Qui est moi ?
Régulièrement reviennent ici mes questionnements autour de la pratique de l'écriture personnelle en public. Cette réflexion est indissociable d'une démarche qui n'est pas évidente pour moi : m'exposer aux regards ne fait pas partie de mes habitudes. D'un naturel plutôt discret je parle peu en public, de préférence devant un nombre minimal de personnes, et sans aller trop loin dans le dévoilement personnel. C'est donc un tout autre personnage qui s'exprime ici, et occasionnellement lors de tables rondes et autres rencontres autour de l'écriture de soi publiée sur internet.
Qu'en est-il de ma "vraie nature", si toutefois il pouvait n'en exister qu'une ? Je pourrais me dire qu'elle est de m'adapter aux circonstances : je suis parfois disert et relativement transparent, parfois pudiquement mutique et secret. La différence venant de divers facteurs, dont la confiance que j'accorde à mes interlocuteurs n'est pas des moindres. La confiance que j'ai en moi en dépend étroitement. Je me sais particulièrement sensible à tout ce qui pourrait remettre en question la légitimité de ce en quoi je crois. Ce doute fondamental sur la validité de mes pensées est un handicap avec lequel je parcours l'existence depuis l'adolescence. Il est aussi, par l'inhibition qu'il engendre, le moteur de mon évolution : parce qu'il m'était insupportable de rester dans une existence étouffée j'ai cherché à sortir du carcan qui m'enserrait. J'aspire à vivre pleinement, c'est à dire à oser être moi avec autrui. Mais qui est moi ?
L'écriture publique, parce qu'elle m'autorise une mise en scène du Moi sans trop de risques, est ainsi devenue très rapidement un moyen « d'exister ». Par les retours des lecteurs, leurs appréciations et remarques, j'ai trouvé une certaine assurance qui s'est reportée dans ma vie de tous les jours. Je me suis émancipé d'une image de moi qui, fondée sur des habitudes en situation réelle, ne correspondait pas à ce que j'étais. C'est ainsi qu'au fil des ans m'est apparu un personnage dans la peau duquel je me glisse progressivement, parce que je m'y reconnais. Par l'expression publique et le partage qui en découle est née et se développe une identité qui, sans cela, n'aurait probablement pas eu assez d'une vie pour éclore. Peut-être y aurait-il eu d'autres moyens pour que cela arrive, cependant c'est par celui-ci que c'est passé. Je reste donc un fervent partisan de ce type d'échange, même si, parallèlement, j'ai pris conscience de ses limites et certains de ses risques. D'ailleurs je reste fidèle à mes espaces d'expression, malgré les doutes récurrents que j'exprime...
Mais ces bénéfices ne s'obtiennent pas sans contrepartie. En l'occurence cela se paie en temps et en assujetissement. Le temps de pensée stimulée par l'écriture, le temps de rédaction et la précision que j'aime y mettre, le temps des échanges et des remises en question, tout cela empiète sur mon existence... tout en lui donnant une consistance accrue ! Il y a là quelque chose de pernicieux : cela augmente la pression d'un besoin et en fait naître de nouveaux. Celui d'échanges et de partage. Celui des retours du lectorat. Celui du renvoi d'image qui m'aident à me définir. Puisque c'est par ce biais que je retrouve une confiance en moi défaillante je me vois régulièrement aspiré dans une spirale libératrice qui mènerait vers une aliénation si je n'y prenais garde. Lorsque je sens que le temps et l'investissement que je consacre à l'écriture m'absorbent plus que je l'estime raisonnable, j'entame un mouvement de retrait. Je ne veux pas que ma soif d'émancipation devienne enfermante. Je ne veux pas que le cérébral désincarné prenne le pas sur le réel des sensations. C'est la recherche de cet équilibre qui conduit à une forme de respiration entre écriture et retenue, entre dévoilement et protection.
Voila pourquoi je m'interroge régulièrement sur les bénéfices et coûts de ma pratique...
[et quand j'ai déposé tout ça, généralement je peux passer à d'autres sujets]