Présence permanente
La sortie de l'hiver, particulièrement marqué cette année [les dernières plaques de neige n'ont encore pas toutes disparues], est une période durant laquelle j'ai beaucoup à faire
dans mon coin de nature. Couper, dégager, aménager... Le printemps n'est pas loin et je dois me hâter de faire ces travaux saisonniers avant la grande poussée verte. Du coup je m'accorde beaucoup moins de temps pour réfléchir... et c'est tant mieux !
Par un drôle de hasard qui n'en est pas, ce moment coïncide avec le recul pris par rapport à ce "blog", suite logique du constat de ma trop grande implication dans la vie dite "virtuelle". J'y passais davantage de temps que je le souhaitais et cela avait des conséquences sur mon sentiment de liberté : je me sentais devenir aliéné à ce moyen d'interaction sociale. Autrement dit : en état de dépendance. Or j'ai une profonde aversion à l'égard de la dépendance relationnelle...
J'appelle dépendance le besoin de satisfaire un désir pour en être libéré.
Le recul m'a permis de mieux discerner les composantes interactives de ma pratique de l'internet social, et de voir celles qui allaient plutôt du côté de la liberté (de la libération) et celles qui conduisaient plutôt vers une dépendance. Les premières étant plutôt à maintenir, les secondes à éradiquer autant que faire se peut.
Dans mon rapport à l'internet social je distingue trois entités :
- le lecteur
- l'écrivant
- le commentateur
Je constate que cet ordonnancement par ordre d'apparition historique (j'ai d'abord été l'un pour passer à l'étape suivante) correspond aussi à un mouvement vers une extériorisation croissante :
- la lecture est une action intérieure, invisible par quiconque
- l'écriture est une expression de l'intérieur vers l'extérieur, destinée à être lue
- le commentaire initie une extériorisation à visée interactive, visible par un ou plusieurs destinataires
Je note que pour interagir il faut nécessairement passer par la lecture et l'écriture, alors qu'on peut être lecteur sans écrire et inversement. Sans nécessairement interagir...
Le lecteur que je suis s'enrichit des écrits des autres. La lecture
capte mon intérêt, attise ma curiosité, m'apprend quelque chose de
l'Autre. Parfois elle me fait rire, m'irrite, m'émeut. La lecture m'est donc une source
d'émotion et de connaissance. Je ne m'en sens aucunement dépendant,
sachant que je peux venir à ma guise puiser dans un réservoir infini et en perpétuelle croissance. En outre je ne m'expose pas, en tant que lecteur.
Du statut de lecteur, réceptif et passif, j'ai très vite été tenté par l'autre côté : l'expression. Le désir d'extérioriser, sans vraiment penser à l'interaction, a pour moi été premier. Mais je sais que d'autres, initialement lecteurs, sont devenus commentateurs avant d'ouvrir leur propre espace d'écriture. Pour ma part, ce n'est qu'à partir du moment où j'ai commencé à interagir avec ceux que je lisais, et qui me lisaient, que les pistes se sont subdivisées entre libération et aliénation. Je devrais même dire que c'est à mon besoin de libération que je me suis aliéné...
Essayons d'y voir clair :
L'écrivant est celui qui exprime son intériorité, ou au minimum propose son avis. Ce qui m'intéresse ici est l'écriture personnelle, à tonalité intimiste. Il y a toujours un destinataire à ce genre d'écrit, que ce soit soi-même ou un autre... et il n'est pas toujours simple de savoir qui est la cible inconsciemment visée.
- J'écris "pour moi-même" quand je m'exprime librement, offrant mon regard, ma vision du monde, à quiconque trouvera une satisfaction à me lire. Désintéressée, c'est l'écriture la plus "libre", la plus bienfaisante. Elle n'entraîne aucune attente de retour. Elle trouve satisfaction en elle-même de la simple liberté de pouvoir se dire.
- J'écris "pour autrui" quand je le fais avec un objectif : toucher l'autre, de quelque façon que ce soit. Il y a là une attente de "contact", l'autrui en question étant considéré comme un point d'appui. Il y a un désir de sentir quelque chose en réaction. Et plus que le seul désir... parfois un besoin. Or, qui dit besoin dit dépendance de son assouvissement. C'est cette composante que je n'aime pas sentir en moi. Il apparaît clairement qu'à travers autrui... c'est ma propre satisfaction que je vise !
Dans ce type d'expression il y a donc, plus ou moins conscientisée, une attente d'interaction. C'est là que ça se complique.
L'interaction se formalise dès que le lecteur entre en contact avec l'écrivant. Quittant la passivité du lecteur, le commentateur a suffisamment envie de réagir pour s'exposer à son tour. Si j'observe ce qui me pousse à faire part de mes impressions il peut y avoir :
- une satisfaction à avoir lu quelque chose qui me touche, de quelque façon que ce soit, et l'envie d'en faire simplement part à l'auteur du texte.
- un désaccord avec ce qui est exprimé, ou une envie de compléter, d'apporter des précisions ou un autre point de vue
- un désir de convivialité, à coup de clins d'oeil avec l'écrivant, avec qui j'ai envie d'établir ou de perpétuer une connivence.
Dans tous les cas il y a un désir de contact relationnel. Ce contact je peux l'avoir de façon privée, à l'insu des autres lecteurs... ou au vu de tous. Si je le fais de façon publique ce peut-être pour établir un échange profitable à tous. Mais ce peut aussi être pour afficher mon interaction avec l'écrivant... ou encore pour être "vu" par les autres lecteurs. Il en va évidemment de même pour les commentaires que je reçois. Discrétion des messages privés ou échanges publics, je peux me demander quelles motivations inconscientes se manifestent dans ces démonstrations...
En tant qu'écrivant je reçois diversement les commentaires. Sensible à ceux de la première catégorie, je les prends comme un témoignage spontané. Ils sont ma "récompense", ma satisfaction, le carburant indispensable à un certain type d'écriture : celle qui n'attend aucun retour. Celle qui est "offerte".
Tout aussi importants sont les commentaires de la seconde catégorie : ils suscitent et enrichissent l'échange, le débat, la controverse. Ils nourrissent les réflexions, apportent quelque chose de plus. Eux aussi sont un carburant puissant, dont il dépend en partie de la qualité de mes écrits qu'ils me soient fournis. Ces commentaires sont stimulants.
Le troisième type apporte de la fluidité, de la détente [y'en a besoin ici !], de l'humour, de la sympathie. Ils contribuent à rendre plus agréables, plus personnalisés les échanges.
Alors, de quoi me suis-je senti dépendant ? Et bien de l'ensemble de ces interactions. Parce qu'elles m'apportent souvent beaucoup... mais au détriment de la vie réelle, moins "riche" sur ce plan. Parce que ces échanges multiples demandent du temps, beaucoup de temps, pour lire, écrire, commenter... et commenter les commentaires. Et comme la vie des blogueurs se raconte en temps réel, que les commentaires se font en quasi direct, laisser passer des jours sans lire, écrire ou commenter, c'est se déconnecter un peu de cette autre vie qu'est celle de l'internet social. L'échelle de temps n'étant pas la même que dans le monde réel, une absence de quelques semaines équivaut presque à une disparition.
C'est de cette tyrannie de la présence permanente que j'ai envie de m'extraire.
.
.
Avis de grand vent sur les sommets, avec nuages de neige soufflée