Le temps de l'écrire
Petit exercice d'expression en temps réel: exceptionnellement mes interventions seront inscrites sur le même billet afin de respecter l'ordre chronologique (cliquer sur les heures ci-dessous pour y accéder directement)
- 7h30
10h07
12h09
18h36
22h57
7h30 - Je me réveille au sortir d'un rêve dont je ne cherche pas à préciser le contenu. J'allume le radio-réveil à côté de moi. J'entends les nouvelles du jour, me demandant s'il m'est utile de m'informer de l'état du monde.
7h35 - Il est question d'Israël et de sa politique de protection de la faune et flore, des fleurs sauvages qu'il est interdit de cueillir, des plantations d'oliviers, des pistachiers gigantesques du Néguev. Leïla Chahid, ancien porte-parole de l'état Palestinien, nuance ce portait idyllique : Israël c'est aussi l'abattage des oliviers millénaires côté Palestinien, pour des raisons sécuritaires ou d'extension des territoires.
Je me lève. Mes pensées entrent en action. Une première rafale d'idées me traverse, en rapport avec un travail d'introspection en cours. Envie de développer l'idée qu'en ayant été porté aux limites de la déraison j'ai besoin de rationaliser.
Deuxième salve d'idées, réitération de ce qui m'est venu au moment de m'endormir hier soir : l'instant est exclusif, la durée est additive plurielle. L'instant est un point sur la ligne du temps, une photographie. On ne peut faire deux choses à la fois dans l'instant, ni penser deux choses contraires. J'inspire OU je respire. Je pense ceci OU cela. Je suis avec telle(s) personne(s) OU telle(s) autre(s). Je suis ici OU là.
La durée est le temps des alternances et des contraires. J'inspire ET j'expire : je respire. Je pense ceci ET cela, qui peut-être son exact opposé. Je suis avec telle personne ET telle autre à un autre moment. J'aime l'une ET l'autre...
L'instant est le temps des certitudes, des affirmations en vrai/faux. La durée est le temps du doute, de la recherche d'une vérité en mouvement.
L'instant et le mouvement sont des alliés contraires.
8h28 - J'écris à cet instant cette phrase, après avoir passé une dizaine de minutes à écrire ce qui précède. Entretemps je m'étais levé, avais vaqué à quelques occupation primo-matinales tout en constatant que le temps était gris et que la pluie lointaine commençait à estomper les sommets. Il allait pleuvoir bientôt. Maintenant il pleut et il vente.
8h30 - Je me suis mis à écrire ce billet chronométré après en avoir eu subitement l'idée alors que je réfléchissais à la dualité instant/temps. Constatant l'incroyable mobilité des pensées, je me disais que l'écriture avait un laps de conscience plus "large". De l'ordre de la dizaine de secondes. Écrire un mot me demande plus de temps que le penser. Ainsi, tout est ralenti dans la pensée écrite. Écrire une phrase me demande plusieurs secondes, développer une idée plusieurs dizaines, voire des minutes. Ainsi la pensée est ralentie. Un peu comme le mouvement du laboureur diffère de celui du promeneur. La lenteur donne une autre idée des choses. Le cycliste ne vit pas le même trajet que l'automobiliste.
8h36 - Je me pose quelques instants (c'est à dire une durée, qui n'est pas "l'instant").
8h37 - Il y a une heure que je suis réveillé. Qu'ai-je fait durant ce temps ? Écouté, ressenti, pensé, vaqué à quelques menues activités fonctionnelles plus ou moins vitales. Le plus insaisissable c'est la pensée : impossible de retranscrire tout ce qui m'est passé par la tête depuis mon lever. En ce moment (ces jours-ci) je suis en recherche et c'est une pensée complexe, extrêmement fragmentée, qui se cherche et essaie de s'assembler. Ça "travaille" dans ma tête. Un peu comme si j'avais devant moi des pièces d'un immense puzzle, épars, et que je devais chercher les morceaux qui créeront une image que j'ignore. Puzzle sans modèle.
8h41 - Je note l'heure mais j'ai enchainé directement avec ce qui précède. C'est seulement une façon de prendre conscience du temps qui passe et de ce qui se déroule entre les intervalles. Si j'écris en continu je peux saisir quasiment l'intégralité de ce que je vis. Je ne peux pas écrire et penser à autre chose en même temps. L'écriture mobilise entièrement la pensée. C'est une façon de jouir de chaque instant... en ralentissant le temps. Mais que vivrais-je si je ralentissais ainsi le temps et en réduisant mon espace à un clavier ?
Mes analogies valent ce qu'elles valent, mais cela me fait penser à tout ce temps que je passe à écrire, dans ma vie. Chaque fois que je me mets devant mon clavier je ralentis le temps mais je me coupe de l'instant et de la vie en mouvement. Il m'arrive de passer des heures à écrire un texte. À faire en sorte que mes idées s'assemblent de façon cohérente et logique, qu'elles soient intelligibles par ceux qui viendront les lire. Des heures à modifier, préciser, peaufiner...
(8h46) Est-ce que je vis pendant ce temps ? Pas vraiment... mais en même temps (puisque le temps n'est pas exclusif), je trouve un sens à ce qui n'en a pas. Écrire, prendre le temps de penser, c'est aussi trouver un sens à ce qui en manque. On ne pense pas ce qui est certain, on le ressent. Écrire ses idées ne serait-il pas un aveu de doute, même quand c'est pour affirmer des certitudes ? On n'écrit pas, on ne pense pas, ce dont on ne doute pas : la respiration, la vie habituelle et routinière, ce qu'on fait machinalement. J'en prends conscience à l'instant en ayant ralenti ma pensée écrite en direct.
8h50 - Je regarde par la fenêtre mouillée de pluie. Je vois un grand ciel uniformément gris, le sommet des arbres. Celui qui est devant la maison, ceux qui sont plus loin et qui, chaque année, en s'élevant, décalent l'heure d'apparition du soleil. Je ne les ai pas plantés assez loin...
8h52 - Je fais une pause. J'ai envie de bouger. J'ai envie de "vivre". Je ne vais quand même pas passer mon temps devant cet écran à raconter le temps ralenti...
8h59 - J'ai relu ce que je venais d'écrire. Rayé et remplacé un seul mot, à peine modifié certaines tournures, corrigé les fautes d'orthographe que j'ai vues. Tandis que je lisais je sentais ma pensée plus libre que lorsque j'écrivais. Des protubérances apparaissent, comme autant d'amorces pour suivre des pistes. Mais je me suis astreint à rester sur ce texte, que je vais mettre en ligne tout de suite. C'est une expérience d'écriture. C'est aussi une façon de retrouver contact avec... "vous", ce lectorat avec qui j'ai eu besoin de prendre des distances ces derniers jours. J'étais en voyage intérieur. J'avais besoin d'être seul. Pour penser. Pour me retrouver.
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[pause de vie]
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10h07 - Je reprends, pour 30 minutes.
Entretemps j'ai pris ma douche. Une loooongue douche bien chaude, pas du tout écologique mais tellement bienfaisante. Et puis sous la douche c'est toujours un moment où j'ai le temps de penser. J'y ai parfois des fulgurances de pensée qui me surprennent.
Juste avant la douche j'ai eu envie de me mettre nu dans une pièce attenante. Besoin de sentir mon corps. Ce corps qui n'a plus partagé de moments de volupté depuis des mois...
Parfois je me dis que c'est dommage. Mon corps est encore bien conservé, très peu marqué par l'âge. Je ne crois pas que ce répit durera très longtemps. Dans quelques années les premiers affaissements de peau que je sens seront nettement visibles. Ma peau se ridera probablement, comme celle de mon visage qui, exposé aux intempéries, "fait bien son âge". Je n'y pense pas trop mais... ouais, ça ne me laisse pas indifférent.
10h15 - Beaucoup de pensées diverses se sont promenées dans mon esprit pendant que le temps passait à des petits rien du quotidien, tels que rentrer quelques bûches pour mettre dans le poële, me faire deux tartines de pain grillé beurré. Ouais.. tout ce qu'habituellement je ne raconte pas dans mon blog, n'y trouvant qu'un intérêt extrêmement mineur.
10h17 - Trou. Je ne pense plus rien. Je suis parvenu au bout de ce qui était "disponible" pour être livré ici. La pensée n'est pas toujours en phase avec le temps accordé à l'écriture. Hier soir j'avais du temps, mais j'étais fatigué de ma journée. Fatigué aussi par un marathon introspectif qui m'a placé devant un trop grand nombre de pistes à explorer. Je me sens à un de ces points où rien ne vient parce que trop de choses sont en mouvement. Je ne parviens pas à saisir une piste et la suivre, parce que tant d'autres la rejoignent et tant d'autres en divergent. Il n'y a pas de chemin privilégié.
10h21 - J'arrête. Le moment n'est pas favorable.
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[pause de vie]
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12h09 - Autrefois j'écrivais très librement, de façon fluide. Les mots venaient et je les déposais sans trop réfléchir. C'était plus simple. Maintenant je mets des heures à rédiger un texte, que parfois je relis une demi-douzaine de fois, si ce n'est davantage. Je cherche le mot juste, la précision dans l'expression. C'est compliqué, c'est lourd, c'est long. Il y a plusieurs raisons à cela. La première c'est un souci d'être au plus près de ce que je voudrais exprimer. Les autres raisons sont nettement plus discutables : elles cherchent au contraire à... influencer. Faire passer une idée, donner une impression, subrepticement instiller un sens que j'ai envie de mettre en avant. En faisant cela c'est non seulement les lecteurs que j'influence, mais moi aussi. Je crée un personnage auquel j'aimerais ressembler, auquel j'aimerais m'identifier, et en lequel j'aimerais être vu. C'est assez pervers...
(12h16) D'ailleurs, je me surprends à l'instant même dans cette réflexion autour du mot juste. "Pervers" est celui qui m'est venu, mais je le trouve trop fort. Il me fait réagir...
J'aimerais retrouver une libre écriture, pas trop travaillée, beaucoup plus instinctive. Je me rends compte que je m'auto-influence et que cela crée un "personnage" dont je ne sais plus bien s'il est réel ou imaginaire.
Ouais... c'est un sujet qui me travaille en ce moment, cette dualité réel-imaginaire. J'ai un texte sur ce sujet qui est "au placard" depuis neuf mois. J'ai plusieurs fois reporté sa publication alors qu'il correspond à une prise se conscience qui a été importante. C'est depuis ce moment-là que j'ai décidé de prendre du recul avec cette "autofiction" en temps réel que constitue, du moins pour moi, l'écriture intimiste en public.
(12h21) Je ne sais pas si vous comprenez ce que je veux dire mais, personnellement, ça me fait un peu peur... ou disons que ça me rend prudent. Il y a un risque d'automanipulation entre diverses instances du moi. Une déconnexion du réel qui passe largement inaperçue. Et pour tout dire... une certaine approche de la "folie". Oui, je sais que les mots sont forts mais ils sont à la hauteur du danger que je ressens.
(12h24) Hier j'entendais à la radio parler de la « dématérialisation de l'argent », qui mène vers les dérives financières que l'on connaît. On ne se représente plus ce que c'est que l'argent quand il ne s'agit que de chiffres sur un écran. Les cartes de crédit ont un peu le même effet sur le consommateur. S'il fallait payer en argent liquide on aurait probablement un autre rapport à la consommation. Et bien notre monde qui se "virtualise" de plus en plus me donne la même impression : on ne sait plus vraiment ce qui est réel. Et internet en est un parfait exemple, notamment en nous déconnectant du rapport au temps réel, aux relations et rapports humains.
(12h28) Pour ma part je réalise, je prends conscience, du décalage qui peut exister entre ce que je pense, ce que je crois être "moi", et ce que je suis vraiment dans le monde réel, tactile et sensoriel. Récemment je disais à ma psy que maintenant "j'existe", alors qu'auparavant je ne me sentais pas exister parce que trop soumis à des craintes par rapport au regard d'autrui. Alors oui, aujourd'hui "j'existe"... mais dans un monde qui n'existe pas ! Qui n'est pas réel.
(12h31) C'est facile, là, devant mon écran et à distance de dire ce que je suis et "d'être" ce que je dis. Mais ce n'est pas réel. Je serais différent si j'étais face à la foule que vous constituez, même pris individuellement. Parce que, pour la plupart, je ne vous connais pas. Tout se passe à travers de nos représentations respectives : les miennes à votre égard, les vôtres à mon égard. Nous nous dupons... tout en étant "authentiques". Et ça c'est une réelle déconnexion du réel...
12h34 - j'ai écrit d'une traite, en indiquant les heures pour que soit mesurable le temps passé. Je n'ai pas relu, pas corrigé, ne me suis pas laissé le temps d'hésiter trop longtemps sur le choix d'un mot. Je me suis efforcé d'être "spontané".
Sauf que je ne fais que restituer des pensées qui cheminent depuis des mois. C'est plus facile que de me laisser aller à une vraie spontanéité. Mais... est-ce le but d'une écriture partagée ?
12h36 - Petite pause, le temps de réfléchir, de rassembler mes idées...
12h37 - Je ne sais pas trop quel est le sens de cette écriture, ce matin. J'ai envie de me sortir d'un carcan. M'extraire d'un "personnage" dans lequel je me sens trop à l'étroit. Je ne suis pas seulement celui que je décris ici et ailleurs, c'est évident.
12h39 - En fait je me trouve parfois "trop gentil" et parfois "trop dur". J'ai des soucis avec ça, en ce moment. Le "gentil" et les "bons sentiments" me mettent hors de moi (cf. mon billet sur Haïti...). Littéralement parce que mon moi est hors de cet habit que j'ai endossé depuis la prime enfance. Alors, par réaction à quelques blessures, je suis devenu "dur", "froid", "insensible", "indifférent". Parfois ça m'est reproché, mais moi-même je me surprends à avoir de telles attitudes.
(12h43) Je vais dans les excès : "trop gentil" autrefois, probablement "trop dur" maintenant. C'est une oscillation, un mouvement de balancier. J'ai besoin de trouver ma place d'équilibre. Là où je saurais être attentif à l'autre comme à moi-même. En ce moment j'ai besoin de fréquenter des personnes "authentiques". Ni trop gentilles, ni trop dures. Les deux étant des façons de se faire aimer (ou rejeter, ce qui n'est que l'inverse). J'ai envie de fréquenter des personnes qui savent à peu près où elles en sont, du moins dans les domaines qui m'intéressent en ce moment.
12h46 - Temps d'hésitation. En fait... pour me sentir bien j'ai surtout besoin d'être seul, le temps de faire un peu le tri dans mes idées. Seul avec moi-même, ça fait déjà du boulot de confrontation interne.
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[pause de vie]
18h36 - Je rentre d'une après-midi passée dans mon vaste espace de nature. J'ai préféré aller dehors, avec un soleil intermittent, que de rester devant mon ordinateur. Et j'ai bien fait.
Je songeais à cette vie sur internet en la comparant à ce que je peux vivre dans le réel : quels souvenirs précis me restent de ces années d'échanges plus ou moins instantanés ? Pas grand chose... Plutôt une impression, une découverte continue, que de réels moments forts. Par contre je me souviens très bien, et avec plaisir, de chaque rencontre "en vrai". Les sentimentales, bien sûr, mais aussi les nombreuses rencontres amicales. Et même celles qui n'ont duré que peu de temps, parce que les circonstances ne permettaient pas davantage.
18h42 - Je songeais aussi à ce que j'avais écrit au sujet de la "folie", qui est davantage un dédoublement de personnalité en fonction du monde réel concret et celui, imaginaire, des idées. Ça me turlupine depuis que j'écris en ligne. Mais tout le monde ne le ressent peut-être pas ainsi... Sans doute l'écart est-il plus important pour les personnes qui, comme moi, ont un handicap dans la socialisation faute d'une confiance en soi suffisante pour s'affirmer en accord avec son être profond.
18h48 - Six minutes pour élaborer le petit paragraphe qui précède, temps de réflexion compris...
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[pause de vie]
22h57 - Je viens de rentrer chez moi. Temps couvert, avec un épais brouillard pour finir. Et puis dans les dernières centaines de mètres, en prenant de l'altitude, les étoiles apparaissent dans un ciel noir d'hiver. J'aime beaucoup ces surprises, laissant augurer d'une superbe journée ensoleillée demain.
Je revenais de la petite ville voisine, où je suis allé voir Océans (sur les conseils avisés d'Incertaine). Film magnifique, époustouflant, surprenant. Une incroyable diversité d'animaux et des paysages superbes, autant sous la surface qu'au dessus. Images impressionnantes, poétiques, délicates, puissantes... avec toujours cette même impression : une lourde menace humaine.
Est-ce une impression fausse ?
23h04 - Je vais cesser là cet exercice d'écriture sur le vif, sans réflexion poussée. Au total j'y aurais consacré pas loin de deux heures dans ma journée. Souvent c'est davantage...
J'ai aimé cette expérience. Elle m'a fait renouer avec une écriture directe, plus "simple" que ce que j'élabore habituellement. Aborder aussi un peu d'autres sujets.
23h11 - Fin
Merci aux commentateurs qui ont accompagné ce marathon improvisé