Va et vient
Début de l'été. Commencement d'une période de transition entre deux cycles. L'année scolaire s'achève en ouvrant la saison des vacances. Autre temps, autre rythme. Que l'on soit ou pas en vacances, l'ambiance est différente. Depuis que je ne suis plus tenu à la pause estivale je préfère prendre mes vacances en décalage, profitant de surcroit du rythme alangui des mois d'été. Travailler pendant les vacances des autres, alors que les villes sont désertées, est un plaisir que j'apprécie beaucoup.
Mais l'été, pour le père que je suis, c'est aussi le retour des enfants. Jeunes adultes changeant de logement en fonction de leurs études, leur maison reste celle où ils ont passé leur enfance. Celle que j'habite.
Il y a une semaine le benjamin est revenu d'Irlande, ayant terminé son année Erasmus. Pas encore tout à fait en vacances puisque la suite de son cursus demande à ce qu'il passe des entretiens en vue d'intégrer les universités qu'il convoite. Il ne sait pas encore où il ira en septembre et, pour le moment, a installé un de ses camps de base dans "sa" maison. Il est là par intermittence, quand il ne va pas voir copains, cousins et autres membres de la famille. Cela induit un petit bouleversement de mes habitudes de célibataire, qui redevient père pour l'occasion.
À peu près en même temps que son frère ma fille a terminé ses études. Définitivement. Son mémoire a été apprécié et elle obtient son diplôme avec mention. Belle satisfaction pour elle. Pour ses parents aussi. Je reconnais en être assez fier... Dans quelques jours elle part dans le Périgord où elle va travailler pour la saison estivale. Elle a déjà préparé l'automne puisqu'elle prévoit un voyage de plusieurs mois au Népal et en Inde.
Elle n'aura que quelques jours pour croiser son autre frère, l'aîné, qui achèvera alors son périple autour du monde. Il vient de quitter la froidure néo-zélandaise pour les chaleurs néo-calédoniennes. Voila huit mois qu'il est parti avec son amie et leurs familles, leurs amis, commencent à leur manquer. Et réciproquement.
Quant à leur mère, Charlotte, elle termine aussi un cycle de formation qui la propulse vers de nouvelles responsabilités. Libérée du travail que ça lui a demandé elle s'est subitement montrée à mon égard plus cordiale et chaleureuse qu'à l'accoutumée.
Nouvelle Zélande - juin 2010 (photo de mon fils)
Pour moi rien de bien nouveau. Le beau temps est revenu et tout irait bien si... si je ne sais quoi ne me maintenait dans un état de préoccupation aux origines mal identifiées. Je me sens un peu absent, ailleurs. Encombré.
Ce qui
me tracasse pourrait venir de l'incertitude quant à l'avenir de l'association qui m'emploie, de la moindre
qualité du travail, du départ de certains collègues... mais je n'investis pas suffisamment le registre professionnel pour être vraiment m'atteint.
Alors peut-être y a t-il une part qui vient d'un différend apparu avec mon fils ainé, pour une dérisoire histoire de déclaration d'impôts. De façon inattendue et disproportionnée, manifestement insatisfait de la façon dont je m'occupais de ses papiers, il m'a écrit un mail sur un ton de colère et de reproches qui m'a atteint assez profondément. Je n'ai pas apprécié, tout en me demandant ce qui a pu toucher à ce point ma sensibilité. Il est devenu très rare que je me vois happé dans un conflit aussi minime soit-il. Malheureusement ce qui aurait pu se régler assez aisément de vive voix s'est trouvé compliqué par la distance. Je redoute au plus haut point les explications par mail, tellement propices aux égarements de l'imaginaire le plus mortifère. À ce jour je ne suis pas encore sorti de mon silence...
Mais peut-être y a t-il aussi quelque chose qui boite dans mes pensées depuis une fête familiale autour des cinquante ans de mariage de mes parents. Occasion pour moi de voir se réactiver quelques questionnements fondamentaux autour du couple, de l'engagement durable, de l'aliénation. Il y a une part que j'admire dans l'idée de couple de longue durée, et une part qui me fait penser renoncement, abdication, négation de soi. J'y vois à la fois quelque chose d'admirable et d'un peu triste. Du vivant et du mort. Vivre si longtemps ensemble a t-il épanoui chacun de mes parents ou les a t-il maintenus captifs ? Je ne sais pas trop qu'en penser...
Ce qui est sûr c'est que ces pensées m'ont ramené à ma propre histoire de couple. Aventure interrompue à la moitié du parcours qu'on fait ensemble mes parents. Renoncement que je n'ai pas totalement admis et qui laisse une marque dans ma conscience.
Oui, tout cela se cumule certainement et participe à la relative morosité de mon esprit.
Je crois cependant avoir identifié autre chose, qui me brasse en profondeur, tout à fait de nature à me préoccuper. Récemment j'ai été conduit à revenir sur le processus d'un deuil que je traverse dans toute son épaisseur, étape par étape, depuis maintenant pas mal d'années. Quelque chose s'y travaille et me malaxe, me pétrit et me triture. Mes convictions et valeurs ont été bousculées et se sont détachées de leurs amarres. Depuis je suis flottant. Ma façon de voir le monde est remise en question, hésitante, et mon rapport aux autres est devenu un chantier difficilement praticable hors des chemins que j'ai ouverts.
Dans l'absolu je sais que ce travail intérieur est bénéfique et me réjouis de constater combien il me fait "avancer". Dans le relatif, au jour le jour, je trouve un peu pénible, quand des vagues de pensées m'assaillent, que cela m'empêche d'être pleinement présent au monde. Je n'ai pas l'esprit aussi disponible que j'aimerais. Pour mes enfants, par exemple, ou tout simplement pour profiter des magnifiques paysages que je parcours pour mon travail. J'aime vivre l'instant avec toute ma conscience. Or là je regarde le monde "à distance". Je suis bien dans l'ici et maintenant... mais ce sont des pensées vagues et incertaines qui l'envahissent, vont et viennent. Ma tête est prise...
Autrefois j'aurais été tenté d'écrire à ce sujet, pour m'en délester. Aujourd'hui l'autocensure est devenue telle qu'elle étouffe mes velléités. Parce qu'immanquablement je serais amené à évoquer des sujets sensibles. Je préfère ne rien en dire et cela ne fait qu'ajouter à ce qui me turlupine. Alors une nouvelle fois se pose la question de la continuation de mes écrits. Qu'est-ce que ça m'apporte, qu'est-ce que ça me coûte ? Qu'est-ce que j'ai envie de dire et envie de taire ? Qu'est-ce que j'essaie de protéger ? Ne suis-je pas dans l'évitement ? Est-ce qu'une écriture aseptisée me tente ?
Penser, bien souvent, ça commence par égréner des chapelets de questions sans réponse apparente.
Nouvelle Zélande - juin 2010 (photo de mon fils)
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