Le virtuel : entre réalité et imaginaire (2)
Nonobstant quelque persiflage à propos de mon « radotage » [peuh !], je persévère dans ma démarche et reviens sur les bases du sujet qui me préoccupe. Mon objectif est de mieux comprendre les mécanismes inconscients qui agissent dans mon - notre - rapport au "virtuel". À l'évidence cela passe par un regard à la fois sociologique, psychologique, psychanalytique... soit autant de domaines dans lesquels mes compétences sont rudimentaires. Je m'efforce donc d'appréhender des logiques comportementales complexes avec les outils dont je dispose. Cela d'après mon expérience, éclairée par mes connaissances... qui sont ce qu'elles sont ! D'où le ton sérieux et autodidactique de mon exposé...
Pour ceux qui ne connaitraient pas mon histoire je crois utile de préciser en quelle qualité j'aborde ces sujets : j'ai investi l'internet intime-relationnel il y a une dizaine d'années et, depuis, cet outil de communication et conscientisation à influé de façon déterminante sur mon parcours existentiel. Entre autres, je vis aujourd'hui en solo alors que j'étais marié « pour la vie ». Par contre, alors que je travaillais seul en étant installé à mon compte, je travaille actuellement en équipe et suis salarié. J'ai aussi entrepris de me réorienter d'un métier manuel, en contact direct avec la nature, vers l'accompagnement relationnel des personnes en difficultés affectives, notamment au sein du couple et de la famille. Je me forme à cela depuis plus de deux ans, en parallèle de mon métier auprès de personnes en difficultés sociales. Enfin, et ce n'est pas le moindre élément, j'ai traversé un épisode de grande remise en question autour de mon rapport à l'autre dans le domaine de l'intimité affective, et en particulier dans le registre amoureux. Tout cela... suite à la découverte d'internet !
Je précise enfin que la thèse que je propose ne se veut pas être un aboutissement. C'est le résultat, sans certitudes, de ce que j'ai observé et analysé.
Réel, virtuel, imaginaire : une question de confiance ?
Si je tente de définir ma représentation de ces concepts, ce serait quoi le réel ?
- ce qui existe : mon clavier d'ordinateur; votre écran
- ce qui se réalise, ou s'est réalisé : j'écris ce texte en pianotant mon clavier; vous le lisez
- ce qui est ressenti comme étant réalité : normalement est réel pour vous le fait que j'ai écrit ce texte en pianotant sur mon clavier. Parce que je vous affirme l'avoir fait, vous le croyez réel.
Il y aurait donc d'une part la réalité des objets et faits concrètement vérifiés, d'autre part le fait de croire en leur réalité. C'est ce deuxième aspect qui m'intéresse...
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Et qu'est-ce que serait, littéralement, le virtuel ? (de virtus = potentiel; « qui a en soi les forces nécessaires à sa réalisation »)
- ce que j'énonce comme réel sans pouvoir le prouver : vous dire que je suis en train d'écrire ce texte reste virtuel (potentiel) tant que vous ne pouvez pas le constater. Vous prenez comme réalité ce qui n'est que virtuel, si vous croyez ce que je vous énonce [alors que j'ai peut-être copié-collé ce texte].
- ce qui, prévu, ne s'est pas encore réalisé : dans quelques mois je serai qualifié pour accompagner des personnes en difficultés... sauf si quelque chose, d'ici là, empêche que cela se réalise. Croire que ce que je prévois (imagine, tient pour vrai) va réellement se réaliser est une virtualisation.
Autant dire que si le virtuel consiste à croire vrai ce qui n'est pas concrètement constaté (vu, touché, senti...), ce n'est pas un phénomène apparu avec la génération internet ! Le concept serait né en même temps que la conscience et la capacité d'abstraction. Aux origines de l'humanité, donc.
Dans ma petite théorie personnelle je verrais bien la capacité à virtualiser s'être développée avec l'élaboration du langage, lui-même inventé pour décrire et transmettre ce qui n'est pas constatable ici et maintenant. Le langage comme tentative de représentation du réel invisible dans l'espace et/ou dans le temps : décrire à d'autres ce qui a été vu/entendu/vécu. Mais aussi, et il y a là un risque de dérive, tentative de persuasion de la réalité de ce qui est encore virtuel : l'avenir proche ou lointain, avec son cortège de désirs et de craintes. Le langage ferait donc le pari de la confiance (croire la parole) ou s'en servirait. Langage à destination d'autrui, évidemment, mais pas seulement : langage à destination de soi, aussi, dans le dialogue intérieur que nous menons et par qui nous nous leurrons.
Ainsi, une grande part de ce qu'entend signifier le langage parlé et écrit relèverait du virtuel. Du potentiel.
Il en va de même pour d'autres formes d'expression, et notamment les représentations artistiques : peinture, sculpture, littérature, photo, cinéma, etc. Ce qu'on voit, touche, lit, n'est pas l'objet réel mais une réelle représentation de celui-ci. Ou du moins une représentation basée sur quelque chose de réel... Cela fait appel à la fois à l'abstraction et à l'imaginaire. Les peintures rupestres de la grotte de Lascaux étaient déja une virtualisation ! Tentaient-elles de représenter ce qui s'est passé réellement... ou le désir de chasses fructueuses ? Nous n'avons rien inventé en racontant sur nos blogs, aussi réellement visibles que la paroi d'une grotte, ce que l'on ressent comme étant la réalité... ou ce que nous voudrions qu'elle soit.
J'en déduis cette règle : transmettre, représenter, communiquer, est toujours une tentative - le plus souvent inconsciente - d'influencer l'autre de façon à lui faire adopter la même réalité que celle que je perçois. Mieux : s'il me croit, s'il adhère à ce que j'exprime, alors ma réalité n'en devient que plus sûre. Et si tout le monde me croit elle me semble alors incontestable ! Ainsi, en m'exprimant, je me construis en fonction du regard des autres... sur lequel j'ai une capacité d'influence en jouant du décalage qui existe entre réel et virtuel. Ne reste plus qu'à être crédible...
On sait que des individus se sont ainsi créé un personnage différent de la réalité, trompant tout leur entourage, même les plus proches. Un des plus connus reste celui qui avait le nom prédestiné de... Romand !
Une des œuvres qui mettrait le mieux en perspective le concept de virtualité, avant que celui-ci ne soit vulgarisé est le « Ceci n'est pas une pipe », alias "La trahison des images", de Magritte.
Dans la plupart des tentatives de représentation du réel, hormis le langage parlé, il y a une dimension implicite: ce n'est pas dans l'ici et maintenant. Ce décalage peut laisser une place au doute : est-ce bien la réalité ? Jusqu'où peut-on croire ce qui n'est pas constaté réellement ? Pour en revenir à internet, on sait combien les pourfendeurs de l'internet socialisant se réfugient derrière cet argument pour masquer leur propre peur d'être manipulés : ce n'est pas la réalité ! D'un certain côté ils n'ont pas tort : en l'absence de réel il y a bien un risque de "manipulation". Il y a, au minimum, distorsion. Sauf que celle-ci n'est, la plupart du temps, pas volontaire. Mais tout cela n'est pas nouveau : toute communication, même en face à face, est soumise à cette ligne de scission entre le réel et le virtuel.
Les premiers supports d'expression qui ont brouillé les pistes entre réel et virtuel en direct sont probablement les contes et le théatre dans l'antiquité. Pendant quelques instants les auditeurs et spectateurs pouvaient croire être dans une autre réalité, ici et maintenant. Certes ça ne durait que le temps du spectacle.
Il faudra attendre l'apparition du téléphone pour être réellement dans le maintenant sans être dans l'ici. Conversations réelles de voix (électriques) entendues au présent, dans un lieu... abstrait. Irréel. Dédoublé et nulle part. À moins qu'il ne soit imaginé à mi-chemin des fils de télécommunication...
Le cinéma, quant à lui, dématérialisera l'ailleurs en lui permettant d'être ici. Que l'on songe aux premiers spectateurs effrayés de voir une locomotive foncer vers eux... devant l'image projetée à l'écran. Depuis, observons à quel point notre rapport au monde a été transformé par les images devenues omniprésentes...
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J'en arrive tout naturellement à l'imaginaire. Qu’est-ce que serait l'imaginaire ?
- la représentation que l'on se fait de ce qui est constaté en croyant que c'est la réalité : croire qu'une locomotive plate et en noir et blanc va m'écraser alors que je suis dans une salle de cinéma trop petite pour la contenir et qu'il n'y a même pas de rails au sol !
- la représentation que l'on se fait de ce qui n'est pas constatable : sans me voir pianoter sur mon clavier vous pourriez imaginer que j'écris d'un doigt malhabile, clope au bec et barbe de trois jours, l'oeil fétide et l'haleine torve, verre de Gin à côté de moi, dans une pièce sombre d'un squat lugubre tandis qu'à côté de moi une superbe créature... [euh... non ? c'est pas crédible ?].
- le sens que l'on donne aux faits constatés : « il a écrit ce qui précède... juste pour faire croire qu'il plaisante alors qu'en fait... c'est vraiment rien qu'un gros pervers qui tente de séduire des lectrices fan de radoteurs laborieux qui se prennent au sérieux ! »
Notre représentation de la réalité est une projection de notre mode de pensée [je plains la personne dont je viens de citer en exemple l'imaginaire...]. Une interprétation : je prends ce que je crois vrai pour la réalité. C'est donc par l'imaginaire que se concrétise une réalité de ce qui, sans cela, resterait virtuelle. Concrétisation abstraite, mentale, cela va de soi...
Concrétisation selon mes désirs, conscients et surtout inconscients [et ceux-là, j'vous dis pas...].
Selon la confiance accordée à ce que l'autre donne comme étant réel, cela permet, ou pas, d'imaginer cette réalité. Peut être ressenti comme réel ce qui reste virtuel et abstrait : vous m'imaginez en train de pianoter sagement sur mon clavier, parce que vous le croyez... sans être sûr que cela soit la réalité. Inversement on peut ne pas croire ce qui est encore virtuel, quoique absolument certain dans sa potentialité de réalisation, parce qu'on ne parvient pas à l'imaginer réel. Il y a alors virtualisation de la réalité. Nous virtualisons tous notre mort, par exemple, faute de pouvoir la vivre... [ah ça rigole moins, là, hein?]. On sait qu'on va mourir... mais on n'y croit pas vraiment. On sait qu'on épuise les ressources planétaires, mais on n'y croit pas davantage...
Si je veux résumer mon propos, à ce point de ma réflexion, je dirais que plus je m'éloigne de faits constatables, plus un langage est nécessaire pour les représenter et plus j'entre dans le virtuel et l'imaginaire. Internet ou pas. D'autre part, puisque je ne peux pas tout constater, je dois bien faire confiance. Donc croire en la réalité de ce qui est virtuel... sans oublier que j'ouvre ainsi en grand les portes de mon imaginaire.
C'est là que ça se complique...
(virtuellement à suivre)
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Le virtuel : entre réalité et imaginaire (3) : Un je virtuel