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Alter et ego (Carnet)
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25 octobre 2009

Une confiance déchirée

Les prises de conscience se font parfois par surprise. Ainsi en est-il de mes digressions autour de l'amour, qui me font flirter avec l'amitié tant désirée.

L'amitié et moi, c'est une longue histoire d'amour inaccompli, née d'une déchirure.

J'avais un ami. Un semblable différent, tellement proche que je le prenais pour un double. Un autre moi, un presque jumeau. C'était mon frère et j'avais six ans. Je crois que je l'ai considéré comme mon ami à cet âge là, alors que je le cotoyais depuis déjà cinq ans.

Nous avons grandi. Moi un peu plus vite que lui en maturité, lui un peu plus vite que moi en hauteur. Un jour, alors que j'entrais dans les prémices de l'adolescences, je lui ai confié un secret : mon intérêt nouveau pour les femmes. Pour les filles, plus exactement. Je me souviens lui avoir dit « je me sens devenir adolescent ». Le lieu exact de ces confidences est resté gravé dans ma mémoire, quelque part sur la route qui nous menait, à pied, vers l'arrêt du car.

Le soir même il rapportait, victorieux, son trophée dans la famille : mes confidences d'une virilité à peine naissante. Il étala vulgairement, devant tout le monde, mes précieux mots intimes. Mortifié je lui criai de cesser mais il continua, goguenard. J'avais terriblement honte. Il récidiva quelques jours plus tard, sachant très bien quelle avait été ma réaction, et cette fois je m'enfuis dans ma chambre. Vaincu, trahi. Oserais-je dire "castré" ?

J'ai perdu mon ami, mon frère, à cette occasion. Il avait trahi la confiance que je lui avais accordé sans assez de prudence. Sans doute n'a t-il pas mesuré la portée de son acte, ou bien au contraire avait-il eu besoin, pour quelque raison qui lui est propre, d'en passer par là. Dominer son frêre aîné, prendre une revanche ou je ne sais quoi. Il eut des comportements humiliants à mon égard, en public, à plusieurs reprises dans les années qui suivirent.

Près de quarante ans plus tard nous restons des étrangers l'un à l'autre, distants, alors que nos enfants et parents nous trouvent si semblables dans nos interrogations profondes. Peut-être mon frère pourrait-il être un ami... mais je n'ai plus confiance.

Ce frère perdu je le pleure, en silence, depuis que j'ai pris conscience du manque. C'est comme s'il était mort. Avec les ans est passée la haine que j'ai pu avoir à son égard de m'avoir non seulement "trahi", mais d'avoir simultanément brisé ce que je vivais comme une amitié. J'ai tenté, il y a une quinzaine d'années, de rétablir un contact qui passait par la reconnaissance mutuelle de quelques blessures d'enfance. Il ne se souvenait pas de ce dont je lui parlais; pour lui c'était de l'histoire ancienne... mais lui aussi avait des griefs à mon encontre, et des blessures tenaces. Quand j'ai tenté de lui demander pardon... il m'a rit au nez. Nous en sommes restés là.

Je sais qu'il demeure un lien, probablement fort, mais il ne se manifeste pas ouvertement. Le passé pèse lourd, bien au delà de nos vieux différends, et chacun semble avoir sa façon de le dépasser : en parler ou ne pas revenir dessus. Nos stratégies d'existence ont été radicalement différentes.

Cette blessure initiale aurait pu être réparée par d'autres amitiés solides, ultérieurement, mais ayant probablement tracé une ligne de faiblesse, celle-ci s'est rouverte avec une déconcertante facilité à plusieurs reprises. Mes amitiés profondes ont été d'autant plus rares que se cumulaient les pertes. De déconvenues en déceptions cela m'a mené vers un détachement affectif protecteur et, actuellement, à une extrême prudence dans l'établissement des liens de confiance.

 

IMGP5131

Terres de sable aux environs de Tadoussac, Québec

 

Commentaires
P
Tiens, Yogi, c'est curieux comme on en a fait une lecture différente ! Pour ma part si je suis bien d'accord avec ta dernière phrase, je n'avais pas perçu de contradiction avec le texte. Mais la lecture que tu y apportes m'intéresse et me fait apparaître certains excès.<br /> <br /> Là où je me démarquerais principalement de la position de Ben Jelloun, qui insiste beaucoup sur l'idée de "trahison", c'est que je crois indispensable de se demander, dans pareil cas : qu'ai-je fait pour que l'autre agisse ainsi ? <br /> <br /> Je considère aussi que ce qui a existé n'est pas à regretter : c'était là à un moment donné et ça n'a plus existé ensuite. Ça n'enlève rien. Ne pas rejeter le passé parce qu'il n'a pas pu continuer intact.<br /> <br /> Il est vrai que le texte décrit une position de "victime", alors que j'en avais surtout lu l'aspect "blessure infinie".<br /> <br /> Probable que l'auteur n'a pas su transcender une blessure personnelle. A la relecture je trove qu'il manque à son texte une dimension, que tu mets fort justement en avant : le respect de l'ami...
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Y
@Martine : Pour ma part, je trouve ce texte, pardon pour le mot mais il me vient du fond du coeur, répugnant. C'est pour moi un long cri de pur égocentrisme. Un mépris total d'autrui. Une instrumentalisation aveugle de l'autre.<br /> <br /> Cette idée d'imposer à autrui son comportement de toute une vie me hérisse. De quel droit peut-on prétendre imposer, exiger ainsi à vie des sentiments, un ressenti et le comportement d'autrui ? Pourquoi vouloir à toute force "posséder" l'autre au travers de son amitié ? De quel droit cette amitié vous est-elle due ?<br /> <br /> "on s'en veut d'avoir donné le bien le plus précieux à quelqu'un qui ne le méritait pas" : je trouve cette phrase effrayante. Je la lis comme "j'avais choisi de faire mon nid dans l'âme de quelqu'un, qu'il me nourrisse et m'abrite toute ma vie", et c'est l'image d'Alien qui me vient à l'esprit.<br /> <br /> "le principe de la parole donnée qui n'a pas été respecté", je le lis comme "je t'avais enfermé dans mes filets, je t'avais imposé ma volonté, tu devais te plier à mes attentes, et tu t'échappes !" Car enfin qui a donné quelle parole ? Y a-t-il eu "parole donnée" ou est-ce moi qui nomme ainsi le grappin que j'ai jeté sur autrui ?<br /> <br /> Si on respecte ses amis, on respecte leur liberté, on respecte leurs choix, on respecte leurs actes.
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P
Texte extrêmement évocateur pour moi, Martine, et qui ravive dans tout mon être le souvenir affleurant que cette phrase résume : « Un ami, un vrai ne se remplace pas.<br /> On vit avec la blessure infinie, on s'entête à vouloir oublier, mais on sait que c'est un exercice vain. »<br /> <br /> Avec cette terrible question, en miroir : et moi... ai-je un jour trahi quelqu'un en amitié ?
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M
L' amitié, <br /> "Des blessures inconsolables",Tahar Ben Jelloun <br /> ---------------------------------------------------<br /> L'amitié est rare, très rare, d'où son aspect précieux et marquant.<br /> <br /> On arrive à la fin de la vie et on essaie de compter ceux qu'on considère comme de vrais amis, ceux dont la fidélité a été sans failles, ceux qui vous ont aimé tel que vous êtes, sans vous juger ni essayer de vous changer.<br /> C'est dans les épreuves, les moments difficiles et parfois décisifs, que l'amitié se révèle et se consolide ou s'absente et tombe dans le commun de l'oubli.<br /> L'amitié est ce qui permet de désarmer la cruauté et d'affronter le mal.<br /> Elle peut avoir existé, avoir été sincère et forte, et puis se briser d'un seul coup, s'anéantir parce qu'elle aura manqué à l'un de ses principes fondamentaux, la fidélité, c'est-à-dire la constance dans la confiance, cette présence qui ne doit jamais faire défaut.<br /> La trahison, c'est le fait de « manquer à la foi donnée à quelqu'un », c'est une forme d'abandon doublé parfois d'une volonté de nuisance ou d'une participation active ou passive à une opération de malfaisance.<br /> On agit contre quelqu'un à qui l'on devait fidélité. Souvent on agit par intérêt, par jalousie ou par vengeance et mesquinerie.<br /> Toutes ces notions non seulement sont étrangères à l'amitié, mais sont sa négation absolue. L'évêque anglican Jeremy Taylor (1613-1667) utilise l'expression « adultère d'amitié » pour parler de trahison :<br /> « La trahison et la violation d'un secret constituent les adultères d'amitié et dissolvent l'union entre les amis. »<br /> Dans ce sens, l'amitié est considérée comme un « mariage entre les âmes ». Quand on convoque le malheur et la convoitise, on révèle sa propre défaite, son incapacité d'avoir de l'amitié.<br /> <br /> Or l'amitié est un état de grâce apaisé et apaisant.<br /> Il faut du temps pour atteindre cet état où le plaisir vient de la gratuité et de l'absence de quelque intérêt que ce soit. C'est en ce sens que la force d'une amitié peut s'effondrer parce qu'un élément impur s'est introduit dans la relation.<br /> Dans la relation amoureuse et sexuelle, la trahison, l'usure, le conflit et la guerre sont de l'ordre du possible.<br /> Ils font partie du jeu, sont admis même si l'on n'en parle pas.<br /> Quand un amour est trahi et brisé, on a du chagrin et on sombre dans une mélancolie profonde.<br /> On souffre du fait qu'on est face à une impossibilité, celle d'inverser le cours des choses.<br /> On a le sentiment qu'on ne se relèvera pas de cet échec.<br /> Pourtant, le temps fait son travail. Parce que l'amitié est à l'écart de toute satiété et de tout calcul, ces dérapages ne devraient pas arriver et en outre ils ne sont pas prévus.<br /> Le fondement même de l'amitié est l'absence de conflit pervers et d'intérêt dissimulé. Quand une amitié est trahie, la blessure est insupportable justement parce qu'elle ne fait pas partie de la conception et la nature de la relation, laquelle est une vertu, pas un arrangement social ou psychologique.<br /> Elle est vécue comme une injustice.<br /> Elle est incurable.<br /> On ne comprend pas et on s'en veut d'avoir donné le bien le plus précieux à quelqu'un qui ne le méritait pas ou qui n'a pas compris le sens ni la gravité de ce don.<br /> On s'est trompé et on a trompé.<br /> La rupture s'impose t elle ?? parce que l'amitié ne souffre pas de concessions avec le faux, la tiédeur et la perversité.<br /> <br /> En amour, on peut solliciter et insister, la consolation existe.<br /> Tôt ou tard, l'oubli s'installe et l'émotion retrouve sa jeunesse et ses forces.<br /> En amitié, la consolation est illusoire, le deuil un précipice.<br /> Un ami, un vrai ne se remplace pas.<br /> On vit avec la blessure infinie, on s'entête à vouloir oublier, mais on sait que c'est un exercice vain.<br /> Pourquoi ce genre de blessure persiste-t-il dans la mémoire ?<br /> C'est le principe de la parole donnée qui n'a pas été respecté.<br /> La confiance abusée, cambriolée par la personne à qui on a laissé les clés, c'est l'effarement de découvrir qu'on a longtemps fait fausse route, qu'on a cru les mots dont on n'avait que l'enveloppe, ouvert sa maison intérieure, lieu intime du secret, et voilà que tout cela vole en éclats.<br /> La trahison est une forme silencieuse de meurtre.<br /> On tue le don et la grâce, puis on se masque.<br /> On prend place dans le cœur et l'amour de l'autre, on connaît ses repères et ses faiblesses, puis on en profite pour démolir la maison et fouler aux pieds la confiance.<br /> <br /> Comment ne plus souffrir de ces blessures ?<br /> Comment choisir ses amis ?<br /> Quelle illusion !<br /> Comment savoir, comment prévoir les métamorphoses de l'âme, ses errances, ses revirements ou sa fidélité et son intégrité ?<br /> Il n'y a pas de recette.
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J
En prenant "le temps" de défaire encore des noeuds... n'oublis pas cependant que "le temps passe" :-)) Je te dis ça...mais... bon je m'en vais moi-même très bientôt me réconcillier avec un frère avec lequel je n'ai pas parlé depuis 6 ans.... Je t'embrasse. :-)
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P
Merci aux dernières commentatrices :o)<br /> <br /> Je ne réponds pas en détail à ce que tous les commentaires et avis me proposent, mais je les lis et relis avec attention. Beaucoup de pistes se dégagent mais je ne me sens pas en capacité, pour le moment, de les explorer. Je retiens notamment l'idée de "loyauté", qui est un terme que je n'emploie jamais, il me semble. Et pourtant, il éclaire bien des comportements, fidélités et autres formes de persévérance...<br /> <br /> Il est probable que le dénouement de situations complexes se fasse selon un certain ordre, certains noeuds avant les autres. J'en ai certainement encore à défaire avant d'entreprendre quelque chose vers ce frère.
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J
Bonsoir Pierre :-)<br /> Très émouvant ce billet Pierre, moi qui passait te faire un coucou amical je reste un peu sans mot... ;-) Pourtant j'ai envie de dire qu'il n'est jamais trop tard pour se "retrouver" sur la base du lien avant "l'évènement" par le biais du souvenir, de la sensation de ce sentiment fraternel enfoui... Ce que je veux dire c'est qu'il n'est peut-être pas nécessaire et peut-être tout simplement vain d'aborder les choses par les ressentis, la cause de la rupture, puisqu'ils semblent être opposés et que le chemin de vos vies respectives semblent le confirmer aussi...pour autant tenter dans une volonté commune de vous rejoindre par le biais de vos souvenirs d'enfants, de vos émotions avant la cassure peut être plus facile... Je rejoins en cela et entre autre totalement le commentaire de ALAINX (que je salue au passage ;-)<br /> <br /> à bientôt Pierre :-)
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S
Touchée...Coulée (sourire)... <br /> Mais j'ai trouvé une île... la tienne Pierre
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P
Merci à chacun(e)de vous pour les ressentis dont vous témoignez, les éclairages que vous apportez par votre recul ou à la lumière de votre propre histoire. Je retrouve beaucoup de que j'ai identifié et qu'en quelque sorte vous validez par la convergende ces points de vue.<br /> <br /> Il y a effectivement dans ce récit le germe de ce qui a fait, après un certain nombre de répétitions, ce que je suis aujourd'hui.<br /> <br /> Oui, tout cela a une origine plus ancienne qui tient du rôle de parents... eux même marqués par leurs blessures et traumatismes d'enfance.<br /> <br /> Oui, la psychogénéalogie peut être éclairante... et le ***hasard*** a voulu que suive un stage dédié à cette approche il y a quelques semaines seulement. Expérience troublante par ce qu'elle à révèlé d'émotions insoupçonnées.<br /> <br /> Il se pourrait que ce que j'ai exposé là, effectivement sans beaucoup de pudeur, résulte du "travail" inconscient qui opère depuis...<br /> <br /> Et euh... pour le moment j'en resterai là.
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C
Je suis revenue lire ce billet ce soir<br /> Moi aussi je suis fort touchée<br /> Pour ce que ça révèle de souffrance chez toi<br /> Pour ce que cela évoque dans mon histoire personnelle aussi<br /> Merci de nous avoir confié cela...
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