Résolutions relationnelles
« On ne se voit plus beaucoup. J'ai peur qu'on se perde », m'a t-elle dit. Ah ben alors, en voila une idée ! Mais on ne se perd pas comme ça ! J'ai tenté de la rassurer en lui disant que de ne pas trouver, en ce moment, le temps de se voir ne changeait rien à ce qui existe. Mais je parlais pour moi, alors qu'elle a peut-être peur... d'elle.
Peut-on se perdre à cause du temps qui espace les rencontres ? Oui, peut-être... Mais si on se perd... n'est-ce pas le signe qu'on ne ressent plus une envie relationnelle commune ? C'est la loi de l'évolution naturelle...
Position fataliste, hein ? Oui, ça m'arrive. De plus en plus. C'est bizarre d'ailleurs...
Pourtant je comprends bien ce qu'elle exprime. Je comprends son inquiétude pour en avoir beaucoup souffert, en d'autres temps. Jusqu'à la torture mentale, lorsque je me voyais seul face à ces interrogations cruelles, ne retrouvant la paix que par la réassurance d'une présence attentive. Terrible dépendance des signes d'attention (d'amour ?) de l'autre. Inquiétude envers un avenir redouté, nourrie par des traumatismes passés contaminant le présent...
Pouah ! quelle horreur ! Plus jamais ça !
Mais justement : je ne n'investis plus mes relations sentimentales ainsi. Je n'ai plus peur de les perdre. Attitude temporaire ou mutation profonde ? Je l'ignore. Pour le moment [depuis cinq ans] c'est comme ça. Indifférence ? Sûrement pas ! C'est même tout le contraire...
Si je sais bien comment j'en suis arrivé à cette stratégie autoprotectrice, en revanche je n'y suis pas encore vraiment habitué. Je m'interroge encore sur les orientations prises. Par rapport à ma durée de vie, longtemps inscrite dans une alliance de couple engagé "pour la vie", elles sont encore relativement récentes. Mes repères ont changé, certaines de mes valeurs ont été modifiées et d'autres se sont volatilisées. J'ai besoin de stabiliser tout ça. D'où mes réflexions récurrentes et intarissables autour de ces sujets ô combien passionnants.
Alors régulièrement j'écris des bilans de mes prises de conscience et résolutions, les infligeant proposant à mes lecteurs. Je n'invente évidemment rien, ne faisant que mettre mes propres mots sur ce que tant d'autres ont déjà décrit, mais je crois que l'écrire m'aide à préciser ce que je découvre, me permet de me définir et renforce la prise de conscience...
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Lorsque je dévoile en confidences mon passé récent, décris un peu où j'en suis de ma vie, présente ma façon de vivre les relations, j'observe qu'une inflexion marquée tient lieu de frontière entre avant et après. Je m'en suis rendu compte en présentant mon arbre psychogénéalogique (génogramme), surpris par mon geste explicite traçant un trait radical lorsque j'évoquais ma vie relationnelle actuelle. À partir d'un évènement précis je n'ai plus regardé la vie de la même façon. Il y a eu un choc et un réveil traumatique. C'est comme si j'avais ouvert les yeux sous l'effet d'une intense douleur. Déchirure et nouvelle naissance sous un éclairage cru. « Bienvenue dans le monde réel ! ». Depuis cette époque je constate que, dans mes relations aux autres, je ne me suis plus lié comme auparavant. Il y a une nette différence dans mon rapport avec les personnes connues avant, sous un mode de fonctionnement qui reste globalement opérationnel encore aujourd'hui, et les liens établis après sur de toutes autres bases. Ce qui fait qu'actuellement les deux modes relationnels coexistent. Je ne parviens qu'imparfaitement, et très lentement, à modifier mon implication dans les relations d'avant qui le nécessitent...
Par contre pour tout ce qui est récent j'ai fait en sorte d'éviter de me trouver propulsé dans des situations dont je connais les conséquences néfastes sur mon bien-être.
« On ne construit pas son bonheur, on détruit ce qui y fait obstacle »
(Christian Buron)
Désormais je m'efforce de ne rien attendre dans mon rapport affectif et sentimental à autrui : moins j'aurai d'attentes et moins je me verrai dépendre de les voir satisfaites. J'évite ainsi bien des déceptions et frustrations, coûteuses en énergie. J'ai *seulement* besoin de me sentir libre pour me sentir en confiance, bien dans la relation. Libre d'être moi-même, c'est à dire accepté pour ce que je suis. Ce qui m'oblige aussi à accepter l'autre tel qu'il/elle est... Globalement j'ai appris à prendre les relations telles qu'elles se présentent et accepte assez aisément de les voir évoluer selon des aléas que je ne maîtrise pas. Bien que pas toujours simple à vivre puisque je reste sensible à l'affectif, la plupart du temps c'est beaucoup moins coûteux en énergie interne...
Je suis dans une logique d'économie d'énergie !
La contrepartie c'est que je ne "tiens" rien dans ces nouvelles relations et que je m'y implique peu. Souples et libres, elles pourraient s'étioler et disparaître si ce que j'apporte (ce que je suis) n'est plus considéré comme suffisant. J'aime assez cette incertitude : elle renvoie chacun à sa part de responsabilité dans le maintien du lien !
Je crois que l'acceptation de cette impermanence dans les relations fait partie de ce qu'on appelle le "lâcher prise" : rien ne dure à l'identique. Rien ne peut-être figé durablement. Rien n'est jamais acquis. Sauf la mort ! La mort réelle, physique, la seule qui soit irréversible.
À ce propos, apprendre à distinguer le réel, les faits, de l'interprétation subjective qui en est souvent donnée sous le vocable trompeur de réalité, insidieusement transformée par l'imaginaire, aura été une indispensable base de reconstruction.
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Mon premier travail de rénovation post-traumatique a consisté à cultiver le présent, seul temps réellement vivant et vécu. J'ai compris que me projeter vers le futur suscitait en moi des craintes, pour ne pas dire de profondes angoisses par rapport à l'idée de perte, justement. Angoisses largement inconscientes, bien sûr.
Ne pouvant pas faire abstraction totale du futur puisque c'est une perspective qui me permet d'avancer et de me fixer des objectifs, je pouvais néanmoins m'en abstraire dans la dimension émotionnelle qui m'angoissait: l'affectif.
Pour cela il me fallait impitoyablement éradiquer l'espérance, cette herbe folle qui repousse avec obstination en faisant rêver aux lendemains heureux.
Ça parait beau l'espérance, mais c'est aussi vain que la prière : s'en contenter ne mène à rien, s'en servir comme levier peut mener à de graves désillusions. L'espérance est un piège, un néant [ouais, je sais, j'exagère]. Je m'interdis donc [euh... sans vraiment y parvenir] d'espérer : je vis ce qui est là, immédiatement accessible. Tout au plus puis-je souhaiter, désirer, vouloir. À partir de là ce dont j'ai envie, ce vers quoi je veux aller, c'est à moi de le conquérir. Avec comme moteur quelque chose de plus fort que la passive espérance : une sorte de foi. Non pas une foi rattachée à une religion, mais une foi en ce qui à mes yeux est essentiel et que j'appellerais le mieux-être de l'humanité en marche. Quelque chose qui consiste à croire délibérément qu'il y a un sens à donner à l'existence. Un sens qui, d'une somme de mieux-être individuels va vers le mieux-être collectif. Je n'espère pas qu'il y aurait un sens : je choisis d'aller dans ce sens. J'oriente mes actes dans cette direction... qui est loin d'être clairement balisée. Et puis ça aussi ça demande de l'énergie, ce qui me pousse à choisir dans quoi je l'investis.
Prendre conscience que l'action était la seule façon d'obtenir ce que je voulais m'a permis, à l'inverse, de prendre conscience de mes limites : je ne peux pas agir sur les désirs de l'autre. Je ne peux qu'accepter cette limite de mon pouvoir. Pour cette raison je ne peux pas "aider" l'autre qui ne le demande pas. Prendre de la distance, pour ne pas "coller" à l'autre dans ses fluctuations, pour ne pas me laisser entraîner dans ses attentes ni ses épisodes sombres, m'est sans aucun doute le plus difficile apprentissage. Mais il est indispensable ! Trop souvent le mal-être de l'autre, auquel je suis sensible, m'atteint et me fait sombrer dans mon propre mal-être de sauveur impuissant. D'une certaine façon mes désirs de partage et de rencontre dépendent du désir réciproque de l'autre. C'est une forme de dépendance... dont je n'ai plus voulu être esclave. J'ai donc ressenti la nécessité de favoriser le détachement. Au sens de « se sentir libre dans le lien ».
Incidemment ce détachement préserve aussi l'autre de mes errements : n'attendant rien du lien je ne considère pas non plus que quoi que ce soit me soit dû. Chacun reste responsable de son bien-être. je suis responsable de ce que je ressens. Je suis responsable des orientations que je donne à ma vie. Et l'autre est responsable de ses choix, de ses ressentis. Utile pour ne pas rester dans une position de victime...
Ma responsabilité et ma liberté sont indissolublement liées.
Tout cela fonctionne plutôt bien maintenant, hormis en ce qui concerne quelques relations d'avant vis à vis desquelles je dois encore travailler sur mon implication. Au stade où j'en suis de mon cheminement je me rends compte que je dois aller farfouiller du côté de cet avant pour voir comment m'en détacher davantage.
Un mot m'a servi de déclic en lisant un commentaire ici : nostalgie. J'ai compris que j'avais besoin de quitter ces terres infertiles. Si le passé m'a nourri, s'il fructifie toujours en moi, il est cependant révolu et je ne retrouverai pas ce que j'y ai vécu. Pas davantage dans les bonheurs que dans les malheurs. Parce que revenir en arrière est impossible, je ne repasserai jamais par le même endroit. Alors plutôt que de regretter un passé qui s'éloigne inexorablement et ne reviendra pas je peux n'en garder que les enseignements : me souvenir de ce qui a été bon et ne l'a pas été. En extrapoler ce que je ne veux plus vivre et oeuvrer pour ce que je voudrais voir se renouveller. Non pas à l'identique, mais en fonction de ce que je suis maintenant, avec ce que je vis au présent. Puiser dans le passé ce qui me permet de mieux vivre au présent.
La nostalgie, culte du passé, est sans autre issue heureuse que le détachement. Être heureux de ce que j'ai vécu et, en même temps, accepter que ce ne soit plus est le seul chemin de libération.
Dans mon travail de défrichage reste à élaguer le puissant arbre de la loyauté et ses ramifications : la fidélité, la confiance, la fiabilité, l'honnêteté, la droiture, la sincérité, la franchise, etc. Tout ce qui favorise la véritable rencontre des êtres ou les sépare dans le sentiment amer de la trahison ou de l'abandon.
J'en suis là, en ce moment, à m'interroger sur ma loyauté [autre terme cité dans un commentaire et qui m'a servi de déclic]. À qui, à quoi suis-je loyal ? Non pas seulement au présent mais en filiation directe d'un passé inconscient. Qu'est-ce qui fait que j'attache autant d'importance à diverses formes de fidélité ? Qu'est-ce qui à fait que je ne veuille pas "abandonner" ? Mes loyautés inconscientes ne me conduisent-elles pas à trahir dans d'autres domaines ?
Le champ des questions qui s'ouvrent et vaste et va probablement me demander un long temps de maturation.
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J'ajouterai finalement une règle de conduite toute simple qu'il me faudra bien m'approprier : quand je me pose des questions sur l'autre, plutôt que de laisser mon imagination supposer des réponses il est préférable de les lui demander.