plus dans l'expérience amoureuse, aveuglante, que je peux observer ce qui s'y joue, en me servant des souvenirs de ce que j'y ai vécu de l'intérieur. Je serais d'avantage d'accord avec l'idée que « l'amour authentique entre un homme et une femme passe invariablement par sa phase " amoureuse " (pour reprendre ce mot ) ce n'est qu'avec la durée et l'engagement que l'on débouche un jour sur l'amour inconditionnel... Ou pas... ! ». Sauf que je changerai le terme "inconditionnel" pour celui de "véritable", ou "authentique". Accord partiel aussi sur l'idée que « on ne peut pas faire un voyage en amour sans commencer à marcher sur le chemin amoureux... Ou en revenant sans cesse en arrière... Ou en en prenant d'autres voies multiples... ». Il faudrait distinguer amour et état amoureux...
Quant à cette phrase, je crains de ne pas en saisir la portée... ou de trop bien la comprendre: « On ne guérit pas de traumatismes de l'enfance sans se laisser totalement aimer par quelqu'un ». Au contraire je crois qu'on peut raviver très fortement des blessures d'enfance en se laissant aimer car l'amour total n'existe pas davantage que l'amour inconditionnel. L'autre n'est pas là pour nous aider à guérir nos blessures, il serait même dangereux de s'abandonner à ce genre de croyances. Si l'autre peut nous aider à faire nous-même notre propre chemin, par sa seule présence attentive et affective, il reste libre et peut tout aussi bien décider de nous laisser là, en pleine blessure réouverte. Résultat aléatoire, qui peut mener vers la guérison des blessures, seul, ou au blindage efficace évitant de les réouvrir intempestivement. Pas la peine de chercher bien loin pourquoi chez moi « tout semble parfaitement cadenassé !... »
Je reste donc extrêmement circonspect face à de telles affirmations, qui font joli dans le paysage relationnel mais me semblent se hasarder vers de réelles mises en danger. Certaines ruptures finissent par des dépressions ou des suicides...
Pour ma part j'ai choisi de revenir aux bases de l'attachement affectif pour comprendre ce qui s'y jouait. Cela génère un certain détachement mais je crois qu'il me permet un travail efficace, qui m'autorisera une réouverture le moment venu. Et si SolAnge me rappelle que « l’Homme est un Animal social… il ne peut vivre hors du regard de l’Autre… », je ne crois pas que le regard amoureux en soit la panacée. Précisément parce qu'il est incertain, parfois seulement temporaire, et redoutablement déformant. Voir que subitement on n'est plus "rien" aux yeux de l'autre alors qu'on croyait compter pour beaucoup est non seulement une profonde blessure narcissique, mais aussi une perte des repères dans l'estime de soi, dans la valeur de soi. Quand on s'est construit dans le regard de l'autre son détournement nous déconstruit... du moins temporairement.
SolAnge s'exclame « Moi, j'ai envie de Vivre en continuant à ressentir ces émotions et sentiments qui font VIBRER.... pis, je ne me sentirais pas VIVRE si je m'empêchais de goûter encore à ce qui donne du goût à ma vie... et ce qui donne le plus de goût à ma vie, ce sont les relations avec l'Autre... potentiellement dangereuses pour ma sérénité et bousculantes de mon équilibre précaire.... ». Me reviennent en mémoire ces moments de vibration intense, ceux qui m'ont fait dire, jadis, « c'est cela que je veux vivre ! ». Et je l'ai vécu. Mais je l'ai vécu parce que c'était là à ce moment-là ! Je ne vais pas chercher à le revivre si ce n'est pas là. Ça ne m'empêche pas de vivre des relations avec les autres, de ressentir, d'être traversé par des sentiments et émotions, des joies et des tristesses, de la colère ou des moments de bien-être. Certes c'est moins intense que ce que j'ai pu connaître, mais ça dure, c'est présent, c'est là. Et c'est bon. Je vis ce qui est à vivre, sans rêver de l'inaccessible. Mon équilibre est souvent déstabilisé, ma sérénité bousculée, mais je les retrouve rapidement et c'est BON ! Mon sentiment de bonheur vient peut-être de là...
En ce qui concerne la souffrance « c'est naïf de penser qu'on peut être certain d'y échapper... » dit SolAnge. On n'est certain que d'une chose : la mort est au bout. Tout le reste est possible. Pour ma part je crois que l'on peut exercer une influence notable sur ce qu'on vit, ne serait-ce qu'en modifiant notre façon de le ressentir... Je ne pense pas me garantir de ne pas souffrir, mais ce que je sais de la souffrance, le travail que j'ai fait sur elle, me donne une certaine aisance. C'est un peu comme si je n'avais plus l'intention de me rendre dans ce territoire en m'en étant fortement éloigné. La souffrance affective est éminemment subjective. En travaillant sur cette subjectivité on peut désamorcer beaucoup du pouvoir d'auto-nuisance de la souffrance. Par contre, dire « moi, je ne veux jamais avoir à mourir » serait une absurdité puisque la mort est certaine...
Je ne me sens pas d'accord avec ces affirmations de SolAnge (que je ne ménage pas ici, mais que je sais capable d'entendre cela) : « La souffrance comme le bonheur, font partie de la vie... elles sont indissociables.... Et à moins de ne se poser *aucune question*, et de se contenter strictement de ce que l'on a ou que l'on est en mesure d'avoir, le bonheur perpétuel me semble une utopie... La vie est une succession de joies et de peines... ». Mon côté résolument optimiste m'empêche d'adhérer à cette vision. Elle part du principe d'un équilibre, or je ne vois pas les choses ainsi. Ou du moins l'équilibre ne s'exerce pas forcément dans des domaines comparables. Par exemple actuellement je pourrais dire que "souffre" puisque depuis des années je travaille à... ne plus souffrir. Mais cette "souffrance", parce qu'elle est volontaire et choisie, m'apporte satisfaction. Je suis heureux de ce travail choisi alors que je serais malheureux si je le subissais. J'en viens même à me demander, parfois, si je ne serais pas un souffrant heureux ! Je porte un certain nombre de blessures issues de l'enfance qui conditionnent mon existence. Je ne suis pas aussi épanoui que je voudrais l'être. Je garde encore les traces de blessures qui ont réactivé bien des douleurs. Avec tout ça je pourrais me dire malheureux et malchanceux. Et bien au contraire je vois de la "chance" dans tout celà ! Chances d'avancer, de progresser, de comprendre certaines choses et d'en vivre d'autres grâce à cette "souffrance" issue de l'enfance. C'est le principe de la résilience décrit dans "Un merveilleux malheur" par Boris Cyrulnik.
Il se peut que je sois malheureux... mais je ne le sais pas !
Y'en a qui vont dire que je suis fou...
« Je remarque qu'il plaît nettement plus aux femmes aujourd'hui que par le passé....très positif, son parcours 'évolutif' », écrit Camille. Faut-il y voir une relation de cause à effet ? J'ai envie de penser que oui...
Pour terminer (provisoirement), parce que les meilleures choses ont une fin, je vais répondre aux questions directes de Fact O'post : « Consacres-tu le même temps à chacun de tes amours ? C'est vrai ça, comment gérez-vous ? Tes amours ont elles-aussi leur emploi du temps. »
Et bien... je consacre le temps qui est possible, généralement en répondant à leur demande. Ces temps sont de nature très différente puisqu'ils vont du quotidien, mais dans le cadre du travail, à des séjours prolongés mais espacés dans le temps, en passant par les rencontres prévues et imprévues selon les circonstances. Je ne cacherai pas que cette question du temps inextensible est une des complications de la pluralité. Parce que j'ai aussi besoin de temps pour moi, ce qui n'est pas forcément compris et peut même susciter quelques inquiétudes : « que fait-il quand il n'est pas avec moi ? ». La question n'étant évidemment pas de savoir ce que je fais, mais si je ne suis pas avec une autre... Je précise que cette inquiétude n'est pas partagée par toutes ;o)
Mes amours ont leur emploi du temps, évidemment, fait d'un certain nombre de contraintes. Les week-end, par exemple, sont réservés à leurs conjoints. Comme la plupart de leurs soirées. Et oui... pas facilement partageuses, mais elles même partagées entre deux hommes. Hé hé, contradictions...
Bon, vous avez eu une sacrée dose de mes pensées là, hein ? Et pas désincarnées...
Pas d'indigestion ?