Entendu sur France Inter un entretien avec Raphael Enthoven, professeur de philosophie. Verbe clair et excellente élocution, c'est par les idées qu'il présentait que l'homme m'a séduit. Agréable résonance avec ce que je trouve de l'existence à force de l'expérimenter pour à en comprendre le sens...

Quelques extraits, transcrits à partir de l'enregistrement :

« Quand on croit faire ce qu'on veut c'est qu'on ignore ce qui nous fait agir »

« La joie c'est l'aptitude à aimer la vie malgré elle. Celui qui pleure parce que la vie n'a rien de réjouissant, celui-là est malheureux deux fois. D'abord parce qu'il souffre et ensuite parce que sa douleur se redouble de la plainte qui s'élève contre elle. L'homme joyeux, celui qui est littéralement fou de joie - parce qu'il faut être fou pour être joyeux vu le monde tel qu'il est et tel qu'il devient - oppose à la douleur que lui inflige le monde la possibilité d'un sourire quand même. Il y a de ce point de vue une façon de répondre au monde autrement que par la complainte. C'est en cela que la joie a partie liée avec la foi. (...)

La joie est de l'ordre du présent, elle n'est ni dans le regret ni dans l'espoir, puisque que l'un comme l'autre, espérant ou regrettant, échappent au présent au profit d'un passé révolu ou d'un avenir incertain. La joie est dans la saveur, parfois âpre, du présent.

Il nous appartient de ne pas subir. Ce qu'on subit c'est ce qu'on choisit de subir.

Abolir une contrainte ce n'est pas la supprimer, ni l'éradiquer, mais l'accepter. Le temps est une contrainte qu'il faut accepter parce qu'en en y adhérant on en souffre moins. » 

 

 

« Sois l'ami du présent qui passe. Le futur et le passé te seront donné par surcroît » (Clément Rosset, dans "Le Réel et son double")

Nous vivons dans le présent mais nous passons notre vie à essayer de lui échapper. Nous espérons d'être heureux, de sorte que nous ne le sommes jamais. Nous regrettons le bonheur perdu, de sorte que nous ne le sommes pas encore.

Aime la vie jusqu'à ce qu'elle a de non aimable, ce qu'elle a même de détestable. Aime l'existence malgré elle et tu en dissoudras les douleurs. »

 

« La simplicité c'est pouvoir dire simplement des choses compliquées. Ce n'est pas simplifier les choses, qui est le contraire de la simplicité, mais dire simplement les choses en préservant leur complexité, en la rendant audible, accessible, intelligible.

La simplicité c'est le fait d'agir. Il ne s'agit pas de dénouer les ramifications infinies de quelque chose mais tout simplement de trancher le noeud gordien. La simplicité est une façon d'enjamber la difficulté. Celui qui complique le monde le met à la porté de son intelligence. Celui qui vit dans la simplicité met le monde à la porté de son instinct, ou de son intuition. Mais c'est difficile de faire simple.

"Quand tout s'explique on ne comprend plus rien" : on explique les choses au moyen de la raison, on les comprend au moyen de l'intuition. (...) Ce qu'on explique on peut le dire, le restituer, dans des mots compréhensibles par tous. Ce qu'on comprend est indicible et c'est souvent en silence qu'on comprend quelqu'un. »

« Le silence n'est pas l'absence de bruit mais l'absence de parole. Il désigne l'expérience que nous faisons d'un monde qui n'est pas là pour nous faire plaisir. Le monde ne parle pas, le monde n'a pas de sens. Il ne nous parle pas et ce deuil que l'homme doit faire d'un monde bavard, ce deuil qu'il faut faire du sens du monde, l'appel de l'homme et le silence éperdu du monde, ce dialogue de sourds entre l'homme qui parle et le monde qui ne répond pas, toutes nos tentatives de sculpter le monde à notre image, de prendre nos désirs pour des réalités, le silence les déjoue. Le monde se fiche que nous nous y trouvions ou non.

Le silence est le père de Dieu. Nous n'aurions pas besoin de dieu si dieu existait. Nous n'aurions pas besoin de l'inventer si dieu était là. Si dieu existait nous n'aurions pas besoin d'y croire. La meilleure preuve du silence, c'est à dire du désarroi de l'homme qui n'entend rien, sinon le silence, c'est le besoin qu'il a de faire parler la nature, de faire parler le monde. C'est à dire de lui trouver un sens. »

 

« La philosophie ne sert à rien... mais c'est là qu'elle est utile. Parce qu'elle nous apprend à nous méfier de ce qui est utile, à ne pas nous cantonner l'existence a ce qui serait utile dans la vie. Mettre l'utilité à distance de nous. La philosophie à pour effet d'inviter les gens à penser contre eux-mêmes, être attentifs aux discours qui ne sont pas les leurs. Non pas à penser par soi-même, mais à penser par autrui. »

« Respecter l'autre. Faire à l'autre l'honneur de considérer qu'il n'est pas moins ni plus complexe ni riche que soi-même. Ne pas tenir l'autre pour son égal ou son semblable mais s'attacher à ce qui le distingue de soi.

Il y a deux façons de s'intéresser à l'autre. Soit de repérer ce qui est identique en lui et en moi, soit repérer ce qui est différent. Cette seconde façon est très problématique, mais est une façon de s'attacher à l'altérité de l'autre. »

  • Le site où l'émission peut être écoutée

 

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Ce soir, du sommet de la colline