Chiffonnier d'idées
« Je te lis mais franchement à la fin c'est lassant cette introspection toujours sur le même sujet à savoir l'exprimable ou le non exprimable sur un blog. »
En lisant ce bref commentaire j'ai respiré un grand coup... pour ne pas proposer aimablement à cette lectrice d'aller voir ailleurs dans le vaste blogomonde s'il n'y avait pas mieux à lire.
Aaah, l'exigence du lecteur ! Comme s'il était attendu de moi des sujets diversifiés, plaisants, et pourquoi pas drôles tant qu'on y est ? Ben tiens, je suis payé pour ça !
Hé oh, c'est encore moi qui choisis de quoi je parle ! Je comprends qu'en tant que lectrice, la question de l'exprimable ne se pose pas, mais pour moi elle est cruciale.
Bon, mais cette remarque, ainsi que d'autres de ces derniers jours, ont eu le mérite de me faire réfléchir [encoooooore ?] sur l'intérêt de ces interactions entre l'écrivant (moi, en l'occurence) et les lecteurs. C'est parti d'un constat : d'après les commentaires je me voyais renvoyer une image contradictoire. On me trouve trop froid et détaché et, en même temps, trop sensible. Pas assez d'émotions d'un côté et trop de l'autre. Bigre ! Comment diantre cela est-il possible ?
À l'évidence, pour ceux à qui ça aurait échappé, ma froideur toute chirurgicale, mes décortications austères et sans affects, mon observation glaciale de la mécanique humaine, sont des moyens de vivre avec ma sensibilité émotionnelle exacerbée. Ma distance apparente est protectrice. C'est, pour le moment, le moyen que j'ai trouvé pour bien vivre : j'intellectualise les émotions. Je dois, pour donner un sens à mes émotions, les faire transiter par la raison. La pensée rationnelle. Du genre : « je ressens cela parce que... ». Il faut que mes émotions soient justifiées pour avoir le droit d'exister.
Compliqué, hein ?
Mais allons, va t-on me rétorquer, les émotions c'est spontané, c'est naturel, il n'y a qu'à s'y laisser aller ! Ben oui... mais non. Pas si, comme je l'ai fait, j'ai intégré que mes émotions n'étaient pas les bonnes. Pas si je me suis construit sous le fameux principe cartésien : « ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément ». Ce qui a impliqué, dans ma p'tite tête, que ce qui s'exprimait difficilement était infondé. Or exprimer des émotions n'est pas la chose la plus simple... quand il s'agit d'être rationnel.
Le travail que je fais par écrit consiste donc, depuis des années, à donner parole à mes ressentis. Il s'agit d'une reconstruction narcissique en même temps que d'une prise de conscience de ce qui m'abime anime [je laisse le lapsus]. C'est donc trèèèèès égocentré. Répétitif et tourne en rond. Donc... potentiellement lassant. Mais je ne suis pas là pour plaire ! [enfin si, ça compte quand même aussi...]
Ce que je donne de moi, ici, c'est de la matière à penser. Oh, ne nous emballons pas : toute cette matière n'est ni précieuse ni essentielle. Il y a un peu de tout, en vrac. Beaucoup de rabachage remâché, parfois un peu d'idées nouvelles et, peut-être, de temps en temps une idée intéressante. Chacun fait son tri. Vous comme moi. C'est le but de ce partage d'idées. Et chacun peut faire part de son avis, montrant ses trouvailles ou critiquant la piètre qualité des idées, ou estimer qu'elles sont erronnées.
Je vide mon tas et ceux qui veulent viennent picorer ou se nourrir, comme des mendiants sur un tas d'immondices. Je pourrais aussi comparer ça avec une nourriture que je vous sers, mais j'aime assez l'idée d'un recyclage d'objets hétéroclites venus d'on ne sait où.
Et là... là... il y a transformation. Certains d'entre vous se saisissent d'une idée, la colorent de leur subjectivité, l'assemblent avec leurs propres idées et présentent leur trouvaille aux convives. IL peut en sortir des trésors. D'autres observent sans rien dire et repartent avec leur petit butin, ou frustrés de n'avoir rien trouvé de valable. D'autres encore rouspètent parce que c'est toujours le même genre de choses qui leur est présenté.
Je me verrais bien en chiffonnier d'idées.
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