Aux confins de l'exprimable
Bien que j'aille parfois assez loin dans l'expression de mes réflexions intimes, je limite assez sévèrement ma liberté en matière d'écrits publics. Il y a deux raisons à cela, visant à préserver des sensibilités :
- La première c'est parce que je crains de trop me mettre à nu. En dévoilant mon intimité je suis menacé de me laisser désarticuler, éparpiller, désintégrer dans ce que j'ai de plus personnel, profond, sensible. C'est surtout par rapport à ceux qui ne me connaissent pas (ou me connaissent mal) que j'ai ces réticences : je redoute des jugements par méconnaissance. Des projections mentales qui me seraient néfastes. Des étiquettes moches sous lesquelles je ne me reconnaîtrais pas.
- La seconde parce que je pense, au contraire, au regard de personnes connues, avec qui je suis en lien, que je voudrais "protéger" du déballage de mes impressions intimes et d'un excès de transparence. Là je crains des réactions affectives extérieures. Je crains de blesser ou de porter préjudice.
Dans le premier cas je n'ose pas aller trop loin, dans le second je me retiens de le faire. Ce journal oscille fréquemment entre les deux. Parfois je suis même pris en tenaille entre ces deux domaines d'autocensure. Ma vigilance est d'autant plus forte qu'au cours de mes années de pratique de l'écriture extime il m'est arrivé de dépasser les limites dans les deux sens. Je continuer néanmoins de naviguer au plus près de celles-ci, mais en faisant preuve de davantage de prudence...
La diversité de mon lectorat me met régulièrement face à des questionnements selon les destinataires auxquels je peux penser. Ce souci constant d'aller au plus loin dans l'exprimable tout en restant dans le respect de chacun peut singulièrement compliquer mon travail rédactionnel ! Voire inhiber totalement ma capacité à laisser mes doigts pianoter sur le clavier. Ou, phénomène inverse : me pousser à justifier et surexpliquer les raisons de mes choix et comportements. Ces précautions peuvent me prendre un temps considérable.
Je n'ai pas ces problèmes lorsque j'échange de vive voix. Déjà parce que je ne parle généralement qu'en comité restreint (une à deux personnes, rarement davantage), et ensuite parce que je peux cibler mon sujet en fonction de qui est en face de moi. Lorsque les conditions de confiance sont là je peux alors me laisser aller à partager l'important, habité par la sérénité qui me porte. Je laisse diffuser au fil de la conversation, vers qui cela intéresse, les principes de vie qui me permettre de me sentir fréquemment en état de bien-être.
Ce n'est pas la restitution de leçons bien apprises mais le résultat du va et vient constant entre réflexion universaliste et introspective, combiné avec l'expérience vécue. Je ne parle pas de l'expérience que confère simplement l'âge. Ce n'est pas un savoir que je propose, mais une philosophie personnelle. Sans surprise celle-ci rejoint l'essentiel de la philosophie universelle : il n'a pas trente six mille façons d'atteindre la sérénité.
Si j'évoque ça aujourd'hui c'est parce que je suis souvent surpris du contraste qui peut exister entre mes écrits, laborieux et répétitifs, et ma façon d'être dans le face à face... quand je me sens écouté. Il arrive alors que je m'entende, par l'attitude de l'autre, émettre des pensées fluides, calmes, pacifiées. Elles s'échappent de moi en me prenant au dépourvu. En même temps ça renforce ma conviction d'être sur la bonne voie, ça me dope. Ma sérénité vient généralement en retour de celle qui émane des personnes avec qui j'échange et je me sens d'autant mieux que je partage avec des personnes ayant l'esprit ouvert et cheminé en eux-même (l'un ne vas pas sans l'autre).
Bizarrement je ne parviens pas à écrire avec la même simplicité que je parle. Ce qui semble couler de source dans le dialogue léger de ce qui touche aux profondeurs ne trouve pas sa place ici. Probablement parce que vous êtes trop nombreux à me lire, trop diversifiés...
Mais en même temps je sais que l'état de détachement, de non-attente, d'acceptation que j'ai atteint est directement issu de ce que j'ai déposé en public depuis des années. Il découle aussi des apports de vos innombrables points de vue, témoignages, expériences, encouragements. Vous m'avez sacrément aidé...
Sans cette écriture aux confins de ce que je peux exprimer sans mise en danger je n'aurais pas fait un tel chemin.